Ecrit par I. Bouhrara |
Le choc pandémique du Covid-19 et celui géopolitique de la guerre en Ukraine ont pris en étau toutes les économies du monde. Certains y voient une opportunités, d’autres une véritable menace. Au Maroc, la conjoncture actuelle sévit au moment où le pays a ouvert plusieurs chantiers de réforme interdépendants les uns des autres et non achevés avec une ambition certaine de structuration notamment de l’économie. Un revers ?
La crise sanitaire a été un véritable électrochoc et un catalyseur pour revoir les priorités et œuvrer à la souveraineté vaccinale et sanitaire du Maroc et à prioriser l’éducation et autres secteurs sociaux dans le pays. Comme on dit, les meilleures leçons sont celles chèrement payées.
Mais les effets de la pandémie n’ont pas été que bénéfiques surtout pour l’économie nationale bien chamboulée pendant 2020 et là encore en 2022 en raison d’un autre choc, cette fois-ci géopolitique : la guerre en Ukraine.
Une guerre qui impacte le monde mais particulièrement le Maroc puisque cette nouvelle crise appelée à durer a modifié les priorités de l’UE premier partenaire du Maroc et dont la croissance économique (2,7 % en 2022 pour une inflation de 6,1%) influe grandement sur la demande étrangère adressée au Maroc.
Mais aussi, parce que le Royaume est dépendant des importations des énergies fossiles mais également du blé notamment ukrainien et russe.
Dans un tel contexte et au moment où le gouvernement joue au pompier quelle place reste-t-il pour mener à bien les différents chantiers prioritaires du Maroc dont celui de la restructuration de l’économie ? Particulièrement celui de l’amélioration du climat des affaires pour capter les investissements à même de booster la relance économique ?
Il faut reconnaître que le Maroc ne se laisse pas désespérer puisque ce 13 mai le chef de gouvernement a présidé la quatrième réunion Interministérielle sur la nouvelle charte de l’Investissement.
Dans ce cadre, la forte mobilisation et l’engagement des départements ministériels dans l’implémentation des différents chantiers prioritaires a permis selon l’exécutif de stabiliser les des principaux textes de la charte de l’investissement : la Loi-cadre portant Charte de l’Investissement, le Décret relatif au dispositif de soutien principal et au dispositif spécifique applicable aux projets d’investissement à caractère stratégique ; le Décret de soutien spécifique destiné à encourager le développement des entreprises marocaines à l’international ; ainsi que la définition des principales mesures prévues pour le dispositif de soutien spécifique destiné aux très petites, petites et moyennes entreprises.
Aussi, a-t-il été constaté l’accélération des chantiers de réformes facilitant l’acte d’investir et d’entreprendre, et en priorité ceux en lien avec la simplification et digitalisation des procédures ; la déconcentration administrative ; les documents d’urbanisme et autorisations urbanistiques; le foncier et les délais de paiement.
Aussi, dans un entretien accordé à EcoActu.ma, Mohcine Jazouli, a assuré que d’ici la rentrée la charte de l’investissement sera opérationnelle.
Pour sa part, le Centre Marocain de Conjoncture (CMC) relève que la suspension de la publication de Doing Business de la Banque mondiale et les perturbations engendrées par la persistance pandémique n’ont pas altéré la volonté et l’obstination du Maroc à poursuivre la construction d’un climat des affaires favorable à l’investissement et catalyseur de la croissance.
Un chantier ouvert, qui nécessite pour son édification une démarche collaborative impliquant, à la fois, la gouvernance publique, dans sa mission de protecteur des intérêts économiques et sociaux de la nation et, les acteurs du secteur privé, dans leur engagement à entretenir une compétitivité active et d’intégration dans la restructuration, en devenir, des échanges internationaux.
Même son de cloche lors du Congrès international de l’investissement et des enjeux du développement (tenu à Dakhla, en mars 2022, sous le thème « Une vision internationale et un leadership marocain ») n’a pas manqué de rappeler la nécessité de parachever les réformes économiques, institutionnelles et réglementaires, pour parfaire l’environnement des affaires.
Le Maroc peut toujours, dans cette démarche, prendre pour références les mesures édictées par le Groupe d’actions financières (GAFI), un organisme intergouvernemental dont le rôle est d’élaborer les normes, et de veiller à la promotion de mesures législatives et réglementaires intelligentes, pour lutter contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et les menaces susceptibles d’altérer le système financier international.
