(Lecture dans le livre de Nouzha Guessous : « Une femme au pays des fouqaha ».
Fès, avec, son université Qarouyines est incontestablement le berceau des sciences religieuses au Maroc. C’est aussi cette ville qui a enfanté les premières élites féminines instruites du pays. Ce n’est donc pas un hasard que les auteures et militantes des droits des femmes soient nombreuses à porter des noms fassis, Nouzha Guessous, l’auteure du livre, et les autres auxquelles j’ai repensé tout au long de ma lecture, Siham Benchekroun, Hakima Lebbar, Soumya Naamane Guessous, l’illustre Fatima Mernissi, et la liste n’est pas finie… Ces femmes ont toutes fait de la question féminine un axe fondamental de leurs œuvres respectives. Elles ont en commun avec Nouzha Guessous d’être au pays des fouqaha, elles entreprennent toutes de « tuer le père ».
Après une brève première partie d’une quinzaine de pages sur le « mobile » du livre, l’auteure prend son lecteur par la main et lui fait franchir le pas d’une centaine de pages d’introspection émouvante, attachante, intime et surtout pertinente parce qu’on en ressort « contaminé » des ressentis de la petite fille et de la jeune dame qui a vécu dans sa chaire et sa psyché la condition féminine de la deuxième moitié du siècle dernier avant d’être membre de la Commission Royale consultative chargée de la révision du Code de la famille (2001-2004).
Personnellement, je me souviens du déchirement de la société marocaine en 1999 autour de la réforme du code du statut personnel comme étant un moment majeur de l’histoire récente du pays. Les deux marches de Rabat et de Casablanca étaient effrayantes parce qu’elles ont montré à quel point la société marocaine était dangereusement clivée, polarisée même ! C’est ce qui me fait penser que le livre et la démarche de madame Nouzha Guessous sont extrêmement bienvenus. Il s’agit, je crois, pour nos intellectuels d’anticiper et de neutraliser les probables déchirements sociaux qui pourraient ressurgir autour de ce sujet grave qu’est l’égalité femmes-hommes et la famille.
Cependant, le ton provocateur (voire railleur) des cent pages de la troisième partie laisse perplexe : L’auteure reprend une série d’arguments des fouqaha qui étonnent par leur absurdité, frôlent le ridicule ou le caricatural. Je me suis dit à un certain moment que le titre pourrait être transmuté pour devenir « Une femme au pays de la foukaha » !
Perplexe, je disais, parce qu’on se demande si la démarche est bien choisie, c’est-à-dire : est-ce qu’il était nécessaire de tourner les foukaha en dérision ; est-ce que les propos sont authentiques, peuvent-ils être vérifiés sur les procès-verbaux des travaux de la commission ? Ne sont-ils pas pris hors contexte de discussions plus élaborées ?
On a du mal à imaginer que des arguments aussi superficiels qu’absurdes puissent constituer l’essentiel des débats d’une commission de ce rang ! Perplexe aussi parce que j’ai eu le sentiment que, au-delà des foukaha, ce sont les sciences religieuses qui sont mises à l’échafaud et qu’on veut « tuer avec le père ». À la page 216, la membre de la Commission Royale exprime son amertume contre le sentiment ou le fait que les oulémas ne lui « reconnaissaient pas la légitimité d’accéder aux territoires desdites « sciences de la religion ». Elle dit à ce propos : « C’était peut-être le plus dur, car je le vivais comme une infantilisation visant à me priver de mon droit à m’exprimer, pour me soumettre ».
Madame Guessous est biologiste de formation, comme Siham Benchekroun, Asma Lamrabet est médecin, Hakima Lebbar est psychanalyste, Soumaya Guessous est sociologue… ces femmes aussi brillantes que militantes doivent être très probablement frustrées, voire en colère, de se voir refuser le débat au nom d’une herméticité (réelle ou prétendue) des sciences religieuses. Et elles auraient sûrement raison.
D’où la morale que je tire personnellement de ce livre : il faut que les élites intellectuelles, scientifiques et religieuses de ce pays trouvent le moyen de dialoguer de manière constructive pour nous éviter les déchirements très probables, semblables à celui de 1999, et surtout pour nous permettre de trouver la voie de l’évolution, dans la sérénité.
Par Mohammed Mesmoudi
Docteur en droit et chercheurs en politiques publiques
1 comment
Bonjour et ravie de lire ces quelques lignes qui en disent long sur la condition des femmes au Maroc merci à toutes ces dames qu a citées mon amie NEZHA je vous félicite et vous dit que le combat continue toujours