Les réactions sont multiples et les avis divergent, entre ceux qui chantent le dernier Discours du Roi à l’occasion de la fête du Trône, parce qu’ils estiment que le Maroc est un modèle de démocratie citoyenne par rapport au contexte régional ; et ceux qui pensent que le pays n’avance pas comme souhaité et que dans le classement des nations unies en matière de développement humain, il est placé dans les derniers rangs, particulièrement dans les domaines sociaux à savoir la santé, l’enseignement, la bureaucratie administrative…
Soit. Prenons le temps de faire une lecture profonde et une analyse sincère du Discours du Roi Mohammed VI, sans verser ni dans l’une ni dans l’autre de ces deux positions… afin de sortir avec une vision claire et honnête.
Tout d’abord, ce Discours du Roi s’inscrit-il dans une rupture avec les précédents Discours ?
La réponse est non, à mon sens.
Le Discours du Roi s’inscrit dans la continuité et la cohérence des Discours précédents : d’une part, il énumère les domaines de succès du Maroc notamment ceux des infrastructures, comme les autoroutes, le TGV, les grands ports, les énergies renouvelables et les réhabilitations urbaines. A ce niveau, même les plus pessimistes ne peuvent dire le contraire. Et d’autre part, il dresse le constat des échecs, précisément les domaines sociaux et publics, et dit clairement son insatisfaction des résultats modiques obtenus dans lesdits domaines. Et à ce niveau, même ceux qui prétendent que nous sommes le plus beau pays du monde, ne peuvent taire les disparités sociales, territoriales ainsi que l’ensemble des dysfonctionnements qui empêchent le Maroc de prendre son élan.
Avant même de développer cette lecture du Discours royal, je m’arrêterai à la phrase prononcé par le Souverain, et dans laquelle il dit : « la Monarchie patriotique et citoyenne qui se veut proche des citoyens, en faisant siennes leurs préoccupations et leurs aspirations et en s’efforçant de les satisfaire. ».
Cette citation m’interpelle à plus d’un titre, Mohammed VI déclare haut et fort, que la Monarchie est patriotique et citoyenne, et qui s’efforce à satisfaire les préoccupations et les aspirations des citoyens, qu’elle fait siennes.
A mon sens, c’est la plus belle reconnaissance des liens entre un Chef d’Etat et son peuple, les citoyens que nous sommes. Beaucoup diront, en étayant sur un plan constitutionnel, que : « Le Maroc est une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale. », et non une Monarchie citoyenne, à la lumière de l’article 1 de la Constitution de 2011. Je leur dirai que la suite de cet article 1 dispose que : « Le régime constitutionnel du Royaume est fondé sur la séparation, l’équilibre et la collaboration des pouvoirs, ainsi que sur la démocratie citoyenne et participative, et les principes de bonne gouvernance et de la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes. ». Mieux, encore, la Constitution de 1996, et précédentes, stipulaient dans leur article premier : « Le Maroc est une Monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale. ». Le Maroc a réalisé un grand pas en avant, puisque nous sommes devenus un Etat parlementaire qui consacre la démocratie des urnes et le choix des citoyennes et des citoyens, et qui veille sur la séparation et l’équilibre des pouvoirs et surtout la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes.
En dehors de cette comparaison de la place de la Monarchie dans les deux Constitutions telle qu’elle y est définie, la Constitution de 2011 est immuable sur la place et le rôle citoyen du « Roi citoyen ».
En effet, si dans la Constitution de 1996, et précédentes, la personne du Roi était sacrée, comme dispose l’article 23: « La personne du Roi est inviolable et sacrée. », la Constitution de 2011, dans son Article 46 énonce que « La personne du Roi est inviolable, et respect Lui est dû. ».
En tant que Chef d’Etat, l’inviolabilité de sa personne et le respect qui lui est dû, sont la marque de tous les régimes démocratiques.