Pour le CMC, c’est dans ce contexte que l’on peut placer la relance, longtemps ajournée, du projet de charte d’investissement soutenu par la note de cadrage du projet de loi de finances 2022. Une relance placée sous le titre d’appui à l’opérationnalisation du Nouveau modèle de développement (NMD).
La révision du système d’encouragement des investissements devrait inciter les opérateurs à privilégier la mise en place d’activités à haute teneur en valeur ajoutée, tout en facilitant l’intégration du secteur informel. Une modernisation du tissu économique dédiée à la défense du produit national et à l’éradication des situations de rente.
Les conjoncturistes rappellent d’ailleurs que l’optimisation du drainage des investissements, vers le territoire national, est considérée par le Maroc comme l’une des priorités symptomatiques de sa quête de l’émergence, de l’entretien de la croissance et de la création d’emplois.
Animé par cette motivation, le pays s’est doté, depuis 2010, d’une institution, sous l’intitulé de « Comité National de l’Environnement des Affaires » (CNEA), dédiée au suivi du processus des réformes. Son objectif est d’aider à l’instauration d’une gouvernance susceptible de manager une économie robuste, à même de relever les défis de la productivité et de la compétitivité.
La charte d’investissement : les impératifs à tenir en compte
Le corpus, à mettre en place, doit s’insérer dans une cohérence de l’ensemble de l’écosystème, dans le respect d’une prise en considération exhaustive des déterminants de l’investissement, dans ses manifestations plurielles entre le régional, le national et l’international, soutiennent d’emblée les conjoncturistes.
L’objectif majeur à définir serait d’inter changer le rapport (un tiers–deux tiers) de la partition actuelle de la mobilisation de l’investissement, entre secteur privé et secteur public. Eu égard à son rôle décisif dans l’animation de la croissance et de l’emploi, le secteur privé est invité à hisser sa contribution à l’effort du développement pour atteindre la part de deux tiers du total de l’investissement à l’horizon 2035.
Ce, en raison de ses capacités présumées réactives et son aptitude concédée à apporter les correctifs nécessaires aux turbulences qui caractérisent l’environnement économique mondial. C’est par sa résilience que l’on peut entretenir la compétitivité–prix et gagner des parts de marché dans nos échanges avec le reste du monde, explique le CMC.
Aussi, le dispositif incitatif se doit-il d’être renforcé par des primes d’investissement communes, en conformité avec les Directives Royales et dans la lignée des recommandations du Nouveau modèle de développement.
Des primes spécifiques, dites additionnelles, sont également à prévoir, à l’instar de celles visant la stimulation des investissements dans les provinces démunies ou encore, celles destinées à soutenir la dynamisation des secteurs qui seraient réputés porteurs de valeurs. Un intérêt particulier serait accordé, de manière exclusive, aux projets à caractère stratégique, à l’exemple de ceux relevant des industries de la défense ou pharmaceutique…
Par ailleurs, des dispositifs spécifiques appropriés prendraient en charge les très petites, petites et moyennes entreprises, avec une mention spéciale pour le développement des investissements marocains à l’étranger, ainsi que pour l’encouragement des marocains résidant à l’étranger à fortifier leurs activités productives dans le pays d’origine. La nouvelle charte ne manquera pas de capitaliser sur les acquis de l’arsenal, juridique et réglementaire.
Elle a été renforcée, par le passé, par de nombreuses lois et règlements, portant sur la simplification des procédures et formalités administratives, par la mise en place de la version 2.0 des Centres régionaux d’investissement (CRI) et par la création des Commissions Régionales Unifiées d’Investissement… Elle est appelée à être consolidée pour mieux régir les nouveaux chantiers et combler les insuffisances de l’ancien système.
Maintenant, à supposer que l’ambition du Maroc en la matière n’ait pas été entamée par les chocs successifs, se pose une question lancinante : hormis l’aboutissement à une mouture finale, quelle priorité sera-t-elle accordée aux différents projets de décrets dans les circuits de validation législatif au moment où des lois et décrets d’autres chantiers se bousculent au portillon du pouvoir législatif ?
Mais encore, le CNEA devrait-il produire des indicateurs fiables, chiffrés et neutres de l’évolution du climat des affaires et qui serviraient d’un argument de marketing de la destination Maroc.