La classe moyenne fera-t-elle office de chair à canon pour la phase post-Covid ? Tout laisse prédire que le prix à payer de ces trois mois de confinement sera très lourd pour la classe moyenne marocaine surtout les fractions inférieures. Analyse.
Les apparences peuvent parfois s’avérer trompeuses. Alors que le citoyen doit être au cœur des politiques publiques, dans la crise sanitaire que nous vivons, il sera amené à en payer le prix fort. In fine, le contribuable payera de sa poche le confinement, qui à la base est un choix qui privilégie l’humain à l’économique. La politique néolibérale finit toujours par prendre le dessus, malgré les discours politiques tout à l’opposé.
Les cas sont légion pour démontrer ce constat. A commencer par les frais de scolarité des écoles privées. Une aberration que les parents sont dans la contrainte de supporter face à l’atonie de l’Exécutif, alors que la loi est de leur côté. La classe moyenne est tout bonnement sacrifiée sur l’autel de la résilience économique face à la crise économique induite par la crise sanitaire. Et pourquoi pas, puisque des années durant les Marocains sont saignés à blanc en l’absence d’un service public de qualité, aussi bien dans l’éducation que dans la santé. Trois mois de plus n’y changeraient pas grand-chose !
Pis, l’Exécutif dans l’optique de préserver les intérêts économiques des entreprises, cette fois-ci du secteur touristique, mettra l’espace de quelques semaines un nouveau cadre réglementaire qui régit l’annulation des contrats entre opérateurs touristiques et clients. La loi n° 20.30 prévoit le remboursement des clients ayant fait des réservations par une reconnaissance de dette.
Imaginez un peu un cadre qui se retrouve inscrit sur la liste des bénéficiaires des indemnités forfaitaires et devrait demander un report de son crédit mais ne pourra aucunement récupérer son argent auprès d’une agence de voyage, un hôtel ou auprès de la compagnie aérienne nationale, pour faire face à la situation de crise qui a touché tout le monde sans exception.
En évoquant, ces indemnités, l’Etat a vite désengagé les entreprises de leur responsabilité vis-à-vis de leurs salariés et a dû tout aussi rapidement verrouiller les conditions d’accès à cette indemnité face à l’engouement hors norme qu’avait suscité cette mesure financée par le Fonds Covid-19, financé à son tour en grande partie par les contribuables.
L’épineux débat qui a suivi le cafouillage relatif aux intérêts intercalaires est une démonstration de plus que la raison économique prend toujours le dessus. Face à l’ampleur de la polémique, on consent une petite fleur pour les personnes ayant des échéances mensuelles de crédit allant jusqu’à 3.000 DH pour les crédits immobiliers et 1.500 DH pour les crédits de consommation. On aurait pu mieux faire comparativement à toutes les facilités faites par la Banque centrale au secteur bancaire. Mais c’est peine perdue face au sacro-saint équilibre !
On n’oubliera pas également de citer l’exemple des Marocains bloqués à l’étranger qui ont, dont l’écrasante majorité, mis la main à la poche pour survivre en dehors des frontières du Maroc, fermées à cause de la pandémie, pendant trois mois. Et certains d’entre eux ne sont pas au bout de leur peine puisqu’ils doivent contribuer à leur rapatriement. Sans oublier tous les tracas annexes pour ceux qui ont voyagé en voiture ou ceux qui ont déposé leurs véhicules dans les parkings des ports et aéroports du Royaume et qui devront s’acquitter de factures salées de stationnement (en attendant les mesures promises). Et encore c’est un moindre dégât comparativement à ceux qui ont perdu leur travail, leur commerce… ou un être cher en leur absence.
Toutes ces « victimes collatérales » représentent dans leur écrasante majorité la classe moyenne nationale (qui représente plus de la moitié de la population marocaine) censée dans un deuxième temps stimuler la relance économique. On se demande d’ailleurs par quels moyens si elle est davantage fragilisée ?
Le pire est à craindre
Mais tout ce qui est passé est une chose, ce qui arrive en est une autre ! La crise sanitaire a fait germer une crise économique sans précédent et à la lumière de ce qui précède, il est à craindre que les raisons économiques finissent par prendre le dessus sur les acquis sociaux de la classe moyenne déjà érodée par la politique néolibérale dans laquelle s’est engouffré le pays qui creuse davantage les disparités sociales.
Près de 40 ans du Plan d’Ajustement structurel qui a ébranlé la classe moyenne, la voilà encore à faire face au Covid-19 et ses retombées.
Devenue au fil des ans, une vache à lait fiscale qui fait face à une stagnation des revenus et à une recrudescence du chômage en son sein, victime de la rente économique, particulièrement dans les secteurs de l’enseignement et la Santé, la classe moyenne (ou classes moyennes) est censée aujourd’hui prendre le relais de la croissance et faire tourner la machine économique à pleine vapeur.
Dans le discours de l’exécutif, elle est bien présente… sur le papier puisqu’il n’y a à ce jour aucune visibilité sur les mesures dont elle pourra bénéficier dans la phase post-Covid, notamment les mesures qui lui seront consacrées dans la Loi de Finances rectificative. Particulièrement la préservation du pouvoir d’achat. Ce même exécutif qui ose imposer des contributions sociales aux salaires supérieurs de la classe moyenne mais qui n’ose instaurer un impôt sur la fortune.
Par contre, la classe moyenne est guettée par des risques majeurs. Le principal n’est autre que le chômage ! Pour des raisons économiques évidentes mais pas seulement. En effet, dans ses propositions de relance faites au Comité de veille économique, le patronat accorde un intérêt particulier à l’introduction d’un mécanisme de chômage partiel pour les entreprises en difficulté avec partage des coûts entre l’employeur, l’employé et l’État, et assorti d’un engagement du maintien des emplois à hauteur de 70 à 80 %.
La question est jusqu’à quelle mesure l’exécutif pourra-t-il continuer à biberonner le secteur privé et à quel prix ? L’inquiétude est motivée par les voies des syndicats qui alertent sur les possibilités de dérives et leur impact sur les acquis sociaux des travailleurs. Surtout en l’absence de filets sociaux.
Or, nulle relance ne saurait se faire sans une classe moyenne élargie et forte (aussi bien urbaine que rurale), et nulle croissance n’est à savourer si elle trône sur l’iniquité entre différents citoyens de ce pays. L’exécutif ne doit pas perdre de vue dans ses prochaines décisions, qu’en plus d’être une locomotive de développement économique, la classe moyenne est un facteur de stabilité sociale et de prospérité d’une nation.