Ecrit par Soubha Es-Siari |
Bien qu’en redressement par rapport à son niveau en 2020, année de pandémie, la demande intérieure reste à un niveau en deçà des attentes du nouveau modèle de développement. Intégrer le cercle des pays émergents serait une utopie avec une demande intérieure aussi atone.
Eu égard à sa contribution dans la croissance économique globale, la demande intérieure se veut un véritable moteur de la dynamique économique. Avant l’éclatement de la pandémie, on parlait d’un essoufflement de la demande intérieure et on se demandait quels mécanismes mettre en place pour donner un nouveau souffle à cette demande.
Au troisième trimestre 2019, la demande intérieure s’était améliorée de 1,6% au lieu de 5,9% la même période de l’année 2018, contribuant ainsi pour 1,8 point à la croissance économique nationale au lieu de 6,4 points.
En pleine Covid-19 soit en 2020, la demande intérieure s’est contractée de 6% au lieu de 1,7% en 2019. Et pour cause, la baisse du régime de l’ensemble des ressorts internes de la croissance économique suite aux mesures restrictives liées au confinement.
Aujourd’hui, dans un contexte empreint d’incertitudes, la demande des ménages serait restée le principal moteur de la croissance économique au 4e trimestre 2022 et ce bien qu’en ralentissement par rapport au 3e trimestre. Elle reste par ailleurs loin des niveaux antérieurs à l’exercice 2019.
Cette décélération vers la fin de l’exercice 2022 résulte de la conjugaison de plusieurs éléments qui ne sont que des conséquences directes de la hausse du taux d’inflation pour des raisons connues de tous pour ne citer que la dernière en date à savoir la guerre en Ukraine.
Ce mouvement inflationniste a entraîné dans son sillage le ralentissement du revenu réel des ménages suite à la baisse des revenus d’activité agricole et à la flambée des prix. Cela a pesé sur la consommation des ménages, ramenant, selon les derniers chiffres du HCP, son rythme annuel de croissance à 2,2% au 4e trimestre, au lieu de 7,9% au cours de la même période de l’année antérieure.
Sur un autre registre relatif au crédit à la consommation, force est d’admettre que malgré une légère hausse des taux d’intérêt, le recours des ménages à l’endettement pour le financement de la consommation se serait intensifié, notamment au cours des mois d’octobre et novembre 2022, avec une hausse du flux des crédits à la consommation de plus du double et ce en comparaison avec la même période en 2021.
Face à la cherté du coût de la vie et la stabilité au meilleur des cas des revenus, les ménages n’ont d’autres alternative que d’emprunter et se plier aux diktats des banques pour faire face à leurs besoins. Inutile de rappeler que le gouvernement à l’instar des précédents résiste à baisser le taux de l’impôt sur le revenu conformément à la loi cadre portant réforme de la fiscalité.
Autre volet important de la demande interne est celui relatif à la consommation des administrations publiques, elle se serait affermie de 4,7% contribuant pour 0,9 point à la croissance globale du PIB.
Quant à l’investissement des entreprises, il aurait légèrement ralenti au 4e trimestre 2022 et ce après un retournement à la hausse un semestre plus tôt.
Les perspectives de ralentissement de la demande étrangère et la faiblesse de l’activité immobilière auraient pesé sur les dépenses des entreprises qui auraient adopté un comportement de stockage plus prudent, après l’ample mouvement de reconstitution enregistré au troisième trimestre.
La demande résiste grâce au soutien des pouvoirs publics
Par produit, le ralentissement de l’investissement se serait plus manifesté au niveau du secteur de la construction, alors que celui des produits industriels se serait amélioré dans un contexte d’augmentation de 29% des flux de crédits adressés à l’équipement au cours des mois d’octobre et novembre 2022.
Globalement, la formation brute du capital se serait accrue de 6,6% au quatrième trimestre 2022, après une hausse de 23,5% au cours de la même période de 2021.
En 2023, le redressement de la demande interne reste conditionné par une bonne pluviométrie voire une bonne compagne agricole avec tous ses relents sur les autres pans de l’économie.
Le resserrement de la politique monétaire contribuerait en revanche à ralentir la demande des entreprises. La croissance de l’investissement se maintiendrait grâce au renforcement du soutien des dépenses publiques tel qu’annoncé dans la Loi de Finances 2023.
Dans l’ensemble, la demande intérieure verrait, selon le HCP, sa contribution à la croissance économique globale s’accroitre, pour atteindre +3,2 points au premier trimestre 2023, au lieu de +0,8 point au cours de la même période de l’année antérieure.
Cette hausse de 3,2 points s’explique plus par l’effet de rattrapage à cause de la succession de deux crises sévères qui ont mis à mal l’ensemble des indicateurs macroéconomiques. Le rythme actuel reste en deçà des niveaux souhaités pour que la demande interne contribue efficacement à la croissance économique comme ce fût le cas des dragons asiatiques au courant des années 80. Et surtout comme préconisé par le nouveau modèle de développement qui prévoit un taux de croissance économique de 6% à horizon 2035.
Autrement dit, le résultat attendu au niveau de la croissance ne serait pas atteint si des mesures de nature à soutenir les revenus à la fois des ménages et des entreprises n’avaient pas été prises par les pouvoirs publics. Encore faut-il que ces mesures soient durables et non pas conjoncturelles à l’occasion de chaque crise.
Pour ce qui est des ménages, une baisse du taux de l’IR, de la TVA, de l’amélioration de l’éducation et de la santé dans le secteur public… seraient d’un grand soutien à leurs revenus.
Idem pour les entreprises, les mesures fiscales incitatives, le coût rationnel du foncier, la concurrence saine et loyale… permettraient d’améliorer le taux d’investissement.
Le nouveau modèle de développement regorge de propositions allant dans ce sens, pourvu qu’elles voient le jour.
Pour ce faire, l’Etat a un grand rôle à jouer à travers sa main « visible ». Les crises se succédant ont d’ailleurs permis de réfuter la seule prédominance des forces de marchés prêchées par les économistes néo-libéraux et à conceptualiser plus un Etat développeur.