Jacques Chirac, l’Ami : Le Maroc vient de perdre un ami et un père. Il n’était pas seulement le Président de la France, partenaire politique et économique du Maroc par excellence, mais il fût surtout un Grand Ami du Maroc.
Nous garderons toujours en mémoire ce 14 juillet 1999 lorsque le Président de la France Jacques Chirac reçoit feu le Roi du Maroc Hassan II en 1999, année du Maroc en France, en tant qu’invité d’honneur lors de la cérémonie de célébration de la fête du 14 juillet. C’était la dernière apparition publique d’Hassan II avant l’annonce de son décès le 23 juillet, soit moins de 10 jours après cette belle cérémonie où l’on a vu des troupes de la Garde royale marocaine défiler sur les Champs-Elysées au son de la Marche verte. C’était la deuxième fois dans l’histoire qu’un contingent étranger prenait part à la traditionnelle parade militaire française. Hassan II assiste à l’hommage appuyé de la France, bien que quelque peu tardif aux troupes marocaines qui avaient participé à la libération de la France en 1945.
L’amitié de Jacques Chirac pour le Maroc s’est inscrite sur un long chemin marqué par la consolidation des relations maroco-françaises avec un Nouveau cadre de la coopération, qui se décline par la naissance d’un Partenariat stratégique et allant du processus de Barcelone au Statut Avancé dans le contexte d’un partenariat régional Maroc/Union Européenne.
L’amitié de Jacques Chirac avec le Maroc se traduit d’ailleurs sur plusieurs volets et se confirme d’ailleurs dès sa première visite d’Etat officielle en tant que Président de la République Française au Royaume du Maroc, les 19 et 20 juillet 1995, soit deux mois après son élection à la magistrature suprême de l’Etat français. A cet occasion, il déclara lors du dîner officiel offert par le Roi Hassan II, son amitié inébranlable pour le Maroc, son Roi et son Peuple : « Permettez-moi de vous dire mon émotion, ce soir, au terme de ces deux journées où le Maroc, son souverain et son peuple, ont marqué tant d’attentions et d’amitié à mon égard et à l’égard de la France. Cette visite, dans le cadre familial que vous avez souhaité, montre combien l’intimité des rapports entre nos deux peuples est exceptionnelle »[1].
Le Président français ne peut s’empêcher de citer le Général de Gaulle, qui en accueillant le Roi Hassan II à Orly le 26 juin 1963, prononçait une phrase qui « reste plus que jamais d’actualité » selon lui : « Nous voyons en Votre personne un Etat maître de lui-même, fidèle à ses traditions et, en même temps, résolu à s’ouvrir toutes les voies de la civilisation moderne. Comment un pareil effort ne serait-il pas aussi sympathique que possible à la France ? D’autant plus qu’il se développe sans nulle atteinte à notre amitié[2]».
Jacques Chirac exprime tout son respect et son amitié pour le Maroc qu’il trouve comme un pays ancré dans la tradition et ouvert en même temps au progrès. D’ailleurs il le définit en citant encore son mentor et maître de pensée le Général de Gaulle : « Cet Etat national et populaire, fidèle à ses traditions et ardemment tourné vers le progrès, fondé sur une constitution votée à la majorité immense et enthousiaste de ses citoyens, que nous voyons et honorons en Votre personne. C’est avec cet Etat que la République française traite de nos intérêts communs »[3].
Lors de ce dîner, il formule le souhait de voir l’amitié avec le Royaume du Maroc se développer davantage. Il ne manque pas l’occasion pour déplorer que des relations bilatérales aussi étroites et diversifiées, « manquent un peu de ce supplément d’âme et d’affection qu’elles n’auraient jamais dû cesser d’avoir », faisant allusion à l’ère Mitterrand où les relations maroco-françaises étaient tendues et secouées par plusieurs crises.
Pour marquer cette visite des sceaux de l’amitié, Jacques Chirac déclare le 20 juillet 1995, à partir de Rabat, le déblocage d’une aide financière d’urgence de 1,5 milliard de Francs pour lutter contre la sécheresse au Maroc. Au total, la France débloquera en 1995 plus de 2 milliards de Francs d’aides diverses en faveur du Maroc, soit un record comparativement aux 800 millions d’aides annuelles de Paris à Rabat. « A situation exceptionnelle, aide exceptionnelle », justifiait alors l’entourage du président[4].
