Il est reconnu que le concept du développement durable s’impose aujourd’hui de manière urgente, dans le cadre de l’élaboration et la mise en œuvre de nouvelles stratégies de croissance verte et inclusive.
Dans ce contexte, la notion relèverait de la sphère normative, l’associant de fait à l’atteinte d’un objectif selon des prescriptions d’actions et de référentiels préétablis.
En l’occurrence, la trilogie du développement durable où la croissance de la production et du marché s’allie au social dans le respect de l’environnement, se réfère bien au niveau mondial à un texte fondateur [1], guide d’actions des politiques menées au nom du développement durable.
De l’agenda 21 adopté en 1992 au Sommet de la Terre de Rio, à celui de 2030 adopté en 2015 par les Nations Unies lors du Sommet spécial sur le développement durable, l’approche opérationnelle est demeurée de mise.
En effet, érigé en tant que cadre référentiel mondial d’objectifs de développement durable, l’agenda 2030 promeut un concept opératoire et dynamique à travers l’adoption des 17 Objectifs de développement durable (ODD) par l’ensemble des pays de la planète.
En sus de la détermination des ODD, il est préconisé l’orientation des pratiques de développement durables vers 169 cibles à atteindre, dans la reconsidération des modes de vie actuels pour répondre aux besoins et aspirations de l’humanité.
L’apogée de l’activité humaine serait ainsi consacrée à travers la transformation de ses relations avec la nature sur la base d’une solidarité entre les générations présentes et futures.
Au vu de cette orientation du développement durable vers la prise en compte et l’évaluation des besoins des générations actuelles et projetées dans le futur, l’approche philosophique dudit paradigme se profile à travers « le principe de responsabilité » développé par Hans Jonas[2].
En effet, la définition officielle du développement durable souligne qu’il s’agit de répondre aux besoins actuels ainsi que ceux des générations futures[3] dans la capacité de charge de l’environnement.
Ce qui signifie que l’homme est supposé léguer aux générations futures un environnement viable, loin de toute dégradation, dans une longue perspective temporelle.
C’est à ce niveau de réflexion, que « le principe de responsabilité » vis-à-vis des actes de l’homme tel que préconisé par Jonas, transparait en filigrane dans la définition reconnue du développement durable
Ce principe philosophique découlerait de la constatation d’un inversement de la relation de l’homme avec la nature, dans la continuité de la pensée cartésienne.
En effet, Descartes[4] affirme dans le « Discours de la méthode »[5] que les connaissances « peuvent nous rendre maitres et possesseurs de la nature ». En d’autres termes, la domination de l’homme rend la nature utile grâce à la science.
S’il s’agit selon la pensée cartésienne, d’orienter la domination de la nature vers l’amélioration des conditions d’existence, l’efficacité technique a été dénoncée pour ne pas prendre en considération les capacités limitées de la nature.
De ce fait, le développement de la technique a dévoilé l’irresponsabilité de l’homme face à la juste mesure de ses impacts, loin de la prise en compte des possibilités écologiques et de la vulnérabilité de la nature.
Au nom de cette fragilité et du postulat de la valeur intrinsèque de l’individu, la thèse jonassienne défend ce dernier contre toute forme d’action qui pourrait détruire dans un horizon plus large, l’humanité dans son ensemble.
En effet, si Nietzsche[6] a bien défini l’homme comme « volonté de puissance et capacité de surmonter », en contrepartie, Jonas a reconnu le devoir de responsabilité de l’individu envers lui-même et les générations futures dans un contexte de sauvegarde des écosystèmes.
Enfin, rappelons que « le principe de responsabilité » dans son sens philosophique engage la coexistence de l’humanité avec son environnement, sous – entendue dans la compréhension normative du concept de développement durable. En effet, ce dernier reconsidère l’interaction entre les concepts de soutenabilité de la nature et de la civilisation techniciste. Et c’est ce que nous rappelle H. Jonas dans cet impératif catégorique, « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentique et humaine sur terre »[7].
Jihane Bakkali
Docteur d’Etat Es Sciences Economiques
[1] L’Agenda 21 est le programme et plan d’action déterminé lors du Sommet de Rio en 1992, préconisant l’intégration des principes du développement durable au niveau national, territorial et local.
[2] Hans Jonas (1903-1993), philosophe allemand, auteur de « Le principe responsabilité », publié en 1979.
[3] Le concept de développement durable est officiellement défini dans le rapport « Our common futur » de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (1987) ou Rapport Brundtland.
[4] René Descartes (1596-1650), philosophe et mathématicien français, reconnu comme le fondateur de la philosophie moderne, auteur du « Discours de la méthode ».
[5] « Discours de la méthode » (1637), René Descartes.
[6] F.W. Nietzsch (1844-1900), philosophe allemand, développe la philosophie de la vie et auteur de « Ainsi parlait Zarathoustra ».
[7] H.Jonas « Principe responsabilité » (1979), Chapitre I, Partie V.