Ecrit par Imane Bouhrara |
Le nombre de création d’entreprises au Maroc en 2021 a franchi un palier record, dans un contexte économique ébranlé par la crise sanitaire. Il faut dire aussi, qu’il n’a jamais été aussi facile de créer une entreprise au Maroc, à ne pas confondre avec l’acte d’entreprendre semé d’embuches. Est-ce un signe de bonne santé, de reprise et de croissance économique… Une hirondelle ne fait pas forcément le printemps.
Selon une étude d’Inforisk, quelque 58.408 entreprises ont été créées en 2021 contre 44.817 en 2020, soit une progression de 30% sous l’effet de la reprise ou un effet de rattrapage, le fait est que c’est un chiffre record. Le pays représente ainsi 69% de création d’entreprises dans la région, contre 19 % en Tunisie et 13 % en Algérie. L’étude d’Inofrisk souligne dans ce sens une évolution au Maroc de 52% entre 2018 et 2021 contre 7% pour la Tunisie.
La question qui se pose dans notre contexte marocain est de savoir si c’est un « accouchement » naturel ou assisté. Il faut analyser les facteurs qui peuvent avoir contribué à ce score de création d’entreprises.
Est-ce pour autant un gage de forte croissance économique ? De création de valeur et d’emplois ? Bien évidemment qu’il existe une corrélation entre croissance et création d’entreprises, cela est ressassé dans beaucoup de théories et d’études économiques, souvent à l’international. Il faut donc se réjouir de la dynamique de création des entreprises au Maroc, mais pas trop.
En effet, cette corrélation est avérée pour les entreprises dites employeuses mais également dans le sens croissance du PIB vers la création d’entreprises et non pas dans le sens inverse.
A cet effet, il y a lieu de signaler que par activités, le commerce de gros représente 21% les entreprises créées en 2021, suivi par les travaux de construction, les intermédiaires du commerce de gros (19%) et le transport de marchandises 12%. Ces entreprises, constituées juridiquement et dont certaines n’entreront jamais en activité, ne seront pas créatrices d’un volume important d’emplois, a fortiori de qualité. Certaines activités sont au service de l’importation au détriment du made in Morocco et n’offrent pas une marge importante d’innovation ou de création de véritable ajoutée pour la croissance économique.
Tenant compte qu’au même titre que le Maroc, les PME représentent la quasi majorité du tissu productif dans le reste du monde, plusieurs études à l’international confirment que les taux de croissance varient très peu sous l’effet de création d’entreprises alors que les disparitions d’entreprises sont très liées à la variation des taux de croissance et fluctuent beaucoup plus. Pour 2021, on compte au Maroc 5,5 entreprises créées pour une entreprise défaillante, souligne l’étude d’Inforisk.
Ce ratio ne peut totalement confirmer que la création d’entreprise compense la décroissance due à la défaillance d’autre entreprise.
Il de surcroit important de distinguer entre création d’entreprises et croissance économique. D’autant également qu’au Maroc cette tendance à la hausse est également à mettre sur le compte des aides à la création d’entreprises au Maroc.
D’abord, il y a lieu de rappeler que le programme Intelaka lancé en 2020, a été redynamisé en 2021, à la faveur de la mise en place de mécanismes de financement garantis par l’Etat, assortis d’une réforme des CRI pour accompagner les porteurs de projets. Et bien qu’un tiers des demandes a été rejeté par les banques, il n’en demeure pas moins que c’est début de démystification de l’acte d’entreprendre.
Sans oublier toutes les autres initiatives d’incubation d’entreprises ou de startups, au service d’une dynamisation de l’entrepreneuriat et l’implémentation d’un nouveau mindset pour libérer les talents et idées des porteurs de projets.
Et dans une moindre mesure la migration de certaines activités de l’informel vers le formel pour à la fois pouvoir accéder à des marchés publics, au financement mais aussi à des mesures de soutien en cas de choc. Faut-il rappeler que les entreprises formelles ont pu maintenir la tête hors de l’eau grâce aux aides forfaitaires, report de créances et autres amnisties sociales, au moment où celles informelles ont dû affronter de plein fouet l’impact de la pandémie.
Notons aussi que ce record concerne en fait la constitution juridique des entreprises, majoritairement des SARL, avec un capital social médian à la création de 100.000 DH. Pour celles entrées ou qui entreront en activité, dans quelle mesure pourraient-elles contribuer à la croissance ?
Il y a lieu de citer deux déterminants de la croissance d’une entreprise, à savoir l’existence d’une opportunité et la capacité pour un entrepreneur de la saisir.
C’est toute la complexité de l’entrepreneuriat au Maroc. En effet, si l’acte juridique de créer une entreprise a été facilité grâce à des réformes de plus de deux décennies, plusieurs facteurs entravant persistent et entament l’ambition et l’ampleur que peut prendre une entreprise dans un secteur donné.
Notamment les compétences mêmes de l’entrepreneur, l’organisation de l’entreprise, les ressources humaines, technologiques, financières, les relations externes, etc.
Aussi, un manque de ressources financières (trésorerie mis à rude épreuve avec des délais de paiement longs) ou un niveau élevé d’endettement peuvent décourager un entrepreneur à investir dans les outils de production, dans les formations aux collaborateurs et dans le recrutement. Les ambitions de développement d’une entreprise sont de ce fait bridées. Une réalité avérée avant la crise et amplifiée par la crise, qui remet au goût du jour les difficultés auxquelles les entreprises font face au quotidien.
Cela dit, s’il faut retenir une chose importante de cette hausse de création d’entreprises au Maroc c’est la persistance de la confiance et de l’optimisme dans l’acte d’investir dans l’économie marocaine. Et non moins important, un changement de mentalité qui privilégie la prise de risque au confort du salariat. Et c’est déjà un bon début, pour le reste il y a encore du travail à faire pour transformer cette dynamique en véritable valeur ajoutée pour la croissance économique.