Dans un précédent article nous avons définit la fraude comme « tout acte intentionnel ou toute omission intentionnelle ayant pour but de tromper autrui, et qui entraîne une perte pour la victime et/ou un avantage pour le fraudeur ». La fraude en milieu de travail peut bénéficier à une personne physique ou morale ou profiter à une personne physique nuisant à l’organisation. Outre des facteurs endogènes pouvant être à l’origine de la fraude, des facteurs exogènes peuvent favoriser celle-ci. Dans la présente publication nous en citerons trois : la corruption, le secteur de l’informel et la crise économique.
La corruption
Raymond Fisman et Edward Miguel1, définissent la corruption comme «l’abus à des fins privés d’un pouvoir reçu en délégation». L’entreprise peut se retrouver devant des «organisations informelles et officieuses» exerçant dans le cadre d’organismes officiels, profitant d’installations et de commodités pour exercer un «métier» pour lequel les protagonistes n’ont pas été recrutés, «corrompu» ou occuper une fonction pour laquelle ils n’ont pas été promus, «corruption». Certaines fonctions finissent ainsi par être privatisées sans passer par un quelconque processus d’appel d’offres.
Le phénomène de la corruption est macrosocial touchant tous les secteurs de la vie économique, politique, sociale et institutionnelle et unanimement admis comme mode de gestion d’une construction sociale2. Le recours à la corruption dans l’entreprise s’inscrit dès lors dans un acte normal et normalisé tenant des codes établis favorisant la petite et la grande corruption. Cet état de fait, comme le rappelle Abdesselam Aboudrar3 citant le magistrat et écrivain français Casamayor, «part d’abord d’une vertu : la tolérance ». Puis aussi de la résignation : «On n’y peut rien» ; avec une pointe d’orgueil : «Je suis réaliste».
Elle n’est pas seulement un vice, elle est une maladie ; … elle prospère sur les pannes du système, sur la complication, comme les champignons sur le fumier… là où elle apparaît, la mécanique est en défaut».
La corruption fait intervenir trois parties, un corrupteur, un corrompu et un tiers payant qui est celui aux dépens de qui la corruption est faite. L’entreprise peut se retrouver dans les deux extrémités sauf que dans le premier cas elle corrompt et se corrompt à la fois. En effet, tout acte de corruption engendrera des stratagèmes pour dissimuler l’acte. Le recours à «la caisse noire» dans ce cas peut s’avérer indispensable, mais comme toute «caisse noire» cache une fraude interne, la manipulation comptable suit forcément.
A ce stade on peut se poser la question de savoir si la corruption est-elle source de fraude ou est-elle alimentée par celle-ci ?
La corruption peut être un acte de l’entreprise envers un agent de l’administration comme elle peut l’être envers un acteur privé client ou fournisseur, par exemple.
Dans les deux cas, elle se trouve être le fruit d’un raisonnement et d’une analyse coût/bénéfice. Banfield4 considère qu’un employé qui agit par un acte de corruption sécurise et améliore les résultats de son entreprise, tout en hissant son organisation au statut d’entité amorale et irresponsable vis-à-vis de la société.
Aussi, le moral des employés par qui l’acte s’opère ainsi que celui des autres collaborateurs de l’entreprise pourrait être impacté, dans le même temps, provoqué chez certains des incitations à frauder par mimétisme ou perte de confiance dans une entreprise et des dirigeants amoraux.
La corruption peut aussi être le forfait du salarié qui utilise son influence de par le poste qu’il occupe dans l’entreprise pour obtenir un avantage indu aux dépens de celle-ci. Cela peut être le cas d’un acheteur qui favorise un fournisseur contre un cadeau ou de l’argent, un responsable de personnel qui reçoit des pots-de-vin d’ouvriers pour qu’ils soient recrutés dans l’entreprise, voire une part de leurs salaires mensuels, etc.
Le secteur de l’informel
L’entreprise peut aussi être influencée par le secteur informel. Bien qu’il joue un rôle important d’intégration et de régulation sociale, le secteur de l’informel est par essence une fraude en soi. Ce secteur s’inscrit doublement dans la fraude, par le fait, d’une part, qu’il ne participe quasiment que peu ou prou aux recettes fiscales ; d’autre part, il attire vers lui un secteur formel en lui offrant l’opportunité de détourner une partie de la richesse produite par des entreprises officiellement déclarées et visibles à l’administration des impôts et sur lesquelles pèse toute la charge fiscale. Cette dualité de raisonnement est révélatrice du malaise dans lequel vivent certaines entreprises considérant que l’État censé les protéger est dans le même temps complice dans la prolifération du secteur informel. La pression pour faire basculer une partie de leur production dans l’autre système est justifiée par le fait que d’autres le font ou le feront à leur place et qu’elles ne peuvent pas être les seuls dindons de la farce. L’entreprise va rechercher ainsi sa croissance dans l’informel tout en nourrissant la corruption des agents internes ou externes affectés à écouler les marchandises dans des marchés parallèles.
La crise économique La crise économique s’invite dans le débat sur les facteurs exogènes de la fraude interne. En effet, outre l’hypothèse du basculement d’une partie de l’activité de l’entreprise dans l’informel, la survenance de la crise économique va obliger l’entreprise à revoir ses coûts pour assurer sa pérennité en recourant à la réduction des frais généraux, au licenciement d’une partie des effectifs ou à la restriction des déplacements, etc. Cette situation peu favorable à des collaborateurs voulant maintenir leur niveau de vie atteint pendant les périodes fastes peut entraîner dans son sillage des comportements frauduleux, d’autant plus que les moyens de contrôle interne tendent à s’amenuiser devant la réduction de ceux-ci et des économies précitées. Ceux-ci vont, en effet, souscrire à une «assurance du futur», auprès de l’entreprise sans se rendre compte qu’ils la dépouillent progressivement de ses richesses.
Par Mohsin Berrada
Doctorate in Business Administration – Nice Sophia Antipolis
Auteur du livre « L’audit interne tout simplement – Outil de création de valeur et d’amélioration
de la gouvernance des organisations » aux éditions Afrique Challenge
1 Fisman Raymond & Miguel Edward, Les gangsters de l’économie, éditions idées du monde, 2012.
2 El Mesbahi Kamal, La corruption : un fait social total, Bulletin économique et social du Maroc. Rapport du Social 2002,
pp. 85-93
3 Aboudrar Abdesselamn, Comment la corruption appâte la PME, Les Échos Quotidien, publication du 20 octobre 2010, pp. 16-17.
4 Banfield Edward C., Corruption as a Feature of Governmental Organization, The Journal of Law and Economics, vol. 18, n°
3, 1975, pp. 587-605.