C’est la théorie que défend une étude de l’Ecole de pensée sur la guerre économique. Au ton assez virulent, certaines conclusions semblent pousser à l’extrême, cette étude se base néanmoins sur l’analyse des principaux acteurs du boycott, de l’opportunisme politique et des moyens opérationnels déployés. Détails.
« La campagne d’avril 2018 a été organisée, dirigée, financée et appuyée par des intérêts puissants avec un agenda politique radical, voire factieux », rien que ça ! C’est sur la base d’analyse, qui n’engage que les auteurs de cette étude, de plusieurs éléments relatifs au boycott qui a éclaté en avril 2018 que les auteurs de cette étude aboutissent à cette conclusion.
Et bien qu’ils avancent que ce boycott soit « la conséquence naturelle des actions de ces élus politiques marocains », il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une campagne de désinformation ayant déployé des moyens importants et un fort niveau de professionnalisme, incompatibles avec une mobilisation de nature militante. « Le mouvement d’avril s’est toutefois enrichi d’une religiosité jusqu’alors peu présente et d’une sensibilité locale exacerbée ».
Elle avance même des budgets de 100.000 à 500.000 euros pour l’achats d’espace, ce qui laisse croire l’implication d’acteurs puissants et structurés…
« Au niveau technique, nous avons identifié plusieurs anomalies qui trahissent une opération de manipulation de l’information : spams à grande échelle, astroturfing (sponsorisation de posts pour en booster artificiellement la portée, etc.), utilisation de « robots », etc. ».
Flash-back. Le 20 avril 2018 fût lancé l’appel au boycott, ciblant au départ trois marques mais également leurs représentants. Selon l’étude, cet appel s’est concentré sur un réseau resserré d’influenceurs et de pages Facebook anonymes emmenées par les plus célèbres d’entre eux, Kifaa7 et Moul Chekara. Ces pages les plus actives sur le boycott « sont soutenues par une centaine d’autres pages et influenceurs partageant une convergence de point de vue (antigouvernemental, voire antiétatique, pro-Erdogan, pro-Frères Musulmans). Cette galaxie forgera au fil des mois la ligne éditoriale complexe du boycott ».
Les auteurs de cette étude, en évoquant le réseau dirigeant de cette campagne de boycott, estiment qu’il se compose de blogueurs et de hackers de nationalité marocaine, résidant sur le territoire national ou à l’étranger, qui partagent une fascination pour le pouvoir turc et une vision rigoriste de l’Islam. Ce réseau a minutieusement préparé les différentes attaques et a bénéficié d’un soutien financier considérable, qui indique, sans le moindre doute possible, que derrière les actions du réseau, un ou plusieurs mécènes sont à l’œuvre.
Cela dit, le mouvement comptera sur un coup de main inestimable : L’opportunisme politique. Ainsi, plus le mouvement se renforce plus les partis politiques en profitent. « Du PJD, au PAM et même jusqu’au minoritaire PSU, les partis politiques vont surréagir au boycott. Ce faisant, ils ont fait office d’« idiots utiles » pour un mouvement qui manquait encore clairement de légitimité, mais qui a su jouer sur les dissensions internes », analyse-t-on. Le PJD en tête ! Avec les joutes de Benkirane auquel plusieurs militants du parti emboitent le pas ne mâchant plus leurs mots à l’encontre du leader du RNI (Hormis Lahcen Daoudi qui a soutenu le sit-in des salariés de Centrale Danone devant le Parlement). L’opportunité est trop belle pour la laisser passer. « S’il semble peu probable que le PJD soit derrière cette campagne orchestrée de manipulation de l’information, son manque de retenue a favorisé la viralité de celle-ci ».
L’étude va plus loin en suivant de près la suppression massive en mars 2019, des pages impliquées dans le boycott et leur réorganisation, ce qui pour les auteurs de l’étude, est révélateur d’un mouvement organisé, hiérarchisé et compartimenté. « À cela s’ajoute une homogénéité politique claire, avec des discours pro-turc et pro-Frères Musulmans ».
L’étude souligne tout de même quelque chose d’étrange, lorsqu’elle évoque les acteurs de ce réseau, notamment ce passage « La plupart de ces blogueurs sont liés à M. B., qui les a rencontrés à de multiples reprises, en tête à tête, ou en groupe ».
Sauf si c’est de l’investigation des auteurs de l’étude, anonymes par ailleurs, ce genre de travaux se base sur l’analyse d’éléments factuels.
Revenons aux moyens financiers utilisés, l’étude qui avance l’implication d’acteurs puissants et structurés, évoque désormais un réseau financé par des collectes de fonds, notamment sur des sites de cagnotte en ligne comme Leetchi. Difficile pour un réseau soi-disant structuré de passer par ce type de moyens en réalité, d’autant qu’ils sont ouverts et traçables. Mais les auteurs de l’étude estiment que « L’importance des fonds ainsi que la multiplicité des cagnottes interrogent. Une fois regroupés, ces éléments accréditent l’hypothèse d’un financement extérieur et massif ».
Ils vont par ailleurs vite en besogne lorsqu’ils avancent « que le mouvement occulte derrière le boycott peut devenir une véritable force activiste d’opposition, activable à tout moment et capable, dans un temps très court, de créer un chaos politique » !
Mais pour eux c’est une hypothèse qui tient la route à l’approche des élections de 2021 aux enjeux non négligeables pour le Maroc.