Le tweet de l’ambassadrice de France au Maroc, Hélène Le Gal, a créé bien des remous plongeant la CSMD et son président Benmoussa au cœur d’attaques acerbes. Il a par la même occasion fait un mélange des genres sans précédent entre modèle de développement marocain, pacte économique entre le Maroc et la France et le pacte productif français. L’analyse.
On oublie tout : confinement, déconfinement, tempête de grêle, Loi de Finances rectificative, relance… l’espace d’un week-end, l’opinion publique, du moins une partie présente sur les réseaux sociaux, s’est focalisée sur le tweet d’Hélène Le Gal, l’ambassadrice de France au Maroc.
Le vendredi 5 juin en début d’après-midi elle fait un retweet du tweet de la Commission spéciale sur le modèle de développement suite au délai supplémentaire de 6 mois accordé par le Roi, et dans lequel elle ajoute « Je remercie Chakib Benmoussa, Président de la @CSMDMaroc et @AmbaMarocFrance pour m’avoir présenté ce matin un point d’étape de la @CSMDMaroc : de très belles perspectives pour le nouveau pacte économique… ».
Il n’a pas fallu moins pour que ce sujet devienne une tendance au Maroc, et soit vilipendé par les internautes marocains. La commission et son président sont également éclaboussés par ce tweet, fortuitement ou volontairement, chacun y va de sa propre analyse. « Point d’étape », point de discorde n’a jamais été autant recherché sur Google !
Et ce n’est pas la première fois que les internautes marocains sont scandalisés par un pareil ton dans tweet. Rappelez-vous le tollé provoqué par le tweet du Président français Emmanuel Macron relatif aux rapatriements des Français bloqués au Maroc.
Le soir même, du 5 juin, aux alentours de 20 h, la CSMD précise dans un tweet que la rencontre en visioconférence a eu lieu suite à la demande de l’ambassadrice, à l’instar d’autres échanges avec des ambassadeurs de pays amis et représentants d’institutions internationales. Ainsi l’objet de cette rencontre était selon la CMSD l’occasion d’aborder les relations Maroc-France, et Afrique-Europe post-Covid, les conséquences de cette crise et les défis qu’elle pose, et l’approche participative inédite de la CSMD
Force est de constater un large écart entre les deux tweets dans la forme et dans le fond. Les enjeux également !
Se qui se passe sur Twitter se règle sur Twitter ?
Avec ces tweets nous sommes vraiment bien loin de la guerre des tweets que se livrent par exemple les responsables américains et leurs homologues chinois.
Toujours est-il que le tweet de l’ambassadrice a jeté, volontairement ou involontairement, le discrédit sur le travail de la commission qu’un tweet ou une déclaration de Benmoussa à quelques médias ne sauront à eux-seuls, remettre les pendules à l’heure. Il ne s’agit pas pour nous d’analyser les enjeux pour la partie française d’un tel tweet, ce qui importe le plus est d’en mesurer l’incidence sur ce chantier souverain de réforme du modèle de développement.
La CMSD, fixant son objectif premier, a opté depuis le début de ses travaux d’informer en flux continu sur ses activités. Or, dans ce cas précis, elle aurait gagné à prendre les devants et communiquer également et en premier sur les rencontres de son président dans le cadre de ses prérogatives en son sein, lorsqu’il porte la casquette de président et non en sa qualité d’ambassadeur, pour lever toute confusion et mélange des genres. Y compris sur l’échange qui a eu lieu le 23 avril entre Benmoussa et Fisher, l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique.
La CSMD a fait le choix de ne pas démentir clairement et largement les propos de l’ambassadrice de France, puisque les propos de Benmoussa contredisent ce que l’ambassadrice a rapporté dans son tweet. Un choix très discutable au moins pour trois raisons.
La première et plus évidente est l’importance de ce chantier de réforme du modèle de développement du Maroc, dont le Souverain a dessiné les contours comme étant un travail marocain pour les Marocains, et les grands espoirs qu’il suscite auprès des citoyens marocains. Le propos est clair : ce chantier est une affaire interne au pays.
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Non moins important est le fait que la commission avance en terrain miné et que beaucoup de parties l’attendent au tournant voire cherchent à décrédibiliser son travail. D’ailleurs le travail mené par la commission durant ces derniers mois a fini par convaincre les plus sceptiques qu’un changement concerté et participatif est possible.
Donc une occasion ratée pour insister sur l’objectif du travail de la commission, sa méthodologie, sa neutralité et surtout maintenir autrement l’intérêt des citoyens pour ce projet retardé de six moins supplémentaires.
Peut-être a-t-on privilégié de rester concentré sur la mission première de la Commission et laisser faire, laisser parler et surtout laisser au temps de faire son effet, les tendances sur les réseaux sociaux changeant régulièrement au gré de l’actualité, en espérant que cet épisode soit vite oublié. Auquel cas, Benmoussa, stoïque, a tout pris sur le dos.
D’où sort ce nouveau pacte économique ?
La troisième raison qui justifie une communication de la part de la CSMD et pas seulement elle, est que le tweet d’Hélène Le Gal évoque à la fois le modèle de développement et le futur pacte économique entre le Maroc et la France, créant ainsi un parallèle entre les deux là où il en n’existe pas.
Le seul lien logique entre les deux est que le président de la commission est également ambassadeur du Royaume du Maroc en France. Mais les observateurs ne sont pas de cet avis, estimant que la France veut s’ingérer dans une affaire interne en imposant ce pacte pour assurer ses intérêts économiques dans le pays. C’est à la CSMD de lever cette confusion, surtout avec le pacte productif que le président français devait présenter en avril dernier.
Dans un contexte géopolitique mondial très tendu, tous les scénarios restent possibles. Et l’un des scénarios persistants et relayés par les observateurs suite au tweet d’Hélène Le Gal est celui d’une France exaspérée par les réalisations du Maroc, notamment la diversification de ses partenaires étrangers et un leadership incontesté en Afrique.
La crise du Covid n’aidant en rien, chaque pays cherchant à s’en tirer à moindres dégâts et trouver des points de croissance là où il y en a, les relations entre les deux pays sont régulièrement l’objet de tensions. Mais ces derniers mois, un sujet revient en boucle, notamment dans les déclarations très polémiques de Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie et des Finances : celui de l’industrie automobile, qui au Maroc pivote essentiellement autour de deux constructeurs français : Renault et Peugeot-Citroën.
Et c’est lors de la visite de ce dernier au Maroc en janvier 2020, et sa rencontre avec Mohamed Benchaâboun et Moulay Hafid Elalamy, qu’il évoque ce fameux pacte économique dont on sait uniquement qu’il concerne la place des PME, les nouvelles technologies, la décarbonation des productions, l’ouverture à l’Afrique… selon les propos de Le Maire.
A ce niveau, il relève de la responsabilité des départements concernés que sont l’Economie et de l’Industrie d’informer davantage sur ce pacte, ses tenants, ses aboutissants, où en sont les discussions et rassurer l’opinion publique que la recherche de nouveaux leviers d’approfondissement du partenariat avec la France se fait d’égal à égal et dans la stricte défense des intérêts suprêmes du Maroc. Ce n’est pas du populisme de dire que chacun prêche pour sa paroisse !
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Bien dit. Très bonne analyse.