« Corona, mondialisation et dérèglement du monde : entre extinction et survie de l’humain », de son auteur Abdelmoughita Benmessaoud Tredano, Professeur de sciences politiques et de géopolitique à l’Université Mohammed V de Rabat, livre une radioscopie de ce que nous vivons actuellement sous le double choc d’une mondialisation débridée et d’une pandémie inédite.
« Deux choses menacent le monde, l’ordre et le désordre ». Dans « Corona, mondialisation et dérèglement du monde : entre extinction et survie de l’humain », édition Novembre/Décembre des Cahiers libres de la Revue marocaine des sciences politiques et sociales , le coronavirus n’est pas traité comme déclencheur d’un processus et révélateur d’une crise multidimensionnelle que connaît présentement l’humanité.
La mondialisation, non plus, n’est pas examinée comme un mode de production et de distribution des richesses et une forme d’organisation de l’économie mondiale mais plutôt sous l’angle des effets dévastateurs qu’elle a générés et continue à le faire.
Les effets des deux, conjugués, conduiraient éventuellement à un changement de paradigme dans le monde actuel, notion entendue, selon Edgard Morin dans un ouvrage très récent, comme » signifiant le principe d’organisation de la pensée, de l’action, de la société, bref de tous les domaines de ce qui est humain ».
Seulement si une prise de conscience universelle est réalisée.
Et l’auteur de la complexité et de l’approche du penser global des phénomènes d’ajouter : « je pense également que la gestation d’un nouveau paradigme se fait dans la douleur et le chaos, sans pourtant qu’on soit certain qu’il puisse émerger et s’imposer. Un changement de paradigme est un processus long, difficile, chaotique se heurtant aux énormes résistances des structures établies et des mentalités ».
Le contenu de cet essai, signé par le Professeur Abdelmoughit Benmessaoud Tredano, est au carrefour de l’économie, du politique, de la géopolitique, des rapports de compétition entre les Etats et des groupes d’Etats, bref du devenir de l’humain…
Le monde actuel, marqué par l’incompréhension totale, des déchirures de tous ordres, des guerres identitaires, le positionnement des puissances, est sous le coup de nombreuses et nouvelles menaces.
Elles font peser sur le monde, selon certaines thèses, la menace d’une fin terrifiante !
Pourquoi et comment on en est arrivé là ?
L’ORIGINE DU DÉRÈGLEMENT ET LES MOYENS DE DÉPASSEMENT
Mondialisation débridée, « islamisme radical » et violent, « choc des civilisations » ou suivant l’heureuse formule d’Amine Malouf de leur épuisement, tentation des grandes puissances à vouloir tout accaparer, émergence de nouvelles puissances et leurs revendications relatives, somme toute légitimes, à un monde différemment organisé…
Ce cocktail de facteurs constitue, en fait, à la fois les raisons de déclenchement et les conséquences qui en découlent.
Au regard de tous les dégâts occasionnés par le mode économique et de pensée dominant, les menaces qui en découlent et pèsent sur le monde, que faire pour éviter à l’humanité un avenir apocalyptique ?
Il n’y a pas de recettes magiques. Tout ce qu’on peut espérer c’est, par la réflexion des uns et des autres, de parvenir à explorer des pistes devant créer chez l’humain un sentiment d’espoir, de sérénité et de quiétude et surtout la conviction qu’un monde différent est possible !
Il faut d’abord commencer par réformer la démocratie là où elle existe.
L’installer là où elle n’arrive pas à s’ancrer.
La démocratie dans la misère n’est pas concevable. Le développement sans la participation des citoyens peut paraître difficilement réalisable.
Toute la question est de savoir comment concilier entre la nécessité démocratique et l’impératif du développement ?
Comment les conjuguer au niveau local et global ?
Plus par un processus de persuasion et d’adhésion que par des contraintes, coercitions et violences guerrières exercées par les puissances étrangères.