L’amitié du Président Chirac ne s’arrêtait pas au stade de la coopération entre les deux pays, mais par des prises de position symboliques, comme « la grâce partielle » qu’il a accordée en 1996 à Omar Raddad qui croupissait depuis 1991 en prison pour le meurtre présumé de sa patronne, Ghislaine Marchal. A ce titre, le journal français Libération disait « Le Roi passe, le Président accorde sa grâce. Vendredi, au surlendemain d’une visite d’Etat de Hassan II, et à sa demande, Jacques Chirac a accordé une grâce partielle à Omar Raddad »[5].
En sus de l’amitié et des relations bilatérales excellentes entre le Maroc et la France, une convergence des analyses et positions des deux pays sur les grandes questions internationales est assez manifeste. En effet, qu’il s’agisse du règlement des tensions au Proche-Orient ou du rôle dévolu aux Nations unies dans le maintien de la paix dans le monde, et où les contingents marocains se sont souvent retrouvés – un symbole là encore -aux côtés des contingents français, ou encore des ambitions de développement vers l’Afrique.
Et pour ce qui est de la question primordiale pour le Maroc notamment la marocanité du Sahara, il faut reconnaître que la France s’est toujours positionnée avec le Maroc pour son intégrité territoriale. Jacques Chirac, non seulement ne déroge pas à ce traditionnel soutien au recouvrement de l’intégrité territoriale du Maroc mais en plus considère que « le Maroc a œuvré et travaillé dur en faveur de « Cette paix de demain », et qui ne saurait être complète tant que la question du Sahara n’aura pas trouvé un règlement juste et durable ». « La France, par un soutien constant au processus conduit par l’ONU, n’a cessé de l’appeler de ses vœux. Le temps désormais presse, mais je tiens à rester confiant dans la volonté des parties de tout faire pour permettre la mise en œuvre, dans les délais prévus, du plan de règlement des Nations unies qu’elles ont accepté », rappelle Jacques Chirac dans son discours prononcé en 1995, alors qu’il était en visite officielle au Maroc. Pour rendre à César ce qui appartient à César, la France sous Chirac n’a de cesse œuvré pour la libération totale et immédiate des prisonniers de guerre marocains détenus à Tindouf au détriment des règles du droit international.
Jacques Chirac, l’ami et le père
L’amitié de Jacques Chirac, s’inscrit dans la continuité avec l’accession du Roi Mohammed VI au Trône du Maroc.
Au moment du décès de Hassan II, le Président français en visite officielle au Nigéria, fait une déclaration le jour même à partir d’Abuja où il s’adresse aussi bien au Roi en cours d’intronisation qu’aux peuples marocain et français : « C’est une immense peine que j’éprouve à la suite du départ de Sa Majesté Hassan II, Roi du Maroc. J’adresse au Roi Mohammed VI, à tous les siens, au peuple marocain tout entier mes condoléances très affectueuses et celles de la France. Je voudrais dire aux Français qu’ils ont perdu ce soir un homme qui aimait notre pays et qui aimait les Français. Nous lui avons tous donné, le 14 Juillet dernier, un grand moment d’émotion, de bonheur, de fierté, lorsqu’il a assisté au défilé du 14 Juillet et en particulier au défilé de la prestigieuse garde royale marocaine, et je l’ai vu heureux. Je veux dire encore à tous les Marocains ma peine et mes condoléances »[6].
L’affection et la haute considération que porte Chirac à Mohammed VI sont palpables lorsque ce dernier se rend en France du 19 au 22 mars 2000 en France dans le cadre de sa première visite officielle. « Le Souverain chérifien fait l’objet d’égards protocolaires exceptionnels, qui n’ont été réservés récemment qu’au président chinois, Jiang Zemin, lors de sa visite en France en octobre 1999. Cet accueil témoigne des relations privilégiées que la classe politique tout entière entend entretenir avec le successeur d’Hassan II »[7].
Un accueil somptueux a été réservé au couple Chirac en visite à Fès en octobre 2003 sur invitation du Roi Mohammed VI. Au dîner donné en son honneur, Chirac rendra un hommage appuyé au travail de transition mené par Mohammed VI : « Depuis 1999, sous Votre conduite, le Maroc a entrepris une transition politique audacieuse et exemplaire. Vous la menez d’ailleurs avec détermination. Ce soir, je veux saluer la vision qui vous guide : celle d’un Maroc résolument engagé sur la voie du développement économique, de la justice sociale et de la démocratie »[8].
Une première reconnaissance aux troupes marocaines de 1945
L’amitié portée par le Président Chirac aux Marocains, s’illustre à plusieurs niveaux symboliques aussi. Le président Chirac choisit le Maroc pour rendre hommage aux soldats marocains ». Le Président insiste que la France porte les descendants de ces héros marocains, mais aussi à ces 700.000 Marocains qui vivent, à l’époque, sur son sol dans son cœur. Il témoigne son amitié et sa reconnaissance à cette communauté qui a participé au développement de la France. Il les considère comme des hôtes privilégiés et que la République ne tolérera pas qu’il soit porté atteinte au bien-être, à la sécurité ou à l’honneur des Marocains présents sur le sol français[9].