Pour clore ce sujet de la citoyenneté du Roi, l’article 21 de la Constitution de 1996 stipulait que : « Le Roi est mineur jusqu’à seize ans accomplis », alors que l’article 44 de la Constitution de 2011 dit expressément que : « Le Roi est mineur jusqu’à l’âge de dix-huit ans accomplis». C’est un autre signe de la citoyenneté de la Monarchie, car le Roi, à l’instar de tous les citoyens ne devient majeur qu’à l’âge de 18 ans. N’est ce pas une preuve de citoyenneté ?
Passons à la profondeur du sujet auquel nous nous attelons pour mieux le comprendre et mieux l’analyser. Le Roi, au début de son Discours, évoque « l’unanimité nationale qui rassemble tous les Marocains autour des constantes et des symboles sacrés de la Nation, autour des choix majeurs du pays », à savoir :
- la Monarchie patriotique et citoyenne, que nous venons de traiter,
- « la poursuite résolue de l’œuvre de consolidation démocratique et de quête du développement»
- « les réformes profondes engagées, les réconciliations menées à bonne fin et les projets d’envergure réalisés. ».
Encore une fois, le Roi est clair en évoquant des choix unanimes du pays !! D’aucuns ne diront le contraire. Tout, le monde veut un « Roi citoyen ». Tout esprit libre et aspirant aux droits de l’Homme et libertés fondamentales, approuverait la consolidation démocratique, qui se matérialise à mon sens dans le respect des choix des électeurs, chose faite au Maroc, et bien sur des libertés publiques dans leur champs le plus large. D’ailleurs, le grand gap réalisé dans ce domaine, entre la Constitution de 2011 et celles précédentes, le démontre largement. Aujourd’hui, la quête de développement est un souhait formulé par tous.
Concernant la réconciliation entre l’Etat et ses citoyennes et citoyens, l’Instance d’équité et de réconciliation continue de remplir ce rôle. Aussi, beaucoup des réformes engagées ont-elles abouti et d’autres sont encore en suspens. Et à ce niveau, le Monarque appelle au parachèvement des réformes engagées : « maintenir le cap, en capitalisant les acquis obtenus, en parachevant la dynamique de réformes en cours » tout en reconnaissant les défaillances qu’il faut dépasser « en corrigeant les dysfonctionnements observés sur le terrain. ».
L’analyse devient pointilleuse à ce moment en posant la problématique de la responsabilité de ces dysfonctionnements. Les pessimistes, diront que ceci est la responsabilité du Chef de l’Etat.
Or, le Roi reste l’arbitre entre l’ensemble des pouvoirs. C’est l’émanation d’une réelle démocratie qui s’installe à travers un parlementarisme effectif, qui porte le choix du peuple concrétisé par ceux qui légifèrent pour son bien être. Comment peut-on en vouloir aujourd’hui au Chef de l’Etat pour le propre de nos choix ?
Ceux de nos élus locaux qui doivent rendre les cités et les villages des lieux de bien-être pour une vie digne pour nous tous. Et de nos élus nationaux, nos parlementaires qui doivent à la fois défendre les intérêts de toutes les citoyennes et de tous les citoyens, par l’élaboration de Lois qui protègent les libertés et les droits. Et puis le Gouvernement qui émane de la majorité, à qui les Marocains ont confié leur destin, pour avoir une école décente et une égalité des chances pour nos enfants, une santé et des conditions humaines de traitement pour tout un chacun… Ou encore une administration efficace et proche des citoyens et non un « Ghoul », un monstre, qui nous dévore à chaque fois qu’on est dans l’enceinte de ses murs pour un simple papier, un certificat de naissance et même celui d’un « décès ». Je ne vous dirai pas la souffrance conjuguée que j’ai récemment eu lors de la perte de mon enfant, face à une administration qui broie nos droits les plus élémentaires et ne respecte même pas notre deuil ni l’affliction que nous portons dans de telles circonstances, pour un simple document administratif.
