Il paraît important d’identifier, dès à présent, les leviers et politiques économiques devant accompagner les économies en développement tout au long du processus de convalescence post Covid-19.
Le Covid-19 a mis et met à rude épreuve l’économie mondiale. A travers tous les continents, les autorités budgétaires et monétaires s’engagent dans des politiques de soutien aux économies, avec des fonds et des initiatives inédits. L‘Afrique n’est pas en reste. Mais la principale question que se posent les auteurs, Mouhamadou Moustapha Ly & Fahd Azaroual de Policy Center, c’est de savoir les nouvelles orientations qu’il faudra donner à ces politiques une fois la pandémie maîtrisée et que les mesures sanitaires levées ?
La période post Covid-19 sera, à n’en point douter, une ère marquée par des besoins de financement importants de la part des Etats et des grandes entreprises. Cela risque de se traduire par un important effet d’éviction des PME/PMI du marché du crédit. A ce titre, les banques centrales devront mettre en place les bonnes incitations pour conduire le système bancaire à avoir de l’appétit pour des crédits aux PME/PMI africaines qui sont la pierre angulaire de toute politique de développement.
Dans leur analyse bien détailée, les auteurs identifient, outre les effets de la crise sanitaire sur les capacités de production, les trois canaux de transmission sur les économies africaines :
Investissements : Aux dernières estimations, la CNUCED prévoit une baisse d’au moins 1% sur les profits réalisés par les multinationales opérant en Afrique, ce qui aura un impact négatif certain sur les 27% des profits réinvestis en IDE (CNUCED, 2020). Pour les économies en développement, selon les mêmes estimations, 16% de baisse des profits des multinationales sont à attendre. De façon globale, la baisse des IDE se situera dans une fourchette entre -5% et -15%.
Rémittences : Avec la possibilité que le foyer d’infection se déplace de la Chine pour s’installer en Europe, l’emploi de la diaspora africaine en Europe pourrait être affecté. L’envoi des migrants pour la région Afrique subsaharienne attend d’être estimé à nouveau, et à la baisse.
Produits de base et commerce international : le mois de mars 2020 sera certainement marqué à l’encre indélébile dans le livre des records, tant la chute du prix du baril de pétrole aura été spectaculaire. D’un peu plus de 65 dollars, à la fin 2019, le cours du baril est passé à 30 dollars au début mars, consacrant ainsi une baisse de quasiment 50%, fait rarement observé. Les pays africains producteurs de pétrole se verront affaiblis par cette situation sur les marchés mondiaux.
Après un constat aussi délétère, il paraît important d’identifier, dès à présent, les leviers et politiques économiques devant accompagner les économies en développement tout au long du processus de convalescence post-crise Covid-19. Il est d’ores et déjà admis que les secteurs productifs seront plus ou moins sévèrement touchés. Alors, quelles mesures pour une nouvelle reprise quand cette crise sera derrière nous ?
Rendre à la monnaie sa fonction première : Dans ce contexte qui sera celui de la post-épidémie, l’Afrique aura besoin d’une stratégie audacieuse de soutien aux PME, gage important d’un développement à la fois soutenable et inclusif ainsi que d’une large diffusion de l’innovation. Les auteurs proposent de mener une politique massive de baisse des taux créditeurs. « La Crise Covid-19 a la particularité, contrairement à celle des subprimes en 2008, d’avoir directement significativement impacté le secteur réel. Dès lors, la période qui suivra sera celle où le marché africain (et mondial) sera dans une situation de choc d’offre », expliquent-t-ils. Et d’ajouter : « si le crédit est facilement accessible, le continent ne serait pas à l’abri d’un épisode sévère d’inflation et de pénurie. Autrement dit, la situation actuelle appelle une réconciliation entre l’approche keynésienne (la monnaie comme un des instruments clé permettant le retour d’une économie à l’équilibre macroéconomique) et une approche plus classique orientée vers le soutien de l’offre ».
Une politique budgétaire décomplexée : A la question de savoir les choix éventuels à effectuer en matière de dépenses publiques dans le moyen terme (post Covid-19), il semble essentiel pour le continent de maintenir voire de renforcer les importants efforts d’investissement entrepris depuis quelques années. Pour le continent dans son ensemble, la part de l’investissement dans la création de richesse augmente de plus en plus. (Dès lors, arbitrer dans la politique budgétaire en défaveur des investissements pourraient entrainer un ralentissement plus sévère et durable de la croissance économique africaine, voire la replonger dans une « décennie perdue ».
Mode de financement : Le premier levier est relatif aux politiques monétaires expansives des banques centrales dans les économies avancées. La Réserve Fédérale Américaine annonce être prête à injecter des montants très importants (en trillions de dollars) pour aider à fluidifier le marché financier, surtout dans sa composante de financement à court terme et d’autres mesures d’assouplissement ne sont pas exclues. La Banque Centrale Européenne, quant à elle, renforce le fonds dédié à l’achat de bons émis par les trésors publics de la zone (e.g. Italie) et augmenté les prêts bon marché qu’elle accorde aux banques. Sans être exhaustifs, ces deux exemples montrent que le marché financier international sera suffisamment provisionné en liquidités créant ainsi les conditions pour un (dollar ou euro) carry trade sur le marché international des capitaux. De telles disponibilités en capitaux permettront aux économies en développement un accès (à un coût raisonnable) aux capitaux pour soutenir leurs activités économiques.
Le second levier consiste en le soutien que les banques centrales pourraient apporter aux Etats dans leurs efforts d’investissement.
Un levier s’avère aussi être la marge de manœuvre des États qui doit être exceptionnellement élargie. En d’autres termes, pour les économies membres d’une union monétaire ou en programme sous conditionnalité avec une institution multilatérale les circonstance actuelles. Plus clairement, les critères de convergence imposés aux États de l’UEMOA devraient faire l’objet d’une suspension et permettre aux États des niveaux de déficit primaire supérieurs aux 3% et un endettement qu’on pourrait fixer à plus de 80% pour une période donnée.