Il paraît judicieux de replacer le débat sur un autre volet à savoir que la culture de la participation citoyenne est nouvelle au Maroc et nécessite d’adopter une méthodologie qualitative pour mieux appréhender la nature de la participation des jeunes. Une telle approche permettra d’appréhender le passage d’une « citoyenneté » de jure vers une « netoyenneté » de facto à travers laquelle la participation à la chose publique se vit par le truchement de la revendication citoyenne sur le net et les réseaux sociaux. La transition de la citoyenneté vers la « netoyenneté » est d’abord une transition d’un mode réel (refoulé, fermé et hostile) vers un mode virtuel (éclaté, généreux et accueillant). La participation citoyenne occasionnelle et sporadique se transforme en une action pédagogique de veille, de vigilance, de censure et en une présence virtuelle, revendicative, continue et permanente.
Partant, la citoyenneté au Maroc se construit virtuellement, elle est refoulée dans la réalité et transparaît sur le virtuel à travers des expressions de patriotisme comme celle du groupe « Forces de défense marocaines » ou à travers des mobilisations comme celle de l’Appel du 13 avril pour l’application de l’article 19 via le podcast du « Coalition civile pour l’application de l’article 19 ». Il est notoire d’observer que cette nouvelle forme de participation citoyenne est déterritorialisée, atopos et polyphonique. Les inter-actants marocains reflètent et appartiennent à des territoires différents et variés (localités marocaines, européennes, américaines, asiatiques, australiennes, africaines, …). Elle s’appuie sur une interaction et une expression à base d’un multilinguisme qui reconnaît la pluralité linguistique et la diversité culturelle des participants, l’arabe, l’amazigh, le français, l’espagnol et l’anglais.
Par ailleurs, cette nouvelle forme de participation citoyenne a induit un autre débat celui de la citoyenneté plurielle. Ce concept de « citoyenneté plurielle » réfère à une situation juridique dans laquelle des individus soient citoyens de plus d’un Etat ou corps organisé en même temps. Ainsi, ces citoyens sont détenteurs de plus de droits et de devoirs à l’égard de leur pays d’accueil et non plus seulement à l’égard de leur seul Etat d’origine. Il serait pertinent d’élaborer des enquêtes qualitatives auprès des « Marocains du monde » pour appréhender leur prédisposition à participer à la vie citoyenne de leur pays d’origine compte tenu de leur vécu « étranger » en termes de citoyenneté.
Pour entrevoir les perspectives et l’advenir de la participation citoyenne au Maroc, le questionnement sur le développement demeure une question de base d’autant plus que la nature et la qualité de la participation dépendent du design et du modèle de développement voulu à savoir un développement « hard » et matériel visant à atteindre et satisfaire les valeurs et les besoins matériaux : santé, emploi, éducation, … et / ou un développement « soft » et post-moderne aspirant à incarner les valeurs post-matérialistes[1]: parité / liberté de conscience/ droits linguistiques et culturels, droits individuels, et donner plus de place au patrimoine immatériel dans les programmes et les processus de développement, …. L’orientation et la politique publique dans le champ du développement façonne la sphère publique et les modes de revendication citoyenne envisagée (plaidoyer matérialiste vs plaidoyer post-matérialiste).
En outre, la création d’un environnement favorable à la société civile contribuera à distinguer entre participation civile organisée et revendications citoyennes personnalisées et collectives non organisées. Ces dernières spontanées et non organisées ont conduit à l’émergence d’un nouveau paradigme conceptuel cadrant et régulant la participation citoyenne tels que celui de : « lhogra »[2] (injustice sociale, mépris, snobisme de l’Etat et des autorités), celui des droits linguistiques et culturels, celui de l’équité sociale, celui de la marginalisation territoriale, celui des revendications socio-économiques, celui du partage des ressources naturelles, celui des fractures sociales ([3ayyacha] / [aHrar]) …. Ce qui suppose un changement de degrés et de nature de la participation quand cette dernière est citoyenne ou civile. Toutefois, il demeure important de poser de manière claire et concertée les termes de cette revendication citoyenne notamment en adoptant une grille de bonne conduite[3].
Il est également pertinent d’évoquer pour le cas du Maroc qu’une bonne implantation de la participation citoyenne dépend de la condition suivant laquelle la population a droit à l’accès à l’information[4] et aux outils pour avoir l’information, notamment que la constitution de 2011 stipule au travers de l’article 27 que « les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis d’une mission de service public ». Cette condition est intimement liée à la nature de la relation entre population, société civile et Etat. La participation implique aussi des interlocuteurs au sens que l’interlocuteur est un représentant fort et légitime, que c’est un porte voix. C’est pour cette raison que dans le cas du mouvement du 20 février, il n’y avait pas de dialogue direct entre l’Etat et le mouvement puisqu’il y avait une pluralité d’interlocuteurs.
De ce fait, la pédagogie du dialogue suppose aussi la prise en compte de l’émergence d’espaces parallèles via les réseaux sociaux moyennant une « imagéologie virtuelle » au sein de laquelle se sont construits les positionnements des différents interlocuteurs envers le principe de la citoyenneté. Récemment, si on voudrait débattre de la pratique de la mobilisation comme relent et vecteur de la participation citoyenne, il est essentiel d’émettre le constat selon lequel la mobilisation citoyenne est foncièrement à base virtuelle. Ce qui induit qu’on est en phase de « transition participative » : de la participation réelle (participation classique) on dérive vers la participation virtuelle (néo-participation). Ces modalités peuvent comprendre un spectre d’apprentissage qui s’étend de la co-construction en passant par l’entérinement des décisions politiques, le partenariat, la co-production des politiques publiques, la coopération, jusqu’à la conflictualité, la confrontation, la protestation, et la contestation en témoignent les marches, les settings … en cours à Rabat. De ce point de vue, la démocratie participative peut être conçue comme une manière de re- qualifier l’espace public marocain à élargir le dialogue citoyen multipolaire.
[1] Étienne Schweisguth 1997. Le post-matérialisme revisité : R. Inglehart persiste et signe. Revue française de science politique , p.654
[2] Bennis, S. (2014). Société civile et nouveaux paradigmes conceptuels : le concept de ‘hogra’ https://www.academia.edu/7424599/Societe_civile_et_nouveaux_paradigmes_conceptuels_au_Maroc
[3] Jeanne Planche, Philippe Lavigne Delville (2005). L’Union européenne et les sociétés civiles du Sud : du discours politique aux actions de coopération , Autrepart 2005/3 (n° 35), p. 144
[4] Perrine Canavaggio et Alexandra Balafrej (2011). Vers un droit d’accès à l’information publique au Maroc – Etude comparative avec les normes et les meilleures pratiques dans le monde, p. 134
Par Saïd Bennis,
Enseignant-chercheur / Université Mohammed V, Rabat
LIRE ÉGALEMENT DE LA PARTICIPATION CITOYENNE À LA REVENDICATION CITOYENNE