Ecrit par Imane Bouhrara |
Depuis le 30 décembre, date de publication des admis au concours des avocats, c’est une véritable polémique qui cristallise l’opinion publique au Maroc. La déclaration du ministre de la Justice à un média a eu l’effet de l’huile sur le feu. Aujourd’hui le sujet est posé devant le Parlement et le Ministère public.
Finir l’année dans l’euphorie de la coupe du monde et la démarrer dans la déception : c’est ce qui se dégage sur les réseaux sociaux concernant les admis au concours d’avocats. Les propos et les faits sont d’une virulence accrue, qu’ils ne peuvent être passés sous silence. En effet, si les réseaux sociaux sont le champ idéal de prolifération de la désinformation et de la fakenews, les faits relatés au sujet de ce concours sont plus que troublants.
En effet, dès la publication le 30 décembre 2022 sur le site du ministère de la Justice des résultats des deux épreuves écrites organisées le 4 du même mois, la polémique s’est propagée comme une trainée de poudre.
Les noms de famille des admis et leurs rapports familiaux avec des membres du gouvernement, de la famille des avocats ou encore de partis politiques sont étalés partout provoquant une vague d’indignation. Bien que ces soupçons peuvent sembler sans preuve, ils ont tout de même laissé planer le doute dans les esprits et l’opprobre sur toute une profession voire tout un écosystème.
A ce sujet, le ministre de la Justice va lancer une déclaration jugée des plus inopportunes dans pareils cas, attisant la polémique au lieu de la contenir. Abdellatif Ouahbi qui n’est pas à son coup d’essai a essayé de se rattraper, mais le mal était largement fait. Il gagne à ne pas trop tirer sur la corde.
Mais la polémique va-t-elle déboucher sur un véritable scandale ? Il y a lieu de souligner ici que la députée FDG, Fatima Tamni a adressé une question écrite au président du Parlement à l’attention du ministre de la Justice.
Dans son écrit, elle dénombre des irrégularités ayant entaché ces épreuves écrites du Concours des avocats. A commencer par le remplacement des questions à même d’évaluer les aptitudes des candidats par un QCM. Voyez-vous ça ?
Dans sa lettre, elle déplore également la mauvaise organisation du concours le dimanche 4 décembre en l’absence de ressources humaines en suffisance, la prolifération de la triche sans aucune intervention des surveillants, et la fuite des épreuves écrites, du matin et de l’après-midi, quelques minutes seulement après le début des examens.
La question écrite relève le taux de réussite plafonné à 2,5% alors qu’un candidat est admis dès qu’il a une note de plus de 80 sur 160, dénonçant ainsi le fait que le ministre de la Justice ait cédé aux pressions des organisations des avocats et ce contrairement à sa décision même du 14 septembre 2022 telle que modifiée et complétée par la décision du 1er novembre de la même année.
D’autant qu’elle souligne que la liste des admis et leurs liens avec certaines sphères gouvernementales, politiques mais aussi les instances ordonnables des avocats, augurent d’un véritable monopole de la profession d’avocat par une catégorie déterminée privant les « enfants du peuple » de leur chance de réussite et d’ascension sociale.
La députée a interpellé le ministre sur ce qu’il va faire pour mettre toute la lumière sur ces irrégularités, qui plombent l’équité des chances, privant d’autres candidats de leur droit et réparer ces injustices et rétablir la confiance dans les institutions de l’Etat.
Pour sa part, la Ligue marocaine pour la défense des droits humains a adressé une lettre ouverte au Procureur du Roi près la Cour de cassation et président du Ministère public pour diligenter une enquête sur la conformité de ces deux épreuves écrites et leurs résultats avec la décision du ministre de la Justice. Surtout à la lumière des déclarations de ce dernier sur des pressions qu’il aurait subies pour baisser le nombre des admis et le fait qu’il ait décidé de son propre chef et à l’encontre de sa décision du 14 septembre, en rehaussant le nombre des admis de 800 à 2081, selon ce qu’il a déclaré.
Il faut dire que là on perd un peu le fil entre les différentes déclarations de Ouahbi, qui peuvent sembler parfois totalement contradictoires.
Pour la Ligue, saisie par nombre de non admis de ce concours et qui s’estiment lésés, le ministère Public doit enquêter sur ces pressions exercées sur le ministre de la Justice, leurs auteurs, la conformité de ces deux épreuves écrites vu la suspicion de conflit d’intérêt notamment l’article 5 de la décision du ministre relative à ce concours…
La question qui se pose, est de savoir si ces requêtes remplissent les conditions de vrais recours et si c’est le cas, vont-elles aboutir avant l’épreuve orale du concours des avocats, prévue du 1er au 4 mars 2023 à l’Institut supérieur de la Magistrature, à Rabat.
En tout cas, voilà encore une polémique qui renforce un malaise au sein de la société marocaine et ce sentiment d’inégalité des chances. Les autorités publiques, face au soupçon et suspicion qu’elle suscite, gagneraient à tirer au clair dans un élan de probité et de transparence. Surtout que là, on parle pas de billets pour un match de football en demi-finale car là, le secteur concerné est celui de la Justice, ça ne pouvait pas tomber plus mal.
Voilà donc une véritable mise à l’épreuve de la notion de reddition des comptes.