Interviewé par Soubha Es-Siari |
En 2023, L’inflation mondiale devrait ralentir mais rester élevée à +6,4%. Cela s’explique notamment par la crise énergétique en Europe qui devrait perdurer et maintenir les marchés des hydrocarbures sous pression. Par ailleurs, la hausse des salaires dans un certain nombre d’économies devrait également contribuer à faire perdurer la spirale inflationniste.
Au Maroc, des interventions supplémentaires au niveau national sont probables, conformément à la trajectoire de la zone euro, avec une inflation d’environ 4% en moyenne cette année. Les détails avec Ludovic Subran Chef Economiste Allianz SE qui s’arrête également sur le niveau élevé de la dette publique.
EcoActu.ma : L’économie mondiale dans son entièreté retient son souffle devant un ralentissement de la croissance et une hausse sans précédent de l’inflation. Serions-nous face à une situation similaire à celle des années 70 ?
Ludovic Subran : Nous estimons que la croissance économique mondiale ralentira à +1,4% en 2023, après +2,9% en 2022. Toutefois, la situation actuelle n’est pas comparable à celle des années 1970 : la crise énergétique est principalement Européenne, l’inflation n’est pas uniquement le fruit d’un choc d’offre mais a également été nourrie par une forte demande.
Par ailleurs, la baisse des prix de l’énergie ces derniers mois après les pics de début 2022 révèle que l’analogie avec les années 1970 a ses limites.
La tendance inflationniste de l’exercice 2022 pourrait-elle se prolonger pour 2023 ? Pour quelles raisons ?
L’inflation mondiale devrait ralentir en 2023 mais rester élevée à +6,4%. Cela s’explique notamment par la crise énergétique en Europe qui devrait perdurer et maintenir les marchés des hydrocarbures sous pression. Par ailleurs, la hausse des salaires dans un certain nombre d’économies devrait également contribuer à faire perdurer l’environnement inflationniste.
La majorité des banques centrales se sont engagées dans le resserrement des conditions monétaires et financières et ont relevé leur taux. Mais la question centrale qui reste posée : est-ce que le durcissement de la politique monétaire à lui seul sans autres actions coordonnées de la communauté internationale pourrait constituer un remède efficace pour freiner cette dérive inflationniste ?
La majorité des banques centrales à travers le monde se sont engagées dans des politiques agressives de remontées des taux afin de lutter contre l’inflation. Toutefois, les sources de l’inflation varient beaucoup d’une région à l’autre. En Europe, la crise énergétique contribue fortement à l’inflation et la politique monétaire ne peut y répondre.
Dans les pays émergents, les demandes intérieures devraient ralentir avec les hausses de taux toutefois le succès de ces politiques dépendra également de facteurs extérieurs (cours des matières premières, évolution du dollar, financement des déficits publics).
En Europe, les perspectives économiques et commerciales ne s’annoncent pas favorables. Quelles seraient les incidences sur le Maroc sachant que l’Europe est son principal partenaire ?
L’Europe est en effet la principale destination des exportations marocaines, avec l’Espagne et la France comptant pour environ 45% du total. Les perspectives économiques moins favorables en Europe expliquent donc un ralentissement notable des exportations marocaines cette année : nous attendons +0.1% en volume, après plus de +18% en 2022 (et une moyenne de long-terme prépandémie à environ +5%).
En valeur, et prenant en compte une modération des prix des biens à l’exportation, les exportations marocaines pourraient augmenter de juste 14 Mds de DH cette année, après d’importants gains estimés à 163 Mds de DH en 2022 (et une moyenne prépandémie à environ 20 Mds de DH).
A l’instar des autres banques, la Banque Centrale au Maroc a augmenté son taux directeur de 100 pts de base sur une période réduite (de septembre à décembre) et ce pour remédier à l’inflation. Ces hausses successives sont-elles suffisantes pour parvenir à un taux d’inflation optimal ? A quel horizon l’impact serait-il perceptible ?
Une grande partie de l’inflation découle du niveau des prix des biens importés en raison de la structure des échanges commerciaux et a probablement atteint un pic au dernier trimestre de 2022. Ainsi, à mesure que les prix des matières premières se refroidissent et que la BCE prend les mesures appropriées pour contrer les pressions en Europe, l’inflation devrait s’atténuer au cours de l’année 2023.
Dans notre scénario de base, nous considérons que des interventions supplémentaires au niveau national sont probables, conformément à la trajectoire de la zone euro, avec une inflation d’environ 4% en moyenne cette année.
D’année en année, le taux de l’endettement public progresse à des niveaux qui suscitent des inquiétudes. Quelles sont d’après-vous, les voies de sortie de cet engrenage ?
Le service de la dette extérieure devrait rester gérable jusqu’à fin 2023. Le budget triennal prévoit une réduction du déficit budgétaire, principalement grâce à l’introduction d’un taux d’imposition des sociétés de 40% pour les grandes entreprises, les banques et les assureurs.
Une meilleure répartition des subventions pourrait également aller dans le même sens, tandis que des investissements étrangers supplémentaires pourraient contribuer à la reprise économique.
La dette publique devrait rester élevée, à environ 70% du PIB, et les réserves de change pourraient tomber en dessous de 5 mois de couverture des importations pour la première fois en 10 ans.
Néanmoins, nous pensons que le Maroc sera en mesure de faire face à ses obligations, car la part de la dette libellée en devises est modérée (24% du total) et le taux d’intérêt effectif de la dette souveraine s’établit à 3,2% pour 2023.
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