Ecrit par Imane Bouhrara |
Décriées et décrédibilisées au lendemain de la crise des subprimes, voilà que les agences de notation avec la covid-19, reprennent du service à distribuer le bénédicité. Sauf que là, elles ne font pas la crise mais l’alimentent au grand dam des pays sous leur joug. La régulation financière mondiale ? Que nenni.
Une impression du déjà vu, déjà vécu. Fitch, S&P, Moody’s (à elles trois s’accaparent près de 85% d’un marché d’une centaine d’agences) … ces noms sèment la terreur auprès des pays surtout ceux qui font appel aux emprunts à l’international (les grandes puissances n’en ont cure de ce que peuvent bien déblatérer ces agences).
C’est à se demander pourquoi et comment ces agences d’évaluation se sont converties en de superpuissances faisant régner leur ordre sur les marchés mondiaux.
Le pire est que ces agences tellement décriées et décrédibilisées par la crise des subprimes mais par d’autres scandales (Enron, Grèce, Worldcom…) et pour le caractère spéculatif de de leur notation et son rôle politique, sont fortement revenues aux devants de la scène économique mondiale avec la Covid-19.
Sauf que cette fois-ci, elles ne font pas la crise mais l’aggravent et accentuent au passage la vulnérabilité de certains pays.
En effet, la dégradation d’une note souveraine ou de la solvabilité d’un pays émetteur de dette peut créer un mouvement de panique sur les marchés et auprès des investisseurs.
Le cas des pays très dépendants de l’endettement, comme le Maroc. Et la conjoncture ne se prête pas à ce genre d’évaluation surtout si elles ne sont pas exemptes d’erreur.
Sur ce point, il faut dire que les agences de notation couvrent bien leurs arrières puisqu’elles ne font qu’avancer « une opinion ».
Sincèrement, quel crédit peut-on encore accorder aux notations de ces entités privées à but lucratif dont on connaît peu de chose (gouvernance, autonomie, financement, modèle de notation, indépendance vis-à-vis d’institutions internationales…)?
Au final, la notation de ces agences est tronquée puisque la solvabilité d’un pays ne peut reposer sur l’unique arithmétique budgétaire.
Une opacité à (re)pointer du doigt
Il faut rappeler que ces agences « vivent » de la rémunération versée par les entités notées, des activités de conseil, ainsi que la diffusion de données relatives à la notation.
Pour l’économiste-Chercheur, Najib Akesbi, c’est le péché originel des agences de notation : « être juge et parti ».
Un mode de rémunération qui entame la crédibilité même de la notation, puisque le rating est généralement établi à la demande de l’émetteur, comme il peut être déclenché par l’agence elle-même.
Complaisance pour les payeurs et sévérité pour les non-payeurs ? La question demeure posée et rappelée pour garder en mémoire ce qui s’était passé en 2008. S&P s’est particulièrement illustrée par ses bourdes en maintenant la notation AAA de Lehman Brothers deux jours avant la faillite de la banque en septembre 2008.
Dans le cas des subprimes, l’opacité est quelque peu levée sur les notations biaisées des produits financiers avérés plus tard toxiques. Les agences étaient payées au prorata de ce qui était vendu par les banques, leurs premières clientes.
Le rôle des agences aussi bien spéculatif que politique est percé au grand jour. Ce qui leur a valu des critiques sévères tous azimuts.
Aujourd’hui, quelles sont les garanties que ces ratings ne font que surenchérir les conditions de crédit au grand bonheur des investisseurs et au grand détriment des émetteurs.
Pour les pays émetteurs de la dette, Najib Akesbi évoque le piège de la dette qui fait perdre toute possibilité d’autonomie vis-à-vis des créanciers mais aussi une vulnérabilité vis-à-vis des agences de notation, en raison du coût d’accès au marché basé sur le rating. L’économiste souligne d’ailleurs l’opacité totale concernant le module ou le processus d’établissement des notations.
« Ce sont des notations idéologiques et politiques… tout sauf la rigueur et l’intégrité », insiste Najib Akesbi.
Une opacité déjà pointée du doigt à l’époque et qui avait donné lieu à tout un débat et des réunions des ministres des Finances du G20.
Ce dernier avait promis de réguler les agences de notation et de contrôler les trois grandes agences que sont Fitch, Standard and Poor’s et Moody’s. Najib Akesbi souligne qu’à part quelques petits changement, les grandes réformes ne se sont pas faites. Les leçons et discours post crise de 2008 aux oubliettes.
Mais l’Economiste-Chercheur Najib Akesbi ne se fait pas d’illusion : les agences de notation sont un maillon d’un système de contrôle mondial dans lequel les tâches sont bien réparties.
« On trouvera toujours des astuces pour tenir en laisse (Shortleash) », soutient-il.
Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un instrument de domination de plus explique Najib Akesbi qui soutient que cela relève d’un arbitraire absolu d’établir des listes grises, des listes noires… mais ce qui le révolte le plus c’est que des pays s’exécutent face à ce diktat. Le cas du Maroc qui se soumet à des instruments de contrôle quoi qu’il y perde.
« Les agences de notation sont les dernières personnes à qui nous devrions faire confiance. », écrivait le Prix Nobel d’économie Paul Krugman, sur le News York Times en août 2011, lorsque S&P avait dégradé la note de la dette publique américaine.
« C’est Chutzpah – traditionnellement traduit par l’exemple du jeune homme qui tue ses parents, puis plaide pour la miséricorde parce qu’il est orphelin », soutient-il.
Dix ans plus tard, c’est pratiquement toujours le cas.
Et 13 ans après la crise financière de 2008, l’absence d’une régulation financière mondiale « neutre et équitable et non imposée par les grandes puissances) continue à faire planer de gros risques sur l’économie mondiale.
Comme rien n’a été retenu de la crise de 2008, il faut être d’un optimisme béat pour croire que la crise Covid-19 y changerait quelque chose !