Le nombre des entreprises défaillantes a augmenté de 9,1% à fin juin 2019 par rapport à la même période de l’année précédente. Cette hausse interpelle dans un contexte marqué par l’amélioration du rang à 53 places dans le Doing Business 2020. Amine Diouri Directeur Etudes & Communication chez Inforisk nous explique les dessous de la décorrélation entre le classement et la perception du climat des affaires.
EcoActu.ma : Peut-on parler d’une amélioration du climat d’investissement sur la dernière décennie si l’on prend en considération une hausse annuelle moyenne de 12,4% des défaillances sur la période 2009-2019 ?
Amine Diouri : L’évolution du classement Doing Business depuis 10 ans (où on partait de la 128ème place) pour atteindre la 53ème place en 2020, démontre que le Maroc a mis en place durant cette période un certain nombre de réformes (31 pour être précis). Le Doing Business est un outil intéressant pour un investisseur étranger qui découvre le climat des affaires au Maroc mais il présente à mon sens 2 défauts majeurs. Le premier défaut est que le climat des affaires est défini selon des critères de la Banque Mondiale, qui ne sont pas nécessairement exhaustifs ou totalement représentatif du climat des affaires tel que perçu par les opérateurs marocains. Deuxième critique à l’encontre de ce classement, c’est que connaissant les critères majeurs du DB, il suffit de programmer des réformes répondant à ces critères. Pour la Banque Mondiale, l’efficacité d’une mesure n’est pas suffisamment mesurée, il suffit simplement que cette réforme soit simplement opérationnelle. Pour être concret, qui nous dit demain que la réforme de la loi sur les suretés mobilières aura un impact significatif sur le financement octroyé par les banques aux entreprises ?
Et pour répondre à votre question, je pense qu’il y a une décorrelation entre ce classement et la perception du climat des affaires par les opérateurs locaux.
Selon les données de Inforisk, au cours du premier semestre 2019, les défaillances d’entreprises, après une baisse entre S1 2017 et S1 2018, ont augmenté de 9,1% par rapport à la même période de l’exercice précédent. Quels sont les dessous de cette importante hausse ?
Premier constat, l’impact de l’injection de liquidités dans nos entreprises via le remboursement de 40 MMDHS de crédits de TVA a eu un impact limité sur nos TPE (car représentent 99% des défaillances). Après, il apparait clairement que la conjoncture macroéconomique n’est pas très favorable actuellement : taux de croissance du PIB 2019 bloqué entre 2 et 3%, faible augmentation des encours de crédits desservis aux entreprises. Mais pour moi, la raison principale reste surtout et toujours la question des délais de paiement entre entreprises privées. Je rappelle que les TPE souffrent de délais clients supérieurs à 8 mois et que le crédit interentreprises dépasse les 421 MMDHS. Or, aucune mesure n’a été prise à ce jour pour endiguer ce fléau. L’Etat agit efficacement sur les délais publics-privés, mais je rappelle que les TPE ont très peu accès aux Marchés Publics.
Quels sont les secteurs qui ont été frappés par la hausse des défaillances et quelles sont les régions les plus affectées ?
Compte tenu de leurs poids dans notre économie, 3 secteurs sont fortement représentés dans les défaillances d’entreprises : Commerce (35%), Immobilier (21%) et BTP (16%). On le voit clairement, ces 3 secteurs représentent plus de 72% de nos défaillances. En termes géographiques, les villes les plus touchées sont celles de Casablanca (31%), Rabat/Salé/Kénitra (14%), Tanger (7%) et Marrakech (7%).
Dans le Doing Business 2020, le Maroc a gagné 7 places se situant à la 53ème place. Faire partie du Top 50 est désormais à portée de main pour le Maroc. En l’absence d’une étude d’impact sur l’acte d’investir et d’un coefficient de pondération de Doing Business dans l’équation d’investissement, est-il possible de prétendre que l’amélioration dudit classement permet d’attirer l’investissement ?
La réalité du terrain est le seul juge de paix : seule l’évolution positive des IDE provenant de l’Etranger vers le Maroc permet de mesurer le réel impact du classement Doing Business. Et encore, je ne pense pas qu’un investisseur étranger s’implante au Maroc pour un classement, il vient compte tenu des avantages fiscaux offerts. Or, le PLF 2020 revient sur un certain nombre d’avantages offerts aux entreprises implantées dans les zones franches. C’est surtout cela qui impactera dans le futur l’évolution de nos IDE.
Dans le même sillage, n’est-il pas judicieux d’intégrer le nombre de défaillances d’entreprises dans les critères retenus par le CNEA ?
A mon avis, cela ne devrait pas être le cas. Les défaillances sont la résultante d’une conjoncture économique bonne ou mauvaise, et surtout d’une politique gouvernementale menée (ou parfois même l’absence de réforme). On ne peut agir directement sur les défaillances. La seule chose qui peut être faite, c’est d’anticiper le risque de défaillance. C’est chose faite avec la réforme du Livre 5 du Code de Commerce et la mise en place d’une procédure de sauvegarde.
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