Une année après sa réactivation et la nomination d’un nouveau président et des instances de gouvernance, le Conseil de la concurrence (CC) a réuni autorités de la concurrence de divers pays, les régulateurs nationaux… autour des politiques et droit de la concurrence. En marge de cette conférence internationale organisée à Rabat, Driss Guerraoui, Président du CC a dévoilé les chantiers d’avenir.
EcoActu.ma : L’un des points qui revient en boucle en matière de gouvernance en matière de concurrence est l’impératif de conciliation entre application rigoureuse de la loi pour garantir une concurrence loyale et une conjoncture mondiale marquée par une rude concurrence pour capter les investissements. Comment parvenir à cette souplesse pour accompagner la mutation changeante de la conjoncture ?
Driss Guerraoui : Il faut à mon avis inscrire l’action des autorités nationales de la concurrence dans une perspective dynamique visant à adapter de façon permanente le cadre juridique, la réglementation et la législation, aux nouvelles réalités des marchés. C’est une exigence vu le contexte économique mondial actuel où nous assistons à une double mutation : celle du développement de l’économie numérique qui a un impact en termes de développement de nouvelles pratiques anti concurrentielles portées principalement par les géants du numérique, les GAFA entre autres, mais aussi l’émergence d’une nouvelle génération de concentrations économiques qui transcende les frontières nationales et qui, à la fois, impose une domination effective et objective sur le marché déstabilisent la souveraineté économique des Etats et la capacité des autorités nationales de la concurrence à apporter des réponses appropriées à ces nouvelles formes de domination et pratiques anti-concurrentielles. Et tout cela empêche ce pourquoi les autorités nationales de la concurrence ont été créées. Notamment construite et veiller un environnement général qui consacre à la fois la protection des segments faibles de l’économies et du marché (TPE, TPME, PME) et les consommateurs mais aussi qui fait la promotion de la concurrence en libérant les énergies c’est-à-dire en consacrant dans le fait l’égalité des entreprises devant l’acte économique et par conséquent offre un cadre institutionnel légal à toutes celles et à tous ceux qui ont envie d’entreprendre, de prendre des risques, d’investir, innover et donc contribuer à la création de la richesse par la création de l’entreprise puisse le faire en dehors de toutes situation de domination, en dehors de toutes contraintes de quelque nature que ce soit et c’est ce double défi qui est lancé aujourd’hui aux autorités nationales de la concurrence, y compris le Conseil marocain de la Concurrence.
Or, aucun pays seul, aucune autorité nationale seule dans ce contexte d’émergence de géants impulsée par la révolution numérique et dans un contexte de développement de concentration économique d’un genre nouveau ne peut à elle seule apporter des réponses appropriées à cette nouvelle réalité de l’économie mondiale. Et par conséquent, il faut une réflexion partagée à la fois au niveau des autorités nationales de la concurrence de par le monde en renfonçant la coopération à tous les niveaux : au niveau de l’examen des concentrations mais aussi au niveau des modalités nouvelles d’instruction, au niveau de l’harmonisation et la convergence des législations, d’une part et d’autre part d’une gouvernance mondiale des nouvelles questions de la concurrence par les organisations et institutions internationales et régionales dédiées à la gouvernance du commerce international. Il s’agit en particulier de l’Organisation Mondial du Commerce, de la CNUCED, de l’OCDE, de l’Union européenne mais aussi des organisations régionales notamment l’ASEAN, les Bricks, l’Union africaine entre autres.
Pratiquement tous les organismes cités sont représentés à la conférence internationale de Rabat sur les politiques et droit de la concurrence, ainsi que les régulateurs nationaux (Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, BAM, CNDP…). Qu’en attendez-vous concrètement ?
Et c’est tout l’intérêt de cette conférence internationale qui à la fois va permettre de faire un état des lieux des expériences nationales en matière de lutte contre les pratiques déloyales de la concurrence, faire le point sur les impacts divers dans les différentes régions du monde de la révolution numérique sur ces nouvelles pratiques de la concurrence déloyale, l’état actuel des concentrations économiques dans différentes régions du monde. Cette conférence met la lumière sur comment chaque autorité nationale de la concurrence apporte-t-elle une réponse à cette nouvelle génération de concentration et bien évidemment, comment la communauté internationale à travers à la fois la coopération entre les autorités nationales de la concurrence et les organisations en charge du commerce international puissent parvenir à une gouvernance mondiale de ces questions.
