Ecrit par Imane Bouhrara |
Quel est l’état des lieux de la mobilité électrique au Maroc ? Il est clair que nous sommes bien derrière des pays qui en ont fait un objectif stratégique dans une démarche globale bas-carbone. Un changement se profile pourtant à l’horizon, hormis les contraintes réglementaires internationales qui « frappent » les moteurs thermiques, les acteurs privés concernés sont désormais regroupés sous l’APIME pour accompagner et booster l’action publique en faveur d’une accélération de la mobilité électrique au Maroc.
La mobilité électrique au Maroc est à ses balbutiements, pourtant, dans le monde, de grandes transformations s’opèrent et forceront le Maroc à accélérer la cadence impliquant une plus grande convergence et concertation entre acteurs publics eux-mêmes qu’avec les acteurs du privé qui orbitent autour de la mobilité électrique, pour orchestrer une démarche plus efficiente et surtout plus rapide.
En effet, tout un écosystème se construit autour des opportunités économiques et environnementales mais sans réelle partition ni chef d’orchestre. En effet, la question implique acteurs publics, acteurs privés, la recherche et l’innovation…
Pour mettre tout ce monde de concert, pas forcément besoin d’une stratégie nationale, soutient Driss Benhima, intervenant lors du Forum de la Mobilité Verte et de l’Energie, organisé le 1er février à Casablanca.
En effet, le sujet implique plusieurs intervenants qu’une feuille de route ou une intégration de la mobilité électrique aux politiques sectorielles pourraient être opportunes. Il estime que le secteur privé a également un rôle prédominant dans ce chantier, voire de locomotive dans l’expansion de la mobilité électrique.
Il a néanmoins insisté sur l’impératif de la normalisation, avec un cahier de charges précis notamment celui de la mise en place de l’infrastructure de recharge, que ce soit pour les bornes publiques ou domestiques.
Pour Driss Benhima, la croissance du marché des véhicules électriques au Maroc est tributaire de cinq facteurs. D’abord, l’affluence du passage des véhicules européens par le détroit. En effet, rien qu’en 2022, quelques 400.000 véhicules touristiques ont fait le transit notamment des MRE. Ce qui induit un renforcement des bornes de recharge pour servir cette flotte appelée à se renforcer avec le durcissement de la réglementation notamment européenne qui interdit la commercialisation des moteurs thermiques dès 2030. Une tendance qui se confirme également auprès des acteurs de location, avec une demande en progression de véhicules électriques notamment par les touristes en visite au Maroc, soutient pour sa part Adil Bennani, le président de l’AIVAM.
Dans le même sillage la proportion des véhicules électriques est appelée à croître, déjà que certains modèles sont déjà construits au Maroc, alors que la gamme s’élargie chez de nombreux constructeurs au moment où l’Europe s’est engagée à interdire la vente de moteurs thermiques dès 2035.
Sur un plan macro, le Maroc pays dépendant des importations des énergies fossiles, s’oriente vers la décarbonation, de l’économie d’abord, et devra élargir le spectre d’autres secteurs et activités pour réduire cette dépendance, laquelle a été très critique se traduisant par une facture salée pour le pays en raison notamment de la guerre en Ukraine, relève Driss Benhima.
Le quatrième facteur avancé est l’absence d’une réglementation spécifique à la mobilité électrique, qui est un élément positif contrairement à « l’inflation législative » qui peut à l’inverse brider le développement de la mobilité électrique.
Enfin, les incitations fiscales, la tendance étant à la suppression de celles existantes plutôt qu’à leur élargissement, du coup, Benhima alerte le secteur privé sur l’effet inverse à trop focaliser leurs revendications sur ce point de la fiscalité. A trop vouloir le beurre et l’argent du beurre.
En lieu et place, il l’incite à mieux communiquer sur l’accessibilité du véhicule électrique à travers une gamme qui s’adresse à toutes les catégories notamment la classe moyenne.
Sur ce dernier, point, il y a lieu d’insister sur le fait que du travail reste à faire pour démystifier le véhicule électrique et lutter contre la désinformation qui peut freiner la prédisposition des consommateurs à franchir le pas de l’électrique, ainsi que sur les idées reçues que les consommateurs novices peuvent se construire à ce sujet.
Pour sa part, Dr Kawtar Benabdelaziz, chercheure et experte dans le domaine de la mobilité électrique, a tenu à souligner que cette mobilité verte et durable, est cruciale dans l’approche holistique de la décarbonation, particulièrement dans le secteur du transport.
Dans ce sens aussi où la mobilité électrique ne concerne pas que le véhicule particulier.
Cette mobilité en plus d’apporter des bénéfices en termes environnementaux, présente de grandes opportunités pour les acteurs économiques du secteur privé.
Mais cette transition pose plusieurs problèmes à commencer par le coût et la logistique nécessaires pour le déploiement d’une mobilité électrique au Maroc.
En effet, comme l’explique Adil Bennani, le président de l’AIVAM, si un bus à moteur thermique coûte entre 2 et 2,5 MDH, un bus électrique va chercher dans les 5MDH pour une autonomie de 200 KM. Pour une ligne de 20 à 50 bus électriques, l’infrastructure notamment de recharge mobilise à l’elle seule 20 à 25% du coût d’un projet pareil. Ce qui implique le rôle important que doivent jouer les autorités publiques pour financer des ambitions pareilles.
Puis la volonté se heurte également à la réalité, chiffre à l’appui, sur plus de 161.000 véhicules vendus au Maroc en 2022, seuls 171 sont 100% électriques (sur les 5.714 véhicules électrifiés et 4% de PDM pour les motorisations alternatives).
Pour les perspectives, le scénario conservateur de l’AIVAM table sur 25% Plug in en 2030. Certes depuis 2018, les ventes sont en augmentation mais avec le durcissement des réglementations notamment européennes et ce qu’elles impliquent en changement de comportement que sur les modèles produits par les constructeurs, il y a lieu d’aller vers une politique volontariste associant le secteur privé pour une action plus concertée, harmonisée et efficiente, espère Adil Bennani. Sans perdre de vue les tendances mondiales, les innovations (réduction des coûts et du temps de recharge pour plus d’autonomie) mais aussi les réglementations qui peuvent également évoluer et devenir encore plus restrictives.
Il se trouve justement que le Forum organisé par Interworld en partenariat avec l’AIVAM (Association des Importateurs de Véhicules au Maroc), la FENELEC (Fédération Nationale de l’Electricité, de l’Electronique et des Énergies Renouvelables), l’APSF (Association Professionnelle des Sociétés de Financement) et avec la FLASCAM (Fédération des Loueurs d’Automobiles sans Chauffeur au Maroc) et INSA Alumni Maroc se veut être une plateforme de réflexion sur les effets socio-économiques de ce nouveau régime sociotechnique. C’est aussi un espace de révélation des opportunités liées à la transition énergétique dans la mobilité et pour permettre aux différents acteurs publics et privés d’échanger et de développer des partenariats.
Et la rencontre tenue donc ce 1er février, s’est soldée par la création de l’Association professionnelle intersectorielle pour la mobilité électrique (APIME) qui justement réunit tous les acteurs privés concernés et représentants les différentes professions, à même de renforcer les rangs de l’action de plaidoyer du privé et d’être un interlocuteur des autorités publiques sur ce chantier précisément.