En septembre 2006, à quelques mois de la fin de son deuxième mandat, Chirac ému par le film Indigènes[10] fait un geste pour réparer une injustice qui a duré plus de soixante ans et qui a touché près de 80.000 vétérans, âgés de plus de 65 ans, issus de 23 pays. A l’époque de l’indépendance des Etats africains, les pensions des anciens combattants ont été gelées depuis 1959. Les inégalités se sont alors creusées, puisque les pensions des anciens combattants français étaient régulièrement revalorisées. Alors que les anciens tirailleurs percevaient en moyenne un quart de ce que touchent leurs camarades français.
De la coopération au partenariat stratégique
Les relations maroco-françaises ont beaucoup évolué depuis l’arrivée de Chirac au pouvoir en France. En effet, c’était le début de l’ère marquée par un Nouveau cadre de la coopération avec les enjeux du partenariat stratégique naissant et allant du processus de Barcelone au Statut Avancé.
L’ère Chirac (1995 à mai 2007) a un impact certain sur l’évolution importante des échanges entre les deux pays qui amorcent un nouveau virage dans les relations bilatérales qui les lient l’un à l’autre. Le Président français insiste, lors de sa première visite officielle au Maroc, en juillet 1995, sur le fait que la coopération doit accompagner et faciliter les progrès considérables réalisés par le Royaume dans le domaine de l’ajustement et de l’ouverture économique. « Ces progrès sont d’autant plus remarquables que les aléas climatiques, si décisifs pour la croissance de votre économie, ne sont guère favorables depuis quelques années. Permettez-moi, Sire, devant vous qui avez mobilisé votre peuple pour cette noble cause nationale, de diriger mes pensées vers le monde rural marocain, victime d’une terrible sécheresse »[11].
Le caractère très évolutif des relations entre les deux pays a induit d’importants changements puisqu’on passe d’une convention de « coopération » à une convention de « partenariat » reconnu comme « stratégique ». Le contenu même de la coopération change puisqu’on passe d’une coopération limitée au triptyque éducation-enseignement supérieur- recherche à un champ beaucoup plus large.
Les enjeux du partenariat stratégique naissant entre le Maroc et la France se déclinent sur plusieurs volets que sont : Enjeux économiques, Enjeux sociaux, Enjeu linguistique, Enjeu de l’immigration et Enjeu sécuritaire. Il est à signaler que lors de cette période, la France est le premier partenaire commercial du Maroc et de très loin le premier investisseur étranger au Maroc (66% des flux d’IDE au Maroc de 2000 à 2005).
La coopération sous l’ère Chirac ne dérogera pas à la tradition qui fait de l’éducation un volet fondamental des relations entre les deux pays. Il se félicite d’ailleurs de la qualité de coopération sur ces domaines : « Depuis toujours, l’éducation est au centre de notre relation. Elle nous permet, à travers les années, de rester proches, familiers, confiants (…) Forts du bilan impressionnant des établissements marocains et de nos propres établissements au Maroc, dont tant d’élèves s’illustrent chaque année aux concours de nos grandes écoles, nous recherchons ensemble les formules qui ouvriront les voies de l’excellence au plus grand nombre »[12].
Pour l’enjeu de l’émigration, les chiffres de l’émigration marocaine en France sur les douze années de mandat de Jacques Chirac sont estimés officiellement à 1.025.0000 en 2006 pour 2,5 millions d’émigrés marocains dans le monde (contre 29.942 Français immatriculés au Maroc en 2004). La France reste très largement en tête des pays d’émigration marocaine[13].
Pour l’Enjeu sécuritaire, durant ces deux dernières décennies le Maroc a été propulsé sur la scène mondiale comme acteur majeur dans la lutte antiterroriste. Et la France en est bien consciente. De ce fait, la coopération en matière de sécurité intérieure s’élargit donc à des défis de relations bilatérales et internationales.
Du processus de Barcelone au Statut Avancé
Les adhésions à des accords ou consensus multilatéraux que le Maroc et la France partagent avec d’autres pays sont multiples dont la Conférence de Barcelone de 1995. Ce processus qui coïncidait avec l’arrivée de Chirac à l’Elysée constituera une nouvelle piste de développement des relations bilatérales entre la France et le Maroc mais aussi dans un cadre beaucoup plus régional.
