Le chômage au Maroc est structurel, il est devenu une évidence au quotidien. Selon la dernière note du HCP, son taux est passé de 11,9% à 12,3% au niveau national entre 2020 et 2021, avec un nombre de chômeurs qui atteint 1.508.000. Les catégories de population les plus touchées sont les jeunes âgés de 15 à 24 ans (avec 31,8%), les diplômés (avec 19,6%) et les femmes (16,8%). En plus de la conjoncture actuelle, ce taux a été aggravé par la limitation de l’emploi dans la fonction publique.
Toutefois, les demandes d’entreprises pour recruter des profils pour les différents projets et investissements que connait le Maroc semblent accrues ces dernières années et ce malgré le peu de moyens dont dispose l’ANAPEC qui dispose d’un effectif réduit composé de 600 agents.
Face à cette situation problématique, on assiste ses derniers temps à une flambée de sociétés d’intermédiation et de recrutement.
‘’ce qui nuit aux uns duit aux autres’’ souligne le proverbe arabe
Ces agences prennent diverse forme juridique notamment la forme de société, de cabinet de consulting, de site internet, entre autres. Et dont l’activité principale est l’intermédiation, l’embauche ou la confrontation entre l’offre et la demande d’emploi. Cependant seules 71 agences parmi 200 existantes, sont autorisées à exercer leur activité conformément à la réglementation en vigueur.
Cette situation nous pousse à se poser des questions sur le rôle de l’Etat sensé être garant du respect de loi par tous les citoyens. Dans ce qui suit, nous essayerons de faire un zoom sur la situation d’un secteur qui vit au flou sous les yeux de tous !!
1-L’intermédiation en matière d’emploi : qu’est ce que nous dit la loi ?
L’intermédiation en matière d’emploi, au sens de l’article 476 du code de travail, « est assurée par des services créés à cette fin par l’autorité gouvernementale chargée du travail. Les prestations fournies par ces services aux demandeurs d’emploi et aux employeurs sont gratuites ». Les agences de recrutement privées (ARP) peuvent également participer à l’intermédiation après autorisation accordée par l’autorité gouvernementale chargée du travail. Ainsi, l’article 477 défini clairement qu’est ce que une ARP, il s’agit de : « toute personne morale dont l’activité consiste à accomplir une ou plusieurs des activités suivantes :
- a) rapprocher les demandes et les offres d’emploi sans que l’intermédiaire soit partie dans le rapport de travail qui peut en découler ;
- b) offrir tout autre service concernant la recherche d’un emploi ou visant à favoriser l’insertion professionnelle des demandeurs d’emploi ;
- c) embaucher des salariés en vue de les mettre provisoirement à la disposition d’une tierce personne appelée «l’utilisateur» qui fixe leurs tâches et en contrôle l’exécution. »
Le texte défini d’une manière explicite et énumère, donc, les activités concernées par l’autorisation préalable, c’est une réponse précise et légale à ceux et celles qui prétendent que leur activité n’est pas concernée par l’autorisation sous prétexte qu’il s’agit d’un site internet ou encore seules les sociétés d’intérim qui sont concernés par ladite obligation.
Par ailleurs, le Code de travail interdit aux ARP:
- de pratiquer toute forme de discrimination (Art.478);
- de percevoir, directement ou indirectement, des demandeurs d’emploi des émoluments ou frais, en partie ou en totalité. (Art.480).
En vertu de l’article 484, elles sont aussi tenues de transmettre à la fin de chaque semestre aux services chargés de l’emploi un état détaillé des prestations fournies, comportant notamment les noms et adresses des employeurs ayant sollicité leur intervention, ainsi que les noms et prénoms, adresses, diplômes et professions des demandeurs d’emploi inscrits et les noms et prénoms des demandeurs d’emploi placés par leurs soins . En plus, les ARP doivent tenir un registre dont le modèle est fixé par l’autorité gouvernementale chargée du travail pour lui permettre d’effectuer les contrôles nécessaires afin de vérifier si les dispositions du présent chapitre ont bien été respectées.
Ces dernières dispositions révèlent des interrogations fondamentales quant au degré de leur application par les ARP autorisées mais aussi celles non autorisées qui échappent à tout engagement et exigence réglementaires.
2-Le recrutement et l’intermédiation au Maroc : A mauvais berger, loup engraissé
Dans le cadre de leurs démarches de recrutement, les entreprises et certains établissements publics font appel à des cabinets et/ou agences dites de Consulting RH qui offrent des prestations y compris le recrutement sans se donner la peine de vérifier leurs conformités vis-à-vis de la réglementation en vigueur.
En effet, ils sont plus de 200 agences, cabinets de recrutement, sans compter les sites dédiés à cette prestation, qui exercent sans autorisation préalable de l’autorité compétente, la loi, comme il est déjà explicité supra, la confrontation entre l’offre et la demande est conditionnée par l’octroi de l’autorisation quel que soit le moyen utilisé pour assurer cette confrontation notamment les sites.
L’objectif du législateur est louable vu que, « la population des chercheurs d’emploi étant trop fragile et précaire, elle peut être source d’enrichissement et/ou objet d’arnaque. Les garde-fous sont là : déposer une caution à la Caisse de Dépôt et de Gestion d’un montant équivalent à 50 fois la valeur globale (Art. 482). De ce fait, on ne doit pas livrer les chercheurs aux ARP qui prétendent faire le recrutement et l’intermédiation sans avoir les moyens de garantir le salaire d’au moins 50 salariés.
Selon le site du Ministère en charge du dossier, seules 71 ARP sont autorisées à exercer leurs activités, qu’en-t-il pour les 200 et plus restantes et qui exercent sous plusieurs formes (cabinets, site internet,…..) sans autorisations préalables ?. Il est à signaler que la dernière mise en garde faite par le Ministère date du Décembre 2007, a concerné seulement les ARP qui offrent des prestations d’intermédiation pour l’emploi à l’étranger sans qu’elles soient autorisées par ledit Ministère.
a- « Nul n’est censé ignorer la loi » : la plupart des responsables des établissements publics et des ministères sous les yeux des services du Ministère des finances et des comptables publics, font appel à des agences privées de recrutements sans s’assurer qu’elles sont autorisées ou non, sous prétexte qu’ils ne sont pas au courant de cette exigence légale.
b- Triomphe du centralisme aux dépens des marges : Les autorisations étant délivrées à la Capitale par les services centraux du Ministère, comme est le cas des contrats de travail des étrangers. Les structures régionales et locales de ce Ministère considèrent que le contrôle et l’accompagnement des entreprises concernées par l’article 477 suscité est une affaire du centre. Ajoutant à cela l’absence de moyens mis à la disposition du service chargé du dossier au niveau de ce département ministériel ce qui rend difficile le contrôle des ARP autorisées. Quant aux non autorisées on n’en parle pas… !!
c- Mieux dehors que dedans : Pour les entreprises offrant les prestations de gardiennage aux administrations publiques et aux entreprises privées, à priori elles ne sont pas concernées par ladite autorisation puisqu’il s’agit d’une prestation de service. Cependant tant que dans les CPS l’unité de mesure et/ou de facturation est « l’Effectif à mettre à la disposition du client » au lieu de la superficie ou autres, ces sociétés, sans aucun doute, sont régies par l’article 477 qui exige l’autorisation préalable du Ministère en charge du travail.
d- L’autorisation d’exercice oui, mais qu’en est-il pour l’autorisation du CNDP ? : Certes les ARP autorisées sont tenues à traiter les renseignements personnels relatifs aux demandeurs d’emploi dans le respect de la vie privée des intéressés en vertu de l’article 479 du code du travail. Cependant les ARP, autorisées ou non, vu le volume d’informations personnelles auxquelles elles ont accès, entament-elle les démarches d’autorisation auprès de la CNDP exigées par la Loi-09-08 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel ?
Autant d’interrogations qui méritent une attention particulière des spécialistes et des pouvoirs publics pour stopper l’anarchie que connait un secteur créateur d’emplois et qui joue un rôle crucial dans la régulation du marché de travail personne ne peut le nier.
Par Mohamed Oueld Lfadel Ezzahou mezzahou@yahoo.fr