Le 25 juin 2020, un projet de loi N° 93.17 portant création et organisation de « la fondation pour la promotion des œuvres sociales des fonctionnaires et agents du département de la pêche maritime », était au menu du conseil de Gouvernement.
Ce département de la pêche maritime compte moins de 1.500 agents et fonctionnaires, et qui relève du Ministère de l’Agriculture qui, à son tour, possède sa propre fondation créée par texte de loi au profit de quelques 6500 fonctionnaires.
Ce même Ministère chapeaute aussi le département des Eaux et Forêts qui emploie presque 4700 fonctionnaires qui ont aussi leur fondation créée par texte de loi N° 35.13.
Dans le même département ministériel, on retrouve donc trois fondations distinctes avec trois textes de loi. Des structures, des fonctionnaires, des budgets, des organes de gouvernance, des statuts de personnel, des règlements de marché, des contrôleurs des finances… et trois présidents qui seront nommés en Conseil de Gouvernement en tant que Hauts fonctionnaires !
Cette inflation inédite, de création de fondations n’interroge-t-elle pas notre législateur et nos décideurs publics sur l’opportunité d’un tel phénomène ? Sur son coût, son utilité et sur son impact sur la qualité du service public jusqu’aujourd’hui très contesté ?
Est-il juste et équitable que les domaines publics, l’argent du contribuable et du citoyen soient aiguillés vers le confort (transport, assurance complémentaire..), le bien être (estivage, loisirs,…) pour uniquement une catégorie de salariés qui se trouve, de facto, dans une situation stable et confortable ?
Quand en est-il des travailleuses agricoles, des salariés du BTP, du gardiennage et des agents de nettoyage ? Est-il concevable que le fait qu’on vous ait confié une mission, pour laquelle vous êtes payés, vous donne le droit de bénéficier des moyens publics mis à votre disposition ?
Dans ce qui suit, nous allons essayer de porter des éclairages sur ce phénomène « made in Morocco » de prolifération des fondations des œuvres sociales des fonctionnaires. Nous nous focaliserons, ici, sur celles des Ministères, hors établissements publics et sociétés d’Etat, qui eux aussi cachent une autre réalité (des entités publiques surendettées et enregistrant des déficits chroniques et pourtant les associations des œuvres sociales de leurs personnels vivent dans la prospérité : CMR, ONEE, ONCF, RAM, CDG, ADM, BAM, BP, CIH…).
- Les fondations des œuvres sociales : Surenchère ministérielle pour 10% des salariés du Maroc
Selon le Rapport sur les ressources humaines 2020 publié par le MEFRA, la fonction publique civile marocaine comptait en 2019 un effectif de 564.549 fonctionnaires (contre 5.494.000 salariés selon le HCP).
Plus de 81% de cet effectif sont concentrés au niveau de Trois départements ministériels ; l’Éducation Nationale avec (48,6%), suivi des départements de l’Intérieur (23,6%) et de la Santé (9,5%).
Pour 10 % de ce chiffre, et afin d’acheter la paix sociale dans son département et/ou par imitation des autres, chaque Ministre bataille pour faire passer un texte de loi portant création d’une « fondation des œuvres sociales de son Ministère ».
Une inflation législative incompréhensible, puisque plus qu’une dizaine de texte de loi est votée à l’unanimité par nos élus dans des commissions parlementaires techniques au lieu de les présenter dans la commission en charge de « la fonction publique », sans que personne ne se pose la question sur l’opportunité et l’utilité de créer de telles structures par un texte de loi pour une centaine de fonctionnaires ? Sans être exhaustif, voici quelques détails plus qu’éloquents :
A cet élan s’ajoute le nombre infini d’associations d’autres départements qui représentent parfois le personnel des services centraux, locaux ou départementaux ainsi que les associations des œuvres sociales des collectivités territoriales.
A noter que la promotion des associations vers le statut de fondation n’entraîne pas une dissolution automatique des associations, pire elles peuvent continuer à exercer pour des considérations syndicales.
Ces FOS sont créées pour des missions qui dans leurs majorités empiètent sur le champ d’actions d’autres opérateurs économiques. N’est-ce pas là une violation des lois de la concurrence, des établissements financiers…? La majorité de ces entités sont devenues des agences de voyage (elles peuvent même conclure des conventions avec des structure touristiques dans d’autre pays : Espagne, la Turquie…!), des promoteurs immobiliers, des établissements de crédit et des courtiers d’assurances … elles sont chargées, entre autres de :
- Construire des centres d’estivage
- Accorder les crédits consommation et autres sans intérêt
- Construire des clubs de divertissement
- Construire des logements
- Organiser les voyages, etc.
Certes, une part de leurs budgets vient des cotisations des adhérents (généralement symboliques) mais la grande part émane de la subvention de l’Etat ajoutée aux soutiens en nature (Terrain, matériels,…).
- L’action sociale dans le secteur public : Ce n’est guère de l’Assistanat, c’est une composante majeure des politiques de gestion du Capital Humain
Poussant comme des champignons, les FOS continuerons à être créées tant que le Gouvernement, à travers son département chargé de la modernisation de la fonction publique, considère l’action sociale dans le secteur public comme «de l’assistanat » qui relève des syndicats, et non pas une composante clé de la GRH de son capital Humain.
A mon avis, l’action sociale dans le secteur public doit être une politique intrinsèque de toute politique de modernisation du service public. Elle doit être réfléchie, conçue et mise en œuvre dans une approche globale, non cloisonnée, durable, inclusive et équitable pour éviter les surenchères entre départements et le sentiment d’injustice sociale chez les autres catégories de salariés.
Ainsi, l’action sociale dans le secteur public doit avoir pour but d’améliorer les conditions de vie des agents publics et de leurs familles et destinée à les aider à faire face à des situations difficiles, et comme il se fait ailleurs, elle doit être scindée, au maximum, en trois blocs :
- Œuvres sociales interministérielles dans la fonction publique d’État pilotées par le Ministère chargé de la fonction publique
- Œuvres sociales dans la fonction publique territoriale, Département chargé des collectivités territoriales (DGCL)
- Œuvres sociales dans les secteurs de l’éducation, formation et Santé
En guise de conclusion, les citoyens s’attendent à un service public sur mesure, adapté à leurs besoins propres. La capacité des administrations publiques à rendre des services de qualité au moindre coût sera déterminante pour leur avenir. Par ailleurs, et contrairement à de nombreuses idées reçues, il n’est pas nécessairement plus difficile de motiver les ressources humaines du secteur public que celles du secteur privé. On oublie souvent que la notion même de service public constitue une réelle source de motivation pour certains fonctionnaires. Ces derniers sont tenus à s’approprier les valeurs traditionnelles fondamentales du service public qui sont la responsabilisation, la neutralité, la justice, l’équité, la représentativité, la responsabilité, la capacité de rendement, l’efficacité et l’intégrité.
L’Etat, de son côté, doit mettre à leur disposition tous les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions mais aussi des ressources indispensables pour un cadre de vie digne : La protection sociale, l’éducation des enfants, la santé, l’accès au logement… somme toute un minimum vital.
Par Mohamed oueld lfadel Ezzahou
mezzahou@yahoo.fr