Toute société démocratique aspire de nos jours à instaurer un modèle de développement dont la portée retombe positivement sur l’ensemble de ses enfants; à savoir le respect des libertés et droits fondamentaux, la dignité humaine de tout un chacun avec une égalité des chances pour tous, afin de s’épanouir et s’inscrire ensemble dans une croissance et un essor qui règnent sur toute la société.
La société à l’image du corps humain, pour réaliser des performances, doit être un corps sain de toutes les pathologies qui risquent d’entraver sa démarche, afin d’avancer sur le chemin de la réussite d’un contrat social juste et équitable.
Certes, l’analyse du corps sociétal à partir des sciences humaines est différente de celle d’un corps humain à partir des référents médicaux et physiologiques. Toutefois, il y a plusieurs analogies dans la méthodologie de travail, notamment le diagnostic pour mettre en évidence la problématique ou la pathologie et puis prescrire les solutions ou traitements pour corriger les dysfonctionnements, pour avoir in fine un corps sain et performant.
Si le médecin devant un corps malade doit au préalable procéder à l’anamnèse pour récolter toutes les informations nécessaires pour pouvoir établir son diagnostic après un examen approfondi dudit corps et prescrire ensuite le traitement adéquat pour une bonne thérapie ; Le chercheur en sciences sociales ou politiques, doit quant à lui procéder de la même manière en écoutant les multiples témoignages qui reflètent l’état de la société avant d’ausculter minutieusement, partie par partie, ce corps sociétal, pour déterminer la problématique et proposer des solutions efficaces pour une vraie sortie de crise.
Il est nécessaire de rappeler que le rôle du médecin ou du chercheur en sciences politiques ou sociales, ne s’arrête pas seulement au diagnostic de la maladie ou de la problématique, ni à de simples traitements ou solutions « miracles », qui traitent le corps malade de manière palliative, qui ne soulage que temporairement le malade et l’installe dans un confort éphémère. Mais, leur rôle principal est de traiter le fond et l’origine de la maladie ou de la problématique et non seulement ses symptômes.
Après la présentation de la méthodologie de travail et le rôle honnête d’un médecin pour atteindre une guérison totale du patient ou celui d’un chercheur en sciences politiques ou sociales pour proposer aux dirigeants certaines pistes pour atteindre les objectifs escomptés d’une société juste avec un développement durable pour tous, nous allons essayer de procéder à une analyse critique et impartiale pour déterminer la problématique et les causes des dysfonctionnements de la société marocaine ainsi que les méthodes plausibles pour les corriger sur le long terme et une fois pour toutes grâce à un modèle de développement possible et réalisable.
Notre travail va se décliner sur trois axes qui sont :
- En premier lieu, c’est la mise en évidence de la problématique générale en se basant sur la récolte des commémoratifs, qui sont dans ce cas, les défaillances constatées à vue d’œil par tout un chacun et aussi par les chiffres qui en témoignent dans les études des organismes internationaux (Nations-Unies) ou nationaux, en l’occurrence le Haut Commissariat au Plan (HCP).
- Le deuxième axe s’intéressera quant à lui au diagnostic approfondi des origines du mal, en d’autres termes, les multiples causes de dysfonctionnement d’un point de vue général et puis particulier.
- Enfin, nous essayerons de proposer certaines pistes pour pouvoir instaurer un modèle de développement adéquat auquel aspirent tous les citoyennes et les citoyens marocains, le Chef d’Etat en tête.
- La problématique
Pour le simple des mortels, comme pour toutes les Marocaines et tous les Marocains, le constat d’une crise sociale qui perdure, est l’avis général partagé par la majorité de la population.
La mise sous la lumière des projecteurs des divers dysfonctionnements qui frappent la société, nous renvoie inéluctablement vers les secteurs les plus touchés par ladite crise, et ses conséquences directes ou indirectes sur la population ainsi que son rapport avec le mode de gouvernance politique.
Pour ce qui est des domaines concernés, il y a presque une unanimité sur les secteurs sociaux et publics, qui ne remplissent pas leur rôle locomoteur comme il se doit pour permettre au pays d’aller de l’avant. Nous pouvons noter à titre non exhaustif les points suivants:
- Une défaillance dans le système de l’enseignement, qui devient de plus en plus élitiste, et ne remplit pas son rôle primordial, celui de l’égalité des chances dans l’apprentissage et la construction d’un lendemain meilleur et prospère pour tous les enfants du pays.
- Un système de santé qui ne répond pas au minimum requis pour préserver un tant soit peu la dignité humaine de tous les citoyens comme il est stipulé dans la Constitution du pays.
- Une administration qui se caractérise par une certaine bureaