Pour réussir la gestion et la valorisation des déchets, le Maroc doit injecter des subventions.
Sur 10 millions de tonnes produites, le Maroc peut générer 2,5 millions de tonnes de Refuse-derived fuel (RDF), soit l’équivalent 1,25 million de tonnes de charbon ou de coke de pétrole.
Le point avec Mohamed Chaibi, président de la Coalition pour la valorisation des déchets (Covad).
EcoActu.ma : Malgré qu’elles figurent parmi les priorités majeures, le Maroc accuse encore du retard en matière de gestion et de valorisation des déchets. A quoi peut-on attribuer ce retard ?
Mohamed Chaibi : En plus d’être une question d’éducation et de comportement, la gestion et la valorisation des déchets est une réelle économie à savoir l’économie circulaire. Une bonne gestion des déchets passe par l’instauration d’une réglementation, de lois, de contrôles mais également d’incitations pour transformer l’économie linéaire en circulaire.
Aujourd’hui, l’un des défis majeurs que les entreprises doivent relever dans le cadre de leur responsabilité sociétale et environnementale (RSE) est celui de se projeter dans l’avenir du produit. Malheureusement, cette prise de conscience ne figure toujours pas parmi les priorités des entreprises non seulement à l’échelle nationale mais également internationale.
C’est une problématique mondiale accentuée par une consommation excessive de produits auxquels on n’a pas prévu une nouvelle vie.
Au Maroc, une grande partie des produits consommés est importée. Or, nous ne savons pas si les importateurs reçoivent des subsides ou des rabais. Ce que nous savons par contre, c’est qu’il n’y a aucun dispositif pour permettre la réutilisation du produit consommé notamment pour la phase de collecte et son traitement.
Pour bien gérer les déchets, non seulement il faut avoir l’attitude de se soucier du stade final du produit mais il faut aussi avoir une volonté de développer l’économie circulaire.
Quels sont les mécanismes à mettre en place pour la mise en place effective du processus de cette économie circulaire ?
Dans l’économie circulaire, beaucoup de solutions sont possibles de financement. La première (la plus simple) consiste à intégrer dans le prix du produit commercialisé une contribution. Cette contribution sera récoltée par le producteur et versée à un éco-organisme dont lequel tous les intervenants du cycle du produit sont représentés notamment le collecteur, le consommateur (à travers les associations du consommateur), le producteur, l’Etat…
La répartition se fait en fonction de la contribution de tout un chacun. En Europe, par exemple, dans le prix du pneu, il y a une contribution de 2 euros destinés à la collecte et le recyclage des pneus usés. Elles sont versées à une association chargée du processus de transformation des pneus usés qui sont par la suite réutilisés soit incorporé dans le gravier pour faire des terrains de sport, soit comme combustible notamment dans les fours de cimenteries.
Ce combustible permettra de remplacer une bonne partie des ressources naturelles (pétrole et charbon) par une ressource alternative. L’impact sur la planète et sur la protection de l’environnement est imminent.
Malgré la production d’environ 10 millions de tonnes de déchets ménagers, le Maroc ne tire toujours pas profil du potentiel que représente cette ressource. Quel est le manque à gagner ?
Malheureusement, les déchets ménagers produites au Maroc sont soit enterrés, dans le meilleur des cas, dans des décharges contrôlées par les communes (avec toutes les conséquences sur la nappe phréatique) soit déversés au bord des rivières et des mers.
Et pourtant, il est tout à fait possible de faire sécher biologiquement les déchets juste par la fermentation du biogaz qu’ils contiennent. Au bout de 10 jours, les déchets sont séchés uniquement par bio-séchage. Après la sélection des matières magnétiques et des produits réutilisables, le reste est déchiqueté pour donner le RDF (Refuse-derived fuel). A noter qu’une tonne du RDF renouvelable est l’équivalent d’une demi-tonne de charbon que le Maroc est obligé d’importer pour subvenir à ses besoins.
Le calcul du manque à gagner est simple. Chaque tonne de déchets produit environ 25% de RDF. Donc sur 10 millions de tonnes produites, le Maroc peut générer 2,5 millions de tonnes de RDF soit l’équivalent 1,25 million de tonnes de charbon ou de coke de pétrole. Le manque a gagné, tenant compte que le prix à la tonne de coke de pétrole est de minimum 100 dollars/tonne, est estimé à 125 millions de dollars par an de devis que le Maroc peut économiser.
Qu’est-ce qui explique qu’en dépit de ce fort potentiel les investisseurs ne s’intéressent toujours pas à ce secteur ?
C’est une question de coût. Les investissements pour le traitement et la valorisation des déchets se chiffrent en milliards de DH. Le coût des investissements pour la décharge de Mediouna est estimé entre 6 et 7 Mds de DH. Donc, à quel prix faut-il vendre le RDF pour rentabiliser l’investissement ?
La question est de savoir qui va supporter le coût de la collecte et de la valorisation des déchets ménagers de manière durable. L’industriel de RDF a besoin, indépendamment du coût de la collecte, entre 300 jusqu’à 1.000 DH/tonne selon la technique utilisée. D’autant plus, l’industriel est en concurrence avec l’énergie fossile. Le prix maximum qu’il peut récolter est 100 dollars/tonne.
Le prix à la sortie n’est donc pas suffisamment attractif. Raison pour laquelle, tous les pays qui ont réussi le traitement de leurs déchets, injectent des subventions.
L’enjeu aujourd’hui est de trouver un équilibre entre les différentes composantes de la société à savoir l’Etat, les communes, les industriels ainsi que les citoyens. Il y a une régulation à faire qui doit comprendre plusieurs composantes notamment l’intérêt de produire localement l’énergie au lieu de l’importer, la responsabilité des producteurs…
Qu’en est-il de la réglementation ? Encourage-t-elle l’investissement dans ce secteur ?
Il y a encore beaucoup à faire sur le plan réglementaire. Le modèle actuel de gestion des déchets est celui de l’enfouissement. Or, de plus en plus, les communes se confronteront aux problèmes de foncier aussi bien par rapport à la disponibilité que du prix. Ni l’Etat ni les particuliers ne vont brader le prix de leur foncier pour y mettre une décharge. C’est pourquoi, il faut réfléchir à de nouveaux modèles de gestion de déchets notamment par la valorisation.