Quid des régulateurs nationaux dans différents secteurs d’activité ? Faut-il créer un cadre de coopération entre vous et les différents intervenants ?
Il faut distinguer entre deux niveaux d’action. D’abord le niveau politique et stratégique qui s’inscrit dans le cadre de la construction démocratique en général du pays et qui consiste à réaliser un équilibre intelligent entre le pourvoir Exécutif, le pouvoir législatif, le pouvoir consultatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir des instances constitutionnelles de régulation et de gouvernance afin de les ériger en véritable contre-pouvoir pour réguler positivement les déviances qui peuvent émaner des acteurs du champs politique national. Ceci est fondamental !
Le deuxième niveau est celui de la convergence des actions du fait de la convergence des missions entre les régulateurs pour que tout le monde s’inscrive dans le cadre de la construction d’un écosystème national intégré de la concurrence au sens où la lutte contre la corruption, la protection des données à caractère personnel, la médiation, la justice puissent faire partie de ce dispositif intégré appelé à former cet écosystème concurrentiel national. C’est à travers cette synergie entre différents régulateurs au niveau national que l’action globale de lutte contre toutes les déviances que connaît le fonctionnement des marchés pourra aboutir efficacement à lever les barrières à l’investissement et à la création d’activités économiques dans notre pays, et par conséquent créer un climat général des affaires favorable.
C’est sur ce deuxième enjeu que nous travaillons avec l’ensemble des régulateurs et c’est tout le sens de la convention signée entre le Conseil de la Concurrence et la Commission nationale de contrôle et de protection des données à caractère personnel.
La concurrence a un impact direct sur les territoires, les entreprises… et last but not least le citoyen. Ces dernières années nous avons senti une prise de conscience des consommateurs de leur droit et qui n’hésitent plus à donner des alertes, faire de l’advocacy notamment sur les réseaux sociaux… Quelle place leur conférez-vous dans votre stratégie de travail et comment canaliser ces alertes et probablement les traduire en auto-saisine ?
Le Conseil de la Concurrence estime que les problématiques liées à la concurrence et qui sont au cœur en fait de la démocratie économique et de la justice sociale dans notre pays ne peuvent être résolues que si dans la société émerge des contre-pouvoirs impulsés par cette conscience citoyenne mais responsable pour justement lutter contre les rentes, les privilèges, les passe-droits, l’économie du crime… et parvenir à une gouvernance économique juste et responsable. Cela implique le pouvoir des citoyens qui s’exprime à travers les réseaux sociaux ou des associations et fédération de défense des droits des consommateurs.
Les territoires également peuvent y contribuer à travers les instances de consultation et de dialogue telles que définies dans la loi organique sur la régionalisation avancée. Ou encore les pétitions qui ne sont malheureusement pas souvent utilisées au niveau du législateur et toute les formes d’expression populaires qui permettent une remontée d’information sur des situations de déséquilibres, de rentes, de détérioration du pouvoir d’achat… ce sont des alertes qui doivent être complétées par des structures de veille dont doivent se doter les instances de régulation et à leur tête le Conseil de la Concurrence.
Et c’est dans ce sens que nous allons ouvrir quatre chantiers essentiels : notamment la création d’un baromètre de la concurrence porté par un référentiel fondé sur des indicateurs de mesures pour évaluer l’état de la concurrence dans les marchés, nous allons faire un sondage annuel d’opinion pour évaluer la perception des acteurs qui saisissent le conseil de l’état de la concurrence dans les marchés dans lesquels ils évoluent, nous allons créer un observatoire de veille économique, juridique et concurrentiel qui va nous outiller y compris en termes d’anticipation par les informations les plus pertinentes pour une meilleure prise de décision concernant à la fois et les sanctions ; et enfin, nous allons développer une stratégie de communication de masse et de proximité pour justement être un relai à la fois institutionnel et social avec toutes les composantes de la société pour qu’ensemble nous puissions nous approprier les questions de la concurrence et agir ensemble pour une gouvernance économique juste et responsable. C’est l’espoir que fonde le Conseil sur ces chantiers d’avenir.