Il va sans dire que cette présidence française de l’UE sautera tant de verrous devant le Maroc. Chose que ne manquera pas de rappeler Chirac à Hassan II. « La France consciente des attentes que suscite au Maroc pour parvenir à un accord de partenariat avec l’Union, ou pour régler des problématiques conjoncturelles, comme celle de la révision de l’accord de pêche. A travers son président qui se propose d’être le porte-parole du Maroc auprès de l’Union et de sa présidence actuelle, et donner à la coopération euro-marocaine la place éminente qui lui revient »[14]. Mieux encore, Chirac estime que le Maroc et la France doivent être les moteurs de la construction de l’espace euro-méditerranéen.
Ce travail de plaidoyer en faveur du Maroc se poursuivra sous l’ère Mohammed VI puisque Jacques Chirac n’hésite pas à attribuer à la France le statut d’avocat du Maroc le plus ardent auprès de ses partenaires européens.
« Je me rendrai demain à Tanger afin de marquer notre engagement pour la réussite de la coopération entre le Maroc et l’Union, dans le cadre d’un « statut avancé » pour votre pays, tel que vous l’avez évoqué. Le Maroc a fait depuis longtemps le choix de l’Europe. Il doit en être le partenaire privilégié. La France veillera au maintien des dotations qu’il reçoit de l’Union européenne et militera pour la conclusion de la négociation agricole engagée avec l’Union, dans un esprit d’équilibre et de réciprocité », assurait Jacques Chirac à Mohammed VI lors du dîner donné à son honneur à Fès, le 9 octobre 2003.
Le Président français rappelle l’effort fourni par la France qui plaide auprès de ses partenaires de l’UE, pour que la dimension euro-méditerranéenne soit placée au cœur même de la construction européenne. « La France qui, vous le savez, soutient de toutes ses forces la conclusion d’un « statut avancé » pour le Maroc, comme l’a souhaité Sa Majesté le Roi, Mohammed VI, un statut qui améliore considérablement sa relation, la relation du Maroc avec l’Europe »[15].
Par Ali Lahrichi,
Docteur en Droit et spécialiste des relations maroco-françaises.
[1] Site Présidence de la République de M. Jacques Chirac : http://www.jacqueschirac-asso.fr/archives-elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/discours_et_declarations/1995/juillet/fi003809.html
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4]https://www.lesechos.fr/21/07/1995/LesEchos/16944-015-ECH_jacques-chirac-annonce-un-doublement-de-l-aide-francaise-au-maroc.htm#Pl98DC1FlISv4PlQ.99
[5]http://www.liberation.fr/evenement/1996/05/11/chirac-offre-la-grace-partielle-d-omar-raddad-a-hassan-iijacques-chirac-a-accorde-vendredi-une-grace_172912
[6] Déclaration du Président de la République, Jacques Chirac, suite au décès du Roi Hassan II : http://www.jacqueschirac-asso.fr/archives-elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/discours_et_declarations/1999/juillet/deces_du_roi_hassan_ii_declaration_du_president_de_la_republique.268.html
[7]http://www.universalis.fr/evenement/19-22-mars-2000-maroc-france-visite-d-etat-du-roi-mohammed-vi-en-france/
[8](En ligne, dernière consultation le 20 juin 2017) disponible sur : http://www.jacqueschirac-asso.fr/archives-elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/discours_et_declarations/2003/octobre/fi001656.html
[9] Ibid.
[10] Le film raconte la découverte de la guerre et de l’Europe, de l’Italie jusqu’aux portes de l’Alsace, par trois tirailleurs algériens et un goumier marocain : Abdelkader, Saïd, Mesaoud et Yassir. La guerre leur apporte la désillusion face aux discriminations mais aussi l’émergence d’une conscience politique.
[11] Site Présidence de la République de M. Jacques Chirac : http://www.jacqueschirac-asso.fr/archives-elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/discours_et_declarations/1995/juillet/fi003809.html
[12] Allocution de Jacques Chirac, Président de la République, lors du dîner d’État offert en son honneur par Mohammed VI, Roi du Maroc, à Fès, le jeudi 9 octobre 2003.
[13] Rapport Final de “Evaluation de la coopération maroco-française (1995-2005), ministères français et marocain des Affaires étrangères, p. 33.
[14] Site Présidence de la République de M. Jacques Chirac : http://www.jacqueschirac-asso.fr/archives-elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/discours_et_declarations/1995/juillet/fi003809.html
[15]http://www.jacqueschirac-asso.fr/archives-elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/dialogues_et_debats/2003/fi001655.html