Lors du précédent entretien, l’économiste Omar Bakkou a dressé un aperçu sur les réformes économiques prévues par le Nouveau modèle de développement. Il a à cet égard présenté le « premier bloc de ces réformes » à savoir celles visant à améliorer l’environnement général des affaires.
Dans le présent et les prochains entretiens nous revenons avec O. Bakkou sur le « deuxième bloc de ces réformes », à savoir celles visant à transformer le mode de gestion par l’Etat des différents marchés.
Ces réformes concernent huit principaux secteurs, à savoir ceux de l’eau, l’énergie, le logement, la santé, les capitaux, les transports , les produits de base et l’éducation.
Aujourd’hui, nous allons pour des raisons « de format de notre papier », traiter avec O. Bakkou les trois premiers marchés précités.
-Quelles sont les propositions émises par le rapport de la CSMD pour améliorer la situation du « marché de l’eau » ?
Le marché de l’eau porte sur l’alimentation des ménages en eau potable et l’irrigation des terres agricoles.
Ce marché présente deux principales caractéristiques.
La première caractéristique concerne la configuration technique de l’offre dudit marché.
Cette offre requiert en effet la mise en place d’un système de production trop exigeant en termes d’investissements nécessaires pour la mobilisation de la ressource.
Ces investissements impliquent que le niveau le plus faible de coûts de production ne peut être atteint que par une entreprise unique (marché de monopole naturel).
Quant à la seconde caractéristique, elle concerne le bien objet de ce marché, l’eau.
Ce bien constitue une ressource vitale dont la disponibilité permanente à un prix raisonnable demeure un facteur indispensable de stabilité et de survie d’une nation.
Ces deux caractéristiques font ainsi que la gestion de cette ressource ne peut pas être laissée aux mécanismes purs de marché : liberté de l’offre et des prix.
Pourquoi ?
La gestion de l’eau ne peut pas s’opérer dans le cadre d’un marché libéral, du fait que ce système serait susceptible d’engendrer une gestion non optimale de la ressource à moyen et long terme.
Une gestion non optimale symbolise en fait, soit des pénuries de la ressource en périodes de sécheresse, soit des gaspillages durant les périodes de bonne pluviométrie.
Ce risque a pour corollaire que ce marché doit faire l’objet d’un encadrement strict par l’Etat.
Cet encadrement consiste à agir sur les deux paramètres indispensables pour assurer une gestion optimale de ce marché, à savoir les investissements et le niveau des prix.
–Si j’ai bien compris, les propositions de réforme concernent les investissements et les prix ?
Effectivement, en matière d’investissements, le rapport de la CSMD propose d’effectuer les investissements nécessaires pour libérer des ressources en eau supplémentaires.
Ces investissements doivent porter sur le dessalement de l’eau de mer, le traitement des eaux usées et pluviales et la réduction des pertes d’eau.
S’agissant des prix, le rapport de la CSMD propose l’adoption d’ une politique tarifaire de rupture avec celle de sous-estimation du coût de la ressource adoptée actuellement (gratuité des services des barrages et d’irrigation).
Cette rupture doit être opérée à travers l’augmentation progressive des tarifs de l’eau à l’ensemble des usagers, particuliers et agriculteurs, pour assurer la rémunération des services de mobilisation.
Cette politique de vérité des prix permettra ainsi de libérer des ressources financières supplémentaires nécessaires pour le financement des investissements précités.
-Il y a également des réformes d’ordre institutionnel à ce titre, n’est-ce pas ?
Effectivement, parallèlement à ces deux réformes paramétriques, le rapport de la CSMD propose deux autres réformes d’ordre institutionnel.
La première réforme concerne l’Office National de l’Eau et de l’Electricité.
Cette réforme consistera à rendre indépendantes financièrement les deux branches « Eau » et « Electricité ».
Cette indépendance permettra en effet de défaire la péréquation tarifaire tacite entre le secteur de l’eau et le secteur de l’énergie.
Quant à la seconde réforme, elle porte sur la mise en place de l’Agence Nationale de Gestion de l’Eau (ANGE).
Cette agence, qui viendra remplacer la Commission Interministérielle de l’Eau, pourra être chargée de traiter la question de l’eau selon une approche intégrée.
-Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
L’ approche intégrée signifie un mode de gouvernance qui permet d’optimiser la gestion de l’eau sur le moyen et long terme.
Cette optimisation devra s’opérer en tenant compte d’un ensemble de principes, notamment :
– La définition de l’allocation des ressources en eau conformément aux orientations du Conseil Supérieur de l’Eau et du Climat ;
– La déclinaison par région des politiques publiques en matière d’eau,
– L’établissement des tarifs des services des différentes infrastructures de mobilisation, de production et de transport de l’eau, etc.
-Maintenant que les propositions de réforme du marché de l’eau sont claires, quelles les propositions pour améliorer la situation du « marché de l’énergie » ?
Le marché marocain de l’énergie fait face à trois défis majeurs.
Le premier défi est d’ordre quantitatif : la production nationale est largement insuffisante comparativement aux besoins de consommation nationale.
