Après deux mois de boycott que connaît actuellement le Maroc, ce n’est que ce jeudi 14 juin que « l’élite » s’est enfin manifestée.
Elle s’est fendue d’une déclaration signée par près d’une centaine d’acteurs connus dans leurs domaines respectifs, pour condamner la politique de la sourde oreille des autorités publiques et pour attirer l’attention sur la gravité de la situation actuelle du pays.
Ce jeudi 14 juin, une déclaration signée par près d’une centaine d’acteurs issus de domaines divers, vient enfin faire une analyse de la situation actuelle du Maroc, marquée par un boycott qui dure depuis deux mois, mais dont les origines sont à chercher du côté de la réponse des autorités publiques aux attentes exprimées lors du printemps arabe.
D’ailleurs, le texte qui insiste sur le caractère légitime des manifestations populaires de ces dernières années, souligne que « Après l’élan d’espoir de 2011, le capital de confiance s’est graduellement érodé, du fait des déceptions successives, dues en particulier à l’abandon des promesses de lutte contre la corruption et le système de rentes, à la dégradation des secteurs sociaux et au maintien en veilleuse des institutions de gouvernance ».
Les mêmes causes reproduisant les mêmes effets, nous avons rapidement assisté à des foyers de tensions sociales aussi bien au Rif, à Jerada, que Zagora. Les signataires dénoncent dans leur déclaration que l’Etat tente à chaque fois la même approche pour contenir la situation « il commence par faire la sourde oreille, puis il passe à l’intimidation et aux accusations de trahison, puis revient aux tentatives de dialogue, avant de recourir aux menaces qui finissent en répression souvent disproportionnée ». Or, le récent appel au boycott a mobilisé un mouvement de masse sans précédent couvrant toutes les régions du Royaume, avec « l’avantage ultime de ne pas donner prise à la répression que l’Etat mobilise régulièrement contre les protestataires », lit-on dans la déclaration. Le document aborde également la problématique de la décrédibilisation de toute médiation possible et l’érosion du capital de confiance. Toute communication officielle est dans ce sens rejetée, à tort ou à raison. Pis, les gens puisent désormais les informations dans les réseaux sociaux avec tout le risque afférent à l’usage exclusif des réseaux sociaux pour s’informer.
Une communication politique très maladroite
La déclaration n’a pas du tout été tendre avec le gouvernement dont l’incapacité de gestion de crise a été révélée au grand jour. « Les sorties irresponsables de certains de ses membres, son silence radio total au début de la campagne, sa rétention de l’information, l’ont réduit à un rôle de défense des entreprises concernées », note la déclaration.
Idem pour le parlement censé représenter le peuple. A cet effet, la déclaration sur le boycott n’y va pas par quatre chemins pour dénoncer l’attitude du Parlement qui a tardé à présenter le rapport de la commission d’information des députés sur les prix de vente des carburants. Ledit rapport avait éclaté le scandale des profits et marges gagnés par les compagnies de distribution depuis la libéralisation des prix. « La commission parlementaire n’a pas trouvé judicieux de formuler des recommandations et de préconiser par exemple des formes de remboursement de ces surprofits au bénéfice des secteurs sociaux prioritaires. De même, la commission a préféré occulter les forts soupçons d’entente illicite sur les prix de vente violant de manière flagrante les lois et usages de la saine concurrence, privilégiant ainsi les calculs partisans au détriment de l’intérêt général », fustigent les signataires. Le manque de tact et la faible connaissance de crise a également déteint sur les entreprises concernées qui « n’ont pas réagi de manière appropriée car elles n’ont pas saisi les changements structurels et stratégiques dont le mouvement est porteur, la mutation qu’il révèle dans les formes de protestation, et le refus du maintien ou du retour au statu quo ante », souligne la déclaration.
Tabler sur l’essoufflement du mouvement ?
Il serait erroné de tabler sur le temps pour que le mouvement de boycott s’amenuise. En effet, cet appel d’avril a fini par créer une communauté et éveiller les consciences sur une nouvelle manière d’exprimer sa voix ; les autres moyens étant largement abandonnés par les Marocains. D’ailleurs deux mois plus tard, le boycott se poursuit et des rappels sont régulièrement lancés sur la toile. Il a même pris une tournure politique avec l’incident dont Lahcen Daoudi s’est fait l’auteur et le rétropédalage du PJD sur une prétendue démission dudit ministre n’a fait qu’empirer la situation. Même ceux qui n’adhéraient pas au mouvement lui témoignaient ouvertement leur soutien.
Interpellés par la tournure que prennent les évènements au Maroc, les signataires soulignent effectivement que la politique de la sourde oreille suivie par les autorités publiques vise à l’évidence à laisser le mouvement populaire s’essouffler, plutôt que de travailler à corriger les causes du malaise et traiter les revendications et les attentes légitimes des citoyens. Ce qui risque de multiplier les mouvements protestataires et les doter de modalités inédites. «Il est impératif par ailleurs de mettre en garde contre le risque de dévoiement de la campagne de boycott. De la défense d’intérêts légitimes des citoyens visant une société où règne l’égalité, la cohésion et la justice sociale, elle peut être fourvoyée dans des surenchères qui lui ôteraient sa légitimité et son efficacité », précise la déclaration.
Les signataires, estiment qu’il faut faire de cette crise l’occasion de rectifier la situation à travers des actions immédiates et toutes incitatives pouvant rétablir la confiance. Ils insistent sur l’urgence d’agir car pour eux, le boycott n’est qu’une des manifestations saillantes de la gravité de la situation actuelle du pays.
La déclaration a été largement diffusée auprès de la presse, mais finira-t-elle par parler aux concernés ?
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