Les pétroliers marocains peuvent souffler. L’amendement relatif à l’augmentation de la contribution de solidarité de 2,5% à 5% sur le profit des compagnies pétrolières, proposé par la Confédération démocratique du travail (CDT), a non seulement été rejeté par les conseillers mais contesté fermement par le ministre de l’Economie et des Finances.
Mohammed Benchaâboun a argumenté ses propos, lors de la Session de la Commission des finances, de la planification et du développement économique à la Chambre des conseillers tenue le lundi 2 décembre, par le fait que ce sujet entre dans le cadre de la concurrence qui est régie par la loi n° 104-12 sur la liberté des prix et de la concurrence.
Et d’ajouter que ce dossier est devant le Conseil de la Concurrence qui devra trancher sur s’il y a eu entente sur les prix ou pas entre les sociétés pétrolières.
Les pétroliers dans le viseur
Rappelons qu’après la fuite de quelques informations sur les médias en septembre dernier sur l’existence d’une entente entre les sociétés pétrolières sur le marché national des hydrocarbures, objet de la saisine contentieuse auprès du conseil, ce dernier avait aussitôt réagi. Dans un communiqué l’institution chapeautée par Driss El Guerraoui avait démenti lesdites informations en affirmant que la Direction des instructions du Conseil est encore dans la phase d’examen des réponses des sociétés pétrolières sur les griefs qui leur ont été notifiés conformément aux dispositions de la Loi sur la liberté des prix et de la concurrence. La question qui s’impose : le Conseil aura-t-il le courage, qui a manqué au gouvernement, pour dénoncer une telle pratique si entente il y a ?
En attendant, le gouvernement continue d’utiliser la carte du Conseil, comme il a fait dans le dossier des prix des hydrocarbures, pour gagner du temps. Et à voir l’aboutissement de ce dernier, il ne faut pas trop espérer. Faut-il rappeler que le dossier des hydrocarbures, qui avait défrayé la chronique et accaparé la scène médiatique, économique et politique pendant plusieurs mois, a malheureusement fini dans les tiroirs du Chef du gouvernement. La promesse du gouvernement de plafonner les prix après le rapport accablant de la Commission d’information parlementaire sur les prix des carburants n’a été, en fin de compte, que de la poudre aux yeux pour calmer la rue et mettre fin au mouvement de boycott. En effet, aucune suite n’a été donnée à ce dossier malgré le fait que la commission ait relevé des bénéfices de plus de 17 Mds de DH des pétroliers depuis le 1er décembre 2015, date d’entrée en vigueur de la libéralisation des hydrocarbures. Certains parlent même de 21 Mds de DH de gains directement prélevés de la poche des citoyens. Mais pourquoi la CDT a-t-elle visé uniquement les pétroliers ? Contacté par nos soins, Abdelhak Hissane, conseiller de la CDT nous a précisé que « la raison pour laquelle nous avons visé ce secteur par cet amendement c’est parce que c’est le seul secteur qui a réalisé autant de bénéfices en seulement 3 ans et de façon illégale comme révélé par le rapport la Commission d’information parlementaire sur les prix des carburants ».
La solidarité à l’épreuve
La CDT appelle les pétroliers à rendre aux caisses de l’Etat, ne serait que peu, une partie de ces bénéfices. Surtout dans une conjoncture où le gouvernement est en quête de financement . « Ça serait un signal fort pour les citoyens qui subissent de plein fouet les conséquences de la libéralisation », nous a-t-il affirmé.
Ce qui est clair c’est que les intérêts des pétroliers sont bien protégés. Il ne s’agit pas d’attaquer pour attaquer ces acteurs importants pour notre économie mais de tirer la sonnette d’alarme sur cette injustice sociale qui ne cesse de se creuser. Pis encore lorsque le ministre des Finances refuse l’application de l’impôt sur la richesse (également rejeté par les conseillers) par peur de voir ceux qui ont de l’argent ou les investisseurs quitter le pays alors qu’il n’hésite pas à appliquer tout type de pression fiscale et sociale aux plus vulnérables (qui risquent d’aller nulle part), on se demande où réside finalement cette connotation sociale du PLF 2020 ?
Pour revenir à la proposition des 5% qui a été rejetée, une question s’impose d’emblée : En quoi l’augmentation de la contribution de solidarité sur les compagnies pétrolières, qui ont plus que doublé leur bénéfice, est-elle en contradiction avec la loi sur la concurrence ?
Une question est légitime puisqu’à la lecture du règlement de la contribution sociale de solidarité sur les bénéfices et revenus, il ressort que la seule condition à son application aux sociétés est que ces dernières réalisent un bénéfice net de l’exercice comptable égal ou supérieur à quinze millions (15.000.000) de DH. Aucune mention n’est faite de la loi de la concurrence à laquelle le ministre des Finances a fait référence. A bon entendeur !