Alors, assumons nos choix, si nous avons choisi le jeu démocratique, nous devons accepter ceux pour qui nous avons voté, et dans le cas du mécontentement, nous devons les dénoncer et plus encore, les sanctionner par nos voix aux urnes.
Vous me direz que j’ai esquivé l’hypothèse que le Roi, Chef de l’Etat, a une responsabilité. Le Souverain le démontre bien dans ses Discours et ses faits, il ne nie pas le constat, et il opère selon les prérogatives qui lui sont dévolues par la Constitution et non en tant que Monarque absolu. Le séisme politique et les têtes qui y sont passées en étaient une démonstration patente. Seulement, ni nos politiciens et nos dirigeants ne veulent retenir la leçon, ni nous même, qui sommes satisfaits ou insatisfaits de ce Constat… Si rien ne change, c’est un peu notre responsabilité également comme citoyens acteurs du changement.
Dans la suite de son Discours, le Souverain reste limpide et très sincère lorsqu’il dit : « Le devoir de clarté et d’objectivité impose de nuancer ce bilan positif dans la mesure où les progrès et les réalisations, d’ores et déjà accomplis, n’ont malheureusement pas encore eu des répercussions suffisantes sur l’ensemble de la société marocaine. ».
Oui, ce bilan aussi positif soit-il, n’a pas eu l’impact souhaité sur l’ensemble de la société marocaine. Et le Roi ne va pas par quatre chemins pour confirmer le ressentiment de certains citoyens, qui ne palpent pas : « les retombées de ces réalisations sur leurs conditions de vie, notamment en termes de satisfaction de leurs besoins quotidiens et singulièrement en ce qui concerne la fourniture de services sociaux de base, la réduction des inégalités sociales, le renforcement de la classe moyenne ».
D’où l’insistance du Roi et son attachement « aux programmes de développement humain, à la promotion des politiques sociales pour parvenir in fine à la satisfaction des attentes pressantes des Marocains. » pour « réduire les inégalités sociales et les disparités spatiales. ». En clair, Le Roi est dans son rôle d’arbitre mais également de garant de la bonne conduite du pays lorsqu’il demande la « réévaluation » et la « réactualisation » de notre modèle de développement qu’il n’a cessé de réitérer depuis ses Discours précédents et surtout son discours d’octobre 2017.
L’acte politique du Chef de l’Etat est salutaire, et ne laisse aucun doute. Le Maroc a besoin de « sang neuf ». Le Maroc a besoin de tous ses enfants, le Maroc a besoin des compétences nationales pour innover, pour proposer. Des compétences mises à l’écart à cause de leur non proximité des sphères politiques et d’affaires. Des enfants du pays, pour lesquels seul l’intérêt général prime.
Vous me direz pourquoi une autre commission pour le modèle de développement. La réponse est limpide, cette commission qui doit être composée de compatriotes compétents et audacieux pour élaborer un nouveau modèle doit comporter des patriotes dont le seul souci est le vivre ensemble et le bien être de nous tous. Néanmoins, cette Commission a un rôle consultatif dans le strict respect de la Constitution et des prérogatives dévouées au Gouvernement et aux institutions. Ce Gouvernement, qui est lui-même appelé, comme l’a bien élucidé le Souverain à intégrer des compétences.
Oui, des compétences il en faut pour relever le niveau.
Encore Oui, les compétences pour aller de l’avant, loin des calculs politiciens et du népotisme politique.
Oui, le Maroc est riche de ses enfants, certes, la démocratie a donné le pouvoir à une « tendance ». Mais, faut-il encore rappeler, qu’un million et demi ou même deux millions de personnes ne représentent rien, soit moins de 10% dans une masse électorale de presque 14 millions de citoyennes et de citoyens. Absurde abstention dont nous portons la responsabilité et qui nous le rend bien…
Oui, le Souverain, évoque une commission, composée par « les différentes disciplines académiques et diverses sensibilités intellectuelles, en y faisant siéger des compétences nationales issues du public et du privé. Outre de l’expérience et une exigence d’impartialité ».
Encore une fois, le rôle du Roi répond à celui de l’arbitre et à celui du Chef de l’Etat, qui respecte la Constitution, cette Commission n’est ni un second gouvernement, ni une institution officielle parallèle. C’est un organe consultatif investi d’une mission limitée dans le temps. Il invite aussi « le gouvernement à commencer la préparation d’une nouvelle génération de grands plans sectoriels, cohérents et harmonieux, susceptibles de servir de pilier au modèle de développement dans sa nouvelle version. ».
Il parle de la nouvelle étape, celle dont « les maîtres mots sont “Responsabilité” et “Essor”. ». La responsabilité des dirigeants et l’essor de toute une Nation.
Dans le Discours du Roi, il y a lieu de souligner l’ouverture et le non repli sur soi, un vœu que tout le monde partage. Certes le défi est important mais le bénéfice est plus important et la portée est générale. Nous sommes dans un monde globalisé, un petit village planétaire, notre survie qu’on le veuille ou non, dépend de notre compétitivité sur le marché mondial, et ce à tous les niveaux.
Le Discours du Roi, s’inscrit dans la continuité et reste cohérent. C’est un rappel à l’ordre pour les secteurs défaillants, notamment le secteur public, qui doit se mettre à niveau au vu de « la nécessité de moderniser les méthodes de travail, de faire preuve d’ardeur créative et d’innovation dans la gestion de la chose publique. ». Enfin, le secteur social où le Roi rappelle encore « le défi de la justice sociale et spatiale pour parachever l’édification d’un Maroc, porteur d’espoir et d’égalité pour tous. ».
Ce passage du discours royal ne peut que nous interpeller encore une fois: « Il faut, donc, en finir avec les agissements et les aspects négatifs, en faisant triompher les valeurs de travail, d’engagement responsable, de mérite, d’égalité des chances. ». Le souverain appuie encore son message et dit clairement au chef du gouvernement de soumettre à son « Appréciation, des propositions visant à renouveler et enrichir les postes de responsabilité, tant au sein du gouvernement que dans l’Administration, en les pourvoyant de profils de haut niveau, choisis selon les critères de compétence et de mérite. ».
En d’autres terme, monsieur le Chef du Gouvernement, il est utile de vous rappeler que l’Article 92, où le Conseil du gouvernement délibère sous la présidence du Chef du Gouvernement de plusieurs questions, dont celle de « la nomination des secrétaires généraux et des directeurs centraux des administrations publiques, des présidents d’universités, des doyens et des directeurs des écoles et instituts supérieurs. Et qui selon la loi organique prévue à l’article 49 de la Constitution 2011 peut compléter la liste des fonctions à pourvoir en
Conseil du gouvernement, et déterminer, en particulier, les principes et critères de nomination à ces fonctions, notamment ceux d’égalité des chances, de mérite, de compétence et de transparence. ».
Cet article est le summum de la démonstration de l’égalité des chances et du mérite pour servir notre pays par les méritants.
Malheureusement, la nomination des proches des sphères politiques est le premier obstacle à l’émergence d’un secteur public efficient et au service de la Nation. Pire encore, cela constitue une frustration pour des milliers de jeunes hauts diplômés, dont certains décident malheureusement de quitter le pays pour tenter leur chance sous des cieux plus cléments et plus reconnaissants. En effet, c’est une violation au droit à l’équité des chances, stipulé par la Constitution, les résultats mitigés récoltés au sein de ces administrations sont la preuve de l’existence de ce plafond de verre qui empêche les vrais compétences d’accéder aux postes de responsabilités;
Alors, respectons cet article qui émane de la volonté du Peuple et que vive le Maroc pour tous ses enfants et par tous ses enfants!!
Par Ali Lahrichi,
Docteur en Droit public