Le deuxième défi est d’ordre qualitatif : la production nationale doit être développée dans le sens de sa conformité aux normes écologiques internationales.
Le troisième défi concerne la compétitivité : le coût de l’énergie dans le secteur industriel est largement supérieur au Maroc comparativement aux pays concurrents.
Pour dépasser cette situation, le rapport de la CSMD propose l’adoption d’une réforme profonde du secteur de l’énergie.
Cette réforme doit être opérée à travers la mise en place d’un ensemble de mesures conséquentes.
-Quelles sont ces mesures ?
Ces mesures se présentent comme suit :
-La mise en place d’une nouvelle architecture institutionnelle autour d’un régulateur fort, indépendant et transparent pour l’ensemble du secteur, couvrant également le gaz naturel ;
– La séparation du rôle des acteurs : producteurs, transporteurs et distributeurs ;
-La libéralisation responsable du secteur, notamment à travers l’ouverture effective de la production d’énergie verte à la concurrence ;
– La restructuration des entreprises publiques du secteur, et notamment l’ONEE pour lui permettre d’assurer sa fonction stratégique de modernisation du réseau de transport d’électricité et d’accompagnement de la réforme du secteur ;
– Le déploiement d’un effort à court terme pour abaisser les coûts de production des industries énergivores à travers la facilitation de leur approvisionnement en gaz naturel.
-Quelles sont les propositions du rapport de la CSMD pour développer le secteur du logement ?
Le secteur du logement se caractérise par un ensemble d’insuffisances.
Ces insuffisances concernent à la fois l’offre et la demande.
-Quelles sont les insuffisances en matière d’offre de logement ?
Le rapport de la CSMD a relevé quatre principales insuffisances en matière d’offre de logement au Maroc.
Ces insuffisances sont les suivantes :
-Le caractère peu fonctionnel de certaines formes de logement : superficies minimum, infrastructure de base, etc. ;
-Le manque de services de proximité du logement : services sportifs, transport adapté aux besoins de mobilité des citoyens, etc. ;
-La vétusté du parc de logements existant au sein des villes : quartier des anciennes médinas, logements menaçant ruine, etc.
– La faible dynamique de l’offre de location, notamment pour les ménages et individus à bas revenus.
-Quid des insuffisances relevées en matière de demande de logement ?
Le rapport de la CSMD a évoqué à ce titre la problématique de solvabilité de la demande comme l’un des freins au développement du secteur du logement notamment celui social.
-Quelles sont les propositions concrètes pour remédier à ces insuffisances ?
Effectivement, pour remédier à ces insuffisances afférentes à l’offre et à la demande de logement, le rapport de la CSMD a émis un ensemble de propositions.
Ces propositions visent à agir à la fois sur l’offre et la demande relatifs au logement.
-Quelles sont alors les propositions émises par le rapport de la CSMD pour favoriser l’offre de logement ?
Le rapport de la CSMD appelle à une nouvelle doctrine en matière d’offre logement.
Cette doctrine s’articule autour d’une idée clé .
Cette idée réside dans ce que la politique de l’habitat doit s’étendre à un concept plus large que celui de l’offre de logement à bas coût adopté actuellement.
Ce concept devra être mis en œuvre à travers la mise en place d’une offre de logement qui permet de bénéficier « d’un cadre de vie » décent.
Ce cadre de vie devra dépendre d’une multitude de critères .
Ces critères sont les suivants : superficies minimum, densité maximum, espaces verts, commerces de proximité, transports en commun, services publics, bibliothèques, aires de jeux, terrains de sport, etc.
-Ce que vous décrivez ci-dessus semble un peu théorique, y’a-t-il des propositions concrètes dans ce sens ?
Effectivement, le rapport de la CSMD a proposé un ensemble de mesures concrètes pour mettre en œuvre ce nouveau paradigme.
Ces mesures se présentent comme suit :
– La mise en place d’un régulateur indépendant pour le secteur du logement social.
Ce régulateur aura pour mission d’assurer l’adéquation entre l’offre et la demande, de définir les normes nécessaires, d’encadrer les entreprises du secteur, etc.
– La rénovation et la réhabilitation du parc de logements existant au sein des villes : quartiers des anciennes médinas, logements menaçant ruine, centres-villes historiques, etc.
Cet effort de réhabilitation pourra également être accompagné d’actions visant à valoriser le patrimoine architectural et urbanistique riche des villes marocaines.
–La dynamisation du marché de la location, notamment pour les ménages et individus à bas revenus.
Cette dynamisation permettra en effet de favoriser la mobilité des citoyens au sein du Royaume et d’appuyer un accès équitable aux opportunités.
-Quid des mesures proposées pour soutenir la demande de logement ?
Les mesures proposées pour soutenir la demande de logement peuvent être scindées en deux catégories.
La première catégorie concerne les mesures suggérées en matière d’acquisition de logement.
Ces mesures consistent essentiellement dans la mise en place d’un système d’aide financière directe ciblée pour les ménages éligibles.
Quant à la seconde catégorie, elle concerne les mesures suggérées en matière de location de logement.
Ces mesures consistent dans la mise en place de mécanismes de garantie, notamment pour les ménages et individus à bas revenus.