Des études multicentriques en milieu hospitalier ont montré que 30,3% à 47,0% des évènements indésirables médicamenteux détectés sont évitables et s’avèrent être la conséquence d’erreurs médicamenteuses. C’est ce que révèle le Centre national antipoison et de Pharmacovigilance du Maroc (CAPM) dans sa revue Toxicologie Maroc.
Leader dans le réseau international de pharmacovigilance dans l’instauration d’une surveillance épidémiologique des erreurs médicamenteuses, le Centre a créé depuis 2006 une unité dédiée à cette problématique, au sein du Centre National de Pharmacovigilance (CNPV), entité du (CAPM). Pour sensibiliser les professionnels de santé à cette problématique, pour la mise en place des actions de minimisation des risques liés aux médicaments identifiés, le centre a dévoilé le profil épidémiologique des erreurs médicamenteuses (EM) au Maroc sur la base de données collectées entre 2006 et 2016.
Sur une décennie ce sont 1620 cas d’EM qui ont été déclarés au CNPV.
Il ressort de cette étude que la région qui déclarait le plus était celle de Rabat-Salé-Kénitra (34,94%), suivie de la région du Grand Casablanca-Settat (22,28%) et de Fès-Meknès (8,70%). Les professionnels de santé étaient les principaux notificateurs des EM (56,03%) suivis du patient (39,70%).
Dans la base de données, les presqu’accidents ont représenté 0,56% (9 cas), les EM potentielles 3,02% (49 cas), et les EM avérées 96,42% (1562) dont 55,25% (895 cas) sont parvenues au patient sans préjudice et 41,17% (667 cas) avec préjudice.
Plus en détails, les presqu’accidents étaient dus à une similitude d’étiquetage entre deux spécialités dans 6 cas, une similitude des noms de spécialités dans 2 cas et à l’existence d’informations ambiguës relatives à une spécialité dans un cas.
Concernant les EM potentielles, elles sont toutes survenues au niveau de l’étape de prescription du circuit du médicament sauf dans un seul cas où l’EM est survenue lors de la dispensation du médicament.
Ces EM potentielles étaient dues à une erreur de la dose prescrite dans 26 cas et une erreur de posologie dans 7 cas.
Les erreurs de similitudes de nom étaient à l’origine de deux erreurs potentielles. La classe médicamenteuse la plus incriminée dans les EM potentielles était celle des agents antinéoplasiques et immunomodulants.
Onze décès en dix ans
Dans la classe des EM avérées, l’étude montre que pour celles ayant causé un préjudice pour le patient, le sexe ratio Homme/Femme était de 0,9. La tranche d’âge la plus représentée était celle de l’adulte (45,88%). Ces erreurs se sont produites principalement au cours de l’étape de l’administration du médicament (81,86%) suivie de l’étape de prescription (15,74%). Concernant le type de l’EM, la plupart des EM étaient des erreurs de dose (20,99%), des erreurs de posologie (18,14%) et des erreurs de médicament (14,84%). Les affections du système gastro-intestinal (22,64%) et les troubles neurologiques (21,31%) étaient les plus fréquents.
Les classes médicamenteuses les plus impliquées dans la survenue des erreurs étaient les psycholeptiques (10,57%), les médicaments des troubles fonctionnels gastro-intestinaux (9,83%) et les analgésiques (9,71%).
Parmi les cas d’EM avec préjudice, le nombre de cas graves était de 160 cas (25,18%). Le nombre d’erreurs ayant abouti au décès était de 11.
Pour ce qui est des EM sans préjudice pour le patient, le sexe ratio Homme/Femme était de 1. La tranche d’âge la plus représentée était celle de l’adulte (41,45%). Ces EM sont survenues principalement au cours de l’étape de l’administration du médicament (93,74%). Toujours selon l’étude, la plupart des erreurs sont dues à des erreurs de médicament (24,58%). Les classes médicamenteuses les plus impliquées dans ces erreurs étaient les analgésiques (17,56%). Le nombre de cas graves était de 28 cas soit 3,12% et ont nécessité une hospitalisation ou une prolongation d’hospitalisation du patient.
Sous-notification accrue
La progression des déclarations des EM a montré une évolution fluctuante au fil des dix années de l’étude avec une courbe de tendance positive. L’étude montre que la déclaration des EM souffre d’une sous notification accrue, amplifiée par une culture de la sécurité du patient quasi inexistante dans notre contexte.
La culpabilité ou encore la peur d’une sanction sont des limites majeures à la déclaration des EM par les professionnels de santé.
Dans notre étude, les presqu’accidents étaient dues à des problèmes liées au médicament lui-même. En effet, de nombreux médicaments peuvent être confondus en raison des similarités de noms ou de présentations. Ces confusions sont fréquentes et peuvent conduire à des incidents graves ou même fatals.
Concernant les EM potentielles, la classe médicamenteuse la plus incriminée était celle des agents antinéoplasiques et immunomodulants. Ceci est expliqué par la déclaration de la cellule de pharmacovigilance de l’Institut National d’Oncologie des EM interceptées lors de l’analyse systématique des prescriptions par les pharmaciens hospitaliers.
Dans la base de données du CNPV, les erreurs avérées (avec et sans préjudice) étaient fréquentes chez la population pédiatrique. Les médicaments les plus incriminés dans les EM avec préjudice chez cette population étaient la méthylergométrine, le métoclopramide, le paracétamol, et la vitamine D2. Des actions de minimisation de risque ont été entreprises afin d’éviter la récurrence de telles EM dans cette population à risque.
Aussi, selon l’étude, les EM avérées (avec préjudice et sans préjudice) étaient-elles majoritairement des erreurs d’administration (81,86 – 93,74%) suivies des erreurs de prescription (15,74%-3,69%). Il est à noter que parmi ces erreurs, les EM avérées étaient liées à une automédication dans 7,45% à 22,20%.
Dans une revue systématique des EM enregistrés dans les pays de l’Asie du Sud-Est, le taux d’erreurs d’administration variait entre 15,20%, et 88,60% et les erreurs de prescription entre 7,00% et 35,40%.
Notre étude a montré que parmi les EM avérées, les types d’EM les plus fréquentes étaient les erreurs de dose, les erreurs de posologie et les erreurs de médicament.
Pour les auteurs de l’étude, et malgré la sous notification des EM au Maroc, » le système de surveillance des EM a permis de générer des alertes qui ont fait objet d’actions de minimisation de risque pour éviter leur récurrence ».
Aujourd’hui, l’un des principaux défis de ce système est la sensibilisation des professionnels de santé à l’intérêt de déclarer les erreurs médicamenteuses pour éviter la récurrence des EM. Il s’agit de dépasser la culture de la faute pour mettre en place une véritable culture de sécurité, conclut l’étude.