La fraude interne est un sujet d’ordre phénoménologique faisant partie des pathologies infectieuses des entreprises. Aucune organisation ne peut prétendre être à l’abri de la fraude interne. Le phénomène est en augmentation partout dans le monde1. La fraude peut toucher toute entreprise, quelle que soit sa taille, son appartenance sectorielle ou son origine. Aucun pays, ni secteur d’activité ou organisation n’est épargné. Les scandales financiers, ici et ailleurs, sont légion. Si tout le monde reconnait la réalité et l’importance de la fraude en milieu de travail, sa signification, ses caractéristiques et sa portée demeurent dans la pénombre.
Le risque de fraude interne fait partie des risques opérationnels majeurs auxquels les organisations contemporaines sont confrontées. C’est un risque réel et non virtuel. La fraude interne est multiforme, rendue possible par la culture de l’organisation (niveau de confiance, culture du clanisme, …), la complexification des structures et des opérations, l’ingéniosité de son auteur, la pression exercée en interne (culture du chiffre, …) ou par l’extérieur (lourdeurs administratives, corruption tacite…), etc. Elle peut être liée au comportement des individus au sein de l’entreprise, leurs attitudes face au phénomène, mais aussi à la faiblesse ou à la défaillance des dispositifs de contrôle.
Le rapport 2018 de l’Association of Certified Fraud Examiners2 (ACFE) nous révèle que des milliards sont perdus chaque année par les organisations à cause d’actes frauduleux. Ces pertes de l’ordre de 5% des chiffres d’affaire annuels sont estimées, en appliquant ce taux au produit mondial brut de 2018, à quelques 4,3 billions de dollars3. Ce taux, rapporté au PIB du Maroc sur la même période, donnerait des pertes estimées à environ 6 milliards de dollars soit l’équivalent de 240.000 logements sociaux.
Si ces études statistiques renseignent régulièrement sur l’ampleur du phénomène, sur les principaux types de fraudes et abus dans les entreprises ainsi que sur ses impacts elles n’ont, cependant pas de pendant au Maroc pour comprendre le phénomène de la fraude interne dans les entreprises marocaines et les moyens qui sont déployés pour y faire face.
Bien que la fraude interne soit un sujet de préoccupation majeur dans les entreprises et malgré l’ampleur du phénomène et ses enjeux économiques et sociaux, ses caractéristiques et sa typologie sont peu connues pour être combattue.
1- Caractéristiques de la fraude interne
En droit romain, le mot fraude avait le sens de dommage, préjudice. Le terme fraude, du latin fraus ou encore fraudis, veut dire le « tort causé à quelqu’un ». Le terme « fraude » est couramment utilisé, aujourd’hui, pour désigner, par extension, la conséquence de la violation du droit et décrire une grande variété de comportements malhonnêtes tels que la tromperie, la corruption, la falsification de documents, la dissimulation de faits importants, etc., mais aussi le fait de priver quelqu’un de quelque chose par supercherie.
Le terme « fraude » n’est pas utilisé directement dans les textes de loi puisqu’il ne correspond pas à une infraction d’un point de vue juridique (O. Gallet, 2010). Il recouvre, cependant, tous les actes malhonnêtes et malveillants (R. Gayraud et al., 2009) prévus par le code pénal marocain dans ses articles 334 à 391 (faux, contrefaçons et usurpations), 505 à 539 (vol et extorsion), 540 à 546 (escroquerie et émission de chèque sans provision), 547 à 555 (abus de confiance et autres appropriations illégitimes), 556 à 569 (banqueroute), 570 (atteinte à la propriété immobilière), 571 à 574 (recel de choses), 575 à 579 (atteintes à la propriété littéraire et artistique) et 580 à 607 (destructions, dégradations et dommages dont la cybercriminalité).
L’ACFE (Association of Certified Fraud Examiners) définit la fraude interne comme : « l’utilisation de son propre emploi afin de s’enrichir personnellement tout en abusant ou en détournant délibérément les ressources ou les actifs de l’entreprise ».
Il ressort de cette définition que, la fraude en entreprise est l’utilisation de son emploi afin de répondre à un objectif d’enrichissement personnel par tout moyen, au détriment des dommages que l’on peut faire subir à l’organisation, appelée par les criminologues américains « occupational fraud », mais également au profit de l’organisation, ce que les mêmes criminologues appellent « corporate crime ». Dans ce dernier cas, comme le soulignent A S. Milliat et Y. Loufrani (2005), « la distinction entre délit personnel et organisationnel n’est pas toujours évidente à opérer car le salarié qui commet une fraude pour le compte de son organisation peut également en tirer un bénéfice en terme, par exemple, de promotion, d’augmentation de salaire, de prélèvement occulte sur une caisse noire ou plus simplement de préservation de son emploi. Les organisations vont justement jouer sur cette confusion pour inciter les cadres à collaborer à la délinquance d’affaires ».
Les conséquences de la fraude, lorsqu’elle se produit, peuvent s’avérer nocives voire, explosives : chute du cours de bourse, augmentation des coûts, perte de marchés, réputation entachée, perte de motivation du personnel, etc. La fraude interne peut aussi, en dehors du fait qu’elle peut ébranler la confiance des clients, des actionnaires et des investisseurs, causer des dommages collatéraux qui peuvent se chiffrer en milliards de dollars pour les parties prenantes de l’entreprise (T. Wood Jr et A.P.P. da Costa, 2015).
La fraude interne est souvent opérée par son acteur avec les moyens dont il dispose et suivant les chemins frauduleux et normes endogènes dont il a la maîtrise, dans le déni total des règles fixées par l’entreprise. En matière de fraude, les idées créatives sont, en effet, sans limite et « il est extrêmement rare de rencontrer deux montages similaires » (N. Pons et V. Berche, 2009).
C’est pourquoi, la compréhension du phénomène nécessite de s’arrêter suffisamment sur l’analyse des facteurs conduisant à la réalisation des fraudes.
Par Mohsin BERRADA
Doctorate in Business Administration – Nice Sophia Antipolis
Consultant en prévention et détection de fraude en milieu de travail
Auteur du livre « L’audit interne tout simplement – Outil de création de valeur et d’amélioration de la gouvernance des organisations ».
1 – Selon l’étude du Global Economic Crime Survey 2018-PwC, au niveau mondial.
2 – L’ACFE est une association internationale qui fournit régulièrement des études sur la fraude et assure des formations dans le domaine pour ses membres en vue de les aider à prévenir et détecter des fraudes en milieu de travail.