On connait suffisamment les conséquences désastreuses, occasionnées par ce type d’interventions en Irak (2003) et en Syrie depuis 2011, pour ne pas les condamner et les repousser comme modalité de gestion de crise.
Les enjeux politiques, géopolitiques, les intérêts liés au pétrole, aux réseaux de Gazoduc (le cas de la Syrie), à la sécurité d’Israël et à l’émergence de la puissance iranienne ont davantage motivé l’ingérence occidentale qu’une volonté de démocratisation globale !
L’UNICITE DE L’HUMAIN
Partant du constat de l’unicité de l’humain et des limites de la planète et des risques de sa dévastation par une tentation infinie et maladive de production, il serait souhaitable, nécessaire, voire impératif d’explorer les pistes de réflexion suivantes :
- Substituer l’idée de choc des civilisations (Samuel Huntington) à celle non pas de la coexistence mais d’une imbrication et d’une osmose fécondes entre elles, voire pour une culture de l’empathie.
- Penser l’organisation du monde ensemble n’est pas une vue d’esprit mais une nécessité impérative :
En effet, l’idée de la gestion commune du monde s’impose plus que jamais, tout en évitant la formule de Jacques Attali d’un gouvernement mondial, dont la finalité n’est pas au-dessus de tout soupçon.
L’organisation du monde en plusieurs puissances mondiales avec la coexistence de puissances régionales, chargées concomitamment d’assurer la sécurité et la coopération dans leurs régions respectives…
Un monde à la Georges Orwell (sous sa forme chinoise ou nord-coréenne) doit faire l’objet d’un débat (entre efficacité des régimes autoritaires et fragilité des régimes démocratiques face aux crises) et céder, peut-être, le pas à un monde où la confiance et la sérénité doivent prévaloir.
Il faut faire en sorte pour dépasser l’équation de Noam Chomsky, déclinée entre domination du monde ou sauvetage de la planète.
Le monde de demain se construit aujourd’hui.
Bref, toutes les pistes et propositions prospectives suggérées peuvent permettre à l’homme de retrouver son humanité et au monde sa normalité.
Il faut faire en sorte que le monde ne se décompose pas en tribus qui se font des guerres d’extermination ; la guerre de tous contre tous (Hobbes) n’est pas une fiction.
Une organisation nouvelle du monde est d’autant plus nécessaire que les prémices d’une guerre totale entre la puissance dominante (USA) et la puissance aspirante (Chine) se profileraient à l’horizon.
La guerre économique ayant marqué l’année 2019/20 entre les deux géants en est le signe précurseur.
» Penser autrement la croissance et la chose économique est devenue, depuis quelques temps déjà, une nécessité impérative ; elle passe, entre autres, par un traitement nouveau des deux équations homme /machine et homme /environnement. Les rapports qu’ils connaissent et les tendances qui s’en dégagent doivent être repensés pour une meilleure vie pour ne pas dire tout simplement la survie de l’homme. L’homme est, en effet, au terme d’une ère civilisationnelle et au seuil d’une nouvelle. Mais pour que celle-ci soit prometteuse et porteuse d’espoir, les rapports entre les pôles civilisationnels doivent changer car ils sont sur une mauvaise pente ».
En effet « …ce que l’humanité sait faire de meilleur est perverti par ce qu’elle sait faire de pire –tel est le paradoxe de notre temps. » disait l’académicien Amin Maalouf.
Si on ne prend pas garde, le chaos tant redouté ne sera pas pour des générations lointaines mais, sans jouer les Cassandre, il sera pour demain.
Ainsi, l’idée d’une civilisation de l’empathie, préconisée par Jérémy Rifkin, est une piste à creuser :
« L’homme est condamné à remodeler sa conscience ; nous devons parvenir au cours de ce XXIème siècle à un état d’esprit proche de l’empathie universelle, qui témoignera de l’aptitude de notre espèce à survivre et à prospérer ».
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