Interviewé par Lamiae Boumahrou |
La guerre en Ukraine a permis d’accroître le soutien public aux énergies renouvelables, considérées comme des leviers pour l’indépendance et la sécurité énergétique. Le Maroc est sur la bonne voie pour atteindre son objectif de 4GW supplémentaire en énergie éolienne. Anas Raisuni, Sales Director for North and Sub-Saharan Africa, Vestas détaille les enjeux et les défis à relever pour atteindre ces objectifs.
EcoActu.ma : Quelles sont les perspectives de l’énergie éolienne et renouvelable de manière générale pour de l’industrie marocaine ?
Anas Raisuni : Selon la feuille de route de l’AIE sur les émissions à effet de serre et du rapport sur l’investissement énergétique mondial (2021), la production d’énergie éolienne devrait considérablement augmenter de 18% au cours de la prochaine décennie.
La guerre en Ukraine a fortement impacté les chaînes d’approvisionnement des combustibles fossiles. Cette situation a permis d’accroître le soutien public aux énergies renouvelables, considérées comme des leviers pour l’indépendance et la sécurité énergétique. De nombreux gouvernements devraient suivre et élargir leurs ambitions sur le long terme en s’alignant sur les objectifs énoncés dans l’Accord de Paris.
À court terme, les secteurs industriels devraient stagner tandis que le potentiel de croissance de l’éolien, sur le long terme, devrait dépasser les projections actuelles. Ajouté à cela, les ambitions affichées pour l’hydrogène vert viendront soutenir la croissance des marchés mondiaux.
Le Maroc est sur la bonne voie pour atteindre son objectif de 4GW supplémentaire en énergie éolienne, dans le cadre du mix énergétique prévu d’ici 2030. Cette ambition reste à mon sens absolument atteignable. Le Royaume dispose désormais d’un avenir prometteur devant lui, grâce notamment au potentiel de l’industrie de l’hydrogène vert.
Quel est le potentiel d’intégration de la production d’hydrogène avec les ressources d’énergie éolienne?
L’hydrogène vert deviendra un facteur clé de décarbonation des économies mondiales. Il existe une excellente opportunité de transformer l’énergie éolienne bon marché et respectueuse de l’environnement en gaz propre qui pourrait être utilisé à un stade ultérieur. De nombreux pays de la région MENA explorent sérieusement la piste de l’hydrogène vert comme le Maroc, l’Arabie saoudite, Oman et les Émirats arabes unis.
Dans le contexte Green Deal Européen, le Royaume pourra jouer un rôle essentiel dans ce domaine, notamment en raison de sa proximité géographique et ses lignes électriques avec l’Europe. Le Maroc a rapidement su compenser la rareté des matières combustibles sur son territoire pour exploiter son soleil et son potentiel venteux. La combinaison de l’énergie solaire et de l’énergie éolienne est un facteur de charge élevé pour le processus d’électrolyse, assurant un coût très compétitif de l’hydrogène vert.
En effet, l’hydrogène pourrait être produit au Maroc à partir du soleil, du vent et de l’eau. L’hydrogène vert peut être utilisé au Maroc pour un certain nombre de choses : produire de l’ammoniac vert (NH3) pour les engrais et remplacer les importations coûteuses d’ammoniac gris, stabiliser le réseau après que des parts élevées d’énergie renouvelable variable ont été atteintes et exporter l’excédent d’hydrogène vers l’Europe.
Que pensez-vous du power-to-X ?
La décarbonisation du système énergétique nécessite une électrification croissante. L’électrification directe est plus efficace. Par exemple, l’efficacité d’un véhicule électrique est de 77% alors que ce chiffre tombe à 30% pour un véhicule à pile à combustible.
L’hydrogène vert est nécessaire pour écologiser la production d’ammoniac et pour soutenir les secteurs difficiles à électrifier, tels que la production d’acier, de ciment ou dans les transports longue distance. Pour que l’hydrogène vert joue son rôle dans la transition énergétique, les technologies P2X doivent être compétitives, grâce notamment à de l’électricité issue de l’énergie renouvelable.
L’hydrogène vert est actuellement plus cher que la production conventionnelle d’hydrogène à partir de combustibles fossiles (hydrogène gris). Cependant, le coût de l’hydrogène vert diminue rapidement en raison des effets combinés de la réduction du coût de l’électrolyseur et de l’énergie renouvelable moins chère, au point qu’il peut rivaliser avec l’hydrogène bleu dans un proche avenir.
La production d’hydrogène vert a également le potentiel de créer un cercle vertueux pour les réseaux électriques basés sur les énergies renouvelables. En effet, l’hydrogène peut fournir une grande flexibilité, indispensable aux systèmes électriques, agissant comme un tampon pour la production renouvelable non dispatchable, et a un rôle potentiel pour l’équilibrage saisonnier de la production renouvelable en stockant de grandes quantités d’hydrogène dans des stocks de sel et d’autres réservoirs souterrains.
Quels sont les plus grands défis des projets éoliens du Royaume ?
Le premier défi est l’infrastructure. Certes le Maroc est engagé dans un renforcement de son réseau, mais il est indispensable de garantir les meilleures conditions de transport de l’énergie. C’est à travers une collaboration étroite entre l’ONEE, les autorités, les organismes de réglementation et l’industrie que le Royaume pourra intégrer des quantités croissantes d’énergie éolienne dans le système électrique tout en maintenant un fonctionnement compétitif et fiable du réseau.
Deuxième facteur déterminant pour le succès des projets éoliens : ce sont les talents et le capital humain. Il faut toujours un temps d’adaptation entre les apprentissages structurels autour des énergies fossiles et les nouvelles connaissances, souvent très évolutives, dans les énergies renouvelables. Des formations approfondies sont nécessaires et le savoir autour des énergies renouvelables devrait s’universaliser dans l’ensemble des enseignements techniques et technologiques. Le Maroc a fait de grands pas en la matière en investissant dans de grandes écoles et universités spécialisés dans les énergies vertes.
Et enfin, il est inutile de rappeler que la réglementation et la gouvernance demeurent un des défis majeurs de tout projet éolien. Le cadre réglementaire doit faciliter et accélérer la généralisation des projets énergétiques propres. Je tiens d’ailleurs à saluer les grands efforts déployés récemment par les autorités pour faire aboutir la Loi 13.09 et la création d’une Agende de régulation de l’électricité (ANRE). Ce sont des décisions qui porteront le Royaume encore plus loin dans ses ambitions énergétiques, à l’échelle nationale et internationale.