En évoquant hier les scènes de guérilla urbaine auxquelles nous assistons durant les célébrations d’Achoura et les risques auxquels nous sommes tous exposés, nous étions loin de nous douter que la pire de nos craintes allait se produire.
A Derb Ghallef, où la vie des familles est plutôt dure, la célébration d’Achoura est sacrée et observée à l’extrême comme une parenthèse de festivité qu’on arrache au quotidien difficile. Et alors que les pétards retentissent de plus en plus violemment dans le quartier et les jeunes s’excitent de plus en plus, Walid, 19 ans, orphelin des parents et élevé par sa sœur reçoit une « grenade », un pétard particulièrement dangereux en libre circulation au Maroc, dans le cou. Le sang gicle, Walid s’affale. Il perd tout son sang en quelques minutes. Les opportunistes prennent photos et vidéos. Les enfants du « derb » essayent de lui porter secours mais en vain.
Quelques ruelles plus loin, dans l’une des maisons de Derb Ghallef, de braves femmes, aides ménagères et ouvrières pour la plupart, se partagent un bon plat ce soir d’Achoura. Un moment hors du temps où elles s’amusent comme elles peuvent. Leurs éclats de rire sont interrompus par les jeunes qui viennent annoncer à la sœur de Walid de ce que lui est arrivé. Un cri strident déchire le ciel… Son frère ou plutôt son fils, puisqu’elle l’a élevé comme tel et a réussi à en faire un jeune homme honnête et apprécié de tous s’est en allé… alors qu’elle lui a parlé il y a quelques minutes seulement. Il était rentré de son travail, a rompu le jeûne avant de sortir dans le « derb » pour voir comment se déroulaient les festivités d’Achoura.
Ce qui devait être un moment de fête s’est transformé en un moment de deuil ! La police tente d’élucider les circonstances du drame, mais après quoi ? Hier après-midi, Walid a été accompagné à sa dernière demeure par une foule de gens indignés de ce qu’il lui était arrivé.
Mais combien de Walid faudra-t-il encre sacrifier avant de voir la loi respectée strictement ?
Combien de ces mères éplorées, passé le chagrin, oublié le drame, donneront elles-mêmes de l’argent pour s’amuser durant le Achoura ?
Combien de jeunes effaceront rapidement de leur esprit la scène d’une extrême violence où Walid s’affale, le regard hagard ne comprenant pas ce qu’il lui arrivait, et se laisseront aller au jeu stupide des pétards ?
Et combien de journalistes, après s’être indignés, passeront à un autre sujet pour ne pas reparler de ce problème de pétard l’année prochaine ?
A méditer !