Ecrit par La Rédaction |
Instrument d’action de la politique économique depuis les années 60, les exonérations fiscales ont pendant longtemps été décriées. Les maintenir ou pas ? Ont-elles atteint les objectifs escomptés ? Ne sont-elles pas qu’une forme déguisée de rente ? Ont-elles profité à des secteurs plutôt que d’autres ? Oxfam Maroc s’est penchée sur l’évaluation des dépenses fiscales des 3 secteurs ayant le plus bénéficié.
Autant de questions qui se posent faute d’une analyse de la pertinence de ces incitations sur les secteurs ayant en bénéficié. Parmi ceux ayant le plus profité de ses exonérations les grands agriculteurs, les opérateurs immobiliers ainsi que les établissements d’enseignement privé.
Trois secteurs ont ainsi fait l’objet d’une analyse de Oxfam au Maroc notamment sur la pertinence de ces exonérations. Le dernier rapport d’Oxfam « Les exonérations fiscales, le manque à gagner : agriculture, immobilier et enseignement privé » révèle que lesdits secteurs n’affichent en réalité aucune situation justifiant les dépenses fiscales qui leur sont accordées.
Un constat qui repose sur une analyse profonde de la pertinence des exonérations fiscales octroyées aux trois secteurs en passant au crible les principaux arguments plaidant pour le maintien du système actuel : un handicap économique en raison d’une défaillance étatique, une politique de discrimination positive, la compétition fiscale.
A noter que le manque à gagner pour l’Etat est estimé à 29 Mds de DH ce qui représente pratiquement le double du budget alloué à l’éducation et à la santé. En 2018, les exonérations fiscales ont représenté près de 3% du PIB tandis que le déficit budgétaire s’élevait à 3,9% du PIB.
Aussi, l’analyse montre l’absence de corrélation entre les exonérations fiscales et les bonnes performances des secteur immobilier, agricole et de l’enseignement privé. « A titre d’illustration, la valeur ajoutée immobilière a augmenté son taux de croissance à 5,5% entre 2013 et 2019 malgré une baisse des exonérations de l’ordre de 40% entre les deux périodes », précise Oxfam.
Quant au secteur agricole, le rapport précise qu’il mérite une attention particulière quant à l’impact des exonérations fiscales. « En effet, ces exonérations ont accompagné un processus de création de la richesse qui n’a eu qu’un faible impact sur la productivité et les conditions du travail dans le secteur. Les exonérations fiscales pour ce secteur n’ont servi, en réalité, que pour diminuer la pression fiscale sur les profits des grands agriculteurs faisant de ce secteur une véritable niche fiscale », révèle le rapport.
Pertinence des exonérations
Le rapport de Oxfam Maroc rappelle que la question de la pertinence et de l’efficacité de cette exonération est légitime. Aussi l’octroi d’une exonération au régime fiscal de base doit-il être justifiée par : un handicap économique en raison d’une défaillance étatique, une discrimination positive ou une compétition fiscale. L’analyse de la pertinence des exonérations fiscales accordées à ces 3 secteurs a consisté à évaluer si les trois secteurs sont dans une situation justifiant l’octroi desdites exonérations fiscales.
Immobilier
« S’agissant de l’immobilier, d’entrée de jeu, le premier argument relatif à la présence d’un handicap économique est difficilement recevable pour ce secteur. Force est de constater que le secteur affiche une concentration de l’offre sur quelques grandes villes avec une rencontre avec l’offre qui ne nécessite aucun effort particulier. De même, le secteur ne peut guère être considéré comme étant un secteur nécessitant une discrimination positive du moment qu’il représente tout de même près de 47% de l’investissement global de l’économie marocaine ce qui implique une forte capacité capitalistique ne nécessitant pas de discrimination positive pour pouvoir émerger », lit-on dans le rapport.
Il ressort également que concernant la compétition fiscale extérieure, l’immobilier est l’un des secteurs non échangeables en raison de l’absence d’une concurrence extérieure et ne peut, de ce fait, en aucun cas faire objet de la compétition fiscale.
Agriculture
Pour ce qui est du secteur agricole, les «handicaps économiques» pouvant justifier les exonérations fiscales sont liés à la sécheresse et aux problèmes du foncier (exiguïté d’exploitation, morcellement excessif, multiplicité des statuts) rappelle le rapport.
« Toutefois, le secteur bénéficie de toutes sortes d’aides financières directes dans le cadre du Fonds de développement agricole (FDA). Les aides prévues oscillent entre 80% et 100% du coût d’investissement (installation du matériel d’irrigation moderne, amélioration foncière etc.) en vue de surmonter ces handicaps. Ainsi, s’il est vrai que la situation d’handicap économique peut être avancée pour ce secteur, en l’occurrence chez les petits agriculteurs des zones défavorisées, les aides financières directes comblent, en principe, les insuffisances du secteur à condition d’améliorer les conditions d’octroi de ces aides pour les petits producteurs », précise le rapport.
Il est également à signaler que le secteur agricole a bénéficié d’une exonération totale des revenus et des bénéfices agricoles sur la période 1984-2014 en raison des difficultés climatiques ayant marqué le début des années 1980. Toutefois, cette situation (pouvant s’apparenter à de la discrimination positive) est remise en question dans le contexte actuel notamment avec une valeur ajoutée agricole ayant quasiment doublé de valeur entre 2005 et 2018 tient à soulever Oxfam Maroc.
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S’agissant de la compétition fiscale, il est vrai que l’agriculture marocaine est en compétition avec plusieurs pays de la méditerranée sur certains produits. Toutefois, le Maroc dispose des meilleurs indicateurs en termes des avantages comparatifs dans l’agriculture par rapport à ses concurrents. En effet, au cours de la période 1990-2010, le Maroc a enregistré des avantages comparatifs révélés (ACR) bien plus élevés que chez les principaux concurrents méditerranéens.
Cette domination est justifiée par une meilleure exposition au soleil, une meilleure diversification géographique et une disponibilité de la main d’œuvre. Ces avantages permettent à l’agriculture marocaine d’être à l’abri des effets de toute compétition fiscale. Ce que nécessite l’agriculture marocaine en réalité, ce n’est pas de jouer le jeu d’une concurrence fiscale dangereuse, mais d’investir dans la consolidation des avantages comparatifs. Toutefois, force est de constater que le secteur agricole est l’un des secteurs qui investit le moins , ce qui risque de diminuer les écarts avec les pays concurrents.
Enseignement privé
Il ressort que le secteur ne nécessite aucune discrimination positive. D’une part parce qu’il est en « concurrence » avec un secteur de service public, et d’autre part puisqu’il est plus convoité par les populations ayant un niveau de revenu relativement élevé, ce qui renforce les inégalités sociales.
Pour résumer, les secteurs exonérés n’affichent en réalité aucune situation justifiant les exonérations fiscales qui leur sont accordées. Il est en effet plus judicieux d’orienter les exonérations fiscales vers d’autres secteurs affichant des handicaps économiques en raison d’une défaillance étatique, ou vers d’autres secteurs nécessitant une discrimination positive pour leur permettre d’émerger dans un environnement difficile.
« L’enquête sur les ménages et l’éducation menée par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche scientifique (CSFERS) a montré que 49% des élèves de l’enseignement privé appartiennent au 5e quintile des revenus contre seulement 15% pour l’enseignement public », précise l’étude .
Pour résumer Oxfam estime que quant à l’utilisation des exonérations fiscales comme moyen d’action dans le cadre d’une compétition fiscale régionale, cette pratique reste dangereuse et peut impacter négativement l’image du pays. Le Maroc pourrait même se trouver dans l’obligation de faire marche arrière comme ce fut le cas lorsque le pays fut placé sur la liste grise de l’Union Européenne, ce qui a nécessité l’application d’un taux unifié de 15% aux sociétés de service ayant le statut de Casablanca Finance City, au lieu d’un taux réduit de 8,75% pour leur chiffre d’affaire à l’export, lors de l’adoption de la LF2020.