La tendance à la baisse du taux de progression des recettes fiscales remet la fiscalité dérogatoire sous les feux des projecteurs. D’autant qu’avec ce leitmotiv d’équité et de justice fiscale, la réforme en cours du régime fiscal marocain, est toujours en attente de la loi cadre émanant des troisièmes assises de la fiscalité. Nous rappelons à ce sillage que le ministre s’est engagé à ce que cette loi cadre voie le jour avant fin 2019, vu son rôle de nouveau référentiel de l’élaboration des Lois de Finances.
Censée être un levier déployé par l’Etat dans le cadre de sa politique de soutien au profit de certaines catégories de contribuables ou de secteurs d’activités, la fiscalité dérogatoire est souvent pointée du doigt pour ce qu’elle coûte à l’Etat sans véritable évaluation quantitative ni qualitative de ses effets sur les secteurs concernés par ces dépenses fiscales.
En principe, cette fiscalité constitue une dérogation par rapport aux dispositions normales du système fiscal et donc un manque à gagner pour l’Etat, et elle peut aller de la réduction des taux d’impôts ou de taxes à l’exonération pure et simple de la fiscalité.
« A ce sujet, il est important de noter que 57% des dépenses fiscales sont constituées d’exonérations totales », assure Noureddine Bensouda, Trésorier Général du Royaume lors du 13ème Colloque des Finances publiques organisé les 20 et 21 septembre à Rabat.
Cette fiscalité a connu un changement en décembre 2018, soit avant même la tenue des 3èmes Assises de la fiscalité, puisque le rapport des dépenses fiscales de 2018 qui accompagnait la Loi de Finances 2019, a été établi sur un nouveau référentiel des dépenses fiscales, appelé aussi référentiel cible, tout en maintenant l’ancien système fiscal de référence, pour comparer les résultats obtenus suivant les deux systèmes.
Rien que pour la TVA, le passage de l’ancien système fiscal de référence au référentiel cible pour l’année 2017 s’est traduit par un effectif de mesures dérogatoires de 84 au lieu de 117 mesures fiscales qui ont été considérées par l’ancien système fiscal de référence, soit une baisse nette de 33 mesures dérogatoires (-28%). En termes de coût, le référentiel cible évalue les dépenses fiscales relatives à la TVA pour l’année 2017 à un montant de 14 336 MDH au lieu de 16 958 MDH, en comparaison avec l’ancien système fiscal, soit une suppression nette de 2 622 MDH. Ce montant est la différence entre le coût des mesures supprimées, dont l’impact fiscal s’élève à 7 380 MDH, et celui des mesures dérogatoires intégrées, dont l’impact fiscal s’élève à 4 758 MDH, selon le rapport.
Mais qu’en est-il en réalité ? « L’application du nouveau référentiel s’est traduite par une baisse artificielle du nombre de mesures considérées comme dépenses fiscales et du coût de ces mesures. En effet, il semble que l’objectif de ce changement d’instrument de mesure est plutôt de montrer que les dépenses fiscales diminuent, alors qu’en réalité, elles augmentent. Les incitations ont surtout abouti à accentuer la concentration de la pression fiscale sur un nombre réduit de contribuables qui paient réellement l’impôt », révèle N. Bensouda.
Il souligne que la concentration des impôts s’explique également par, d’une part, l’existence de gros contributeurs au budget de l’Etat qui assurent une bonne partie des recettes de l’IS ; et d’autre part, par le poids du secteur informel, de la fraude et de l’évasion fiscales.
La concentration des impôts provient substantiellement de la forte concentration économique et financière entre les mains d’un nombre réduit de citoyens qui, en plus, disposent d’une forte influence pour que le système fiscal leur soit favorable. En somme, ce sont là les conséquences de périodes historiques marquées par des hésitations, un manque de rationalité et de maitrise de la matière fiscale.
A l’aune de la publication de la loi cadre réformant le régime fiscal, le Trésorier général du Royaume insiste sur le fait que ladite réforme doit passer nécessairement par la réduction effective des incitations fiscales et un réel élargissement de l’assiette imposable, combinées à la baisse des taux marginaux d’imposition pour les personnes morales et physiques, soit le modèle fiscal dit à « assiette large et taux faibles ».
Un impératif qui trouve son argument dans une période de raréfaction des ressources financières de l’Etat (et face à l’absence de mesure de l’efficience de ces dépenses), car même si 91% des mesures dérogatoires ont été adoptées antérieurement à 2015, les dépenses fiscales en 2018 ont atteint 29,27 Mds de DH, soit un peu plus de 600 MDH par rapport à 2017. C’est dire qu’en termes de coût l’effet ne s’atténue pas, au contraire, il s’accentue.
Faut-il rappeler que le ministre des Finances, Mohamed Benchaâboun s’est engagé, lors des 3èmes Assises de la fiscalité, à remettre à plat et revisiter le dispositif des incitations fiscales qui « est en grande partie responsable de l’étroitesse de la base imposable et qui perdurent dans le code général des impôts sans une évaluation précise et périodique de leur impact économique et social ».
« Le coût annuel global du dispositif incitatif fiscal actuel est estimé à environ 30 milliards de dirhams, soit près de 2,5% du PIB », avait rappelé le ministre qui s’est engagé à ce que dorénavant aucun secteur et aucune activité ne doivent rester en dehors du champ de l’impôt. Le principe est que tous les contribuables doivent déposer leurs déclarations même quand ils sont exonérés ou imposés au taux zéro.
L’encouragement des opérateurs économiques devrait désormais passer par les dotations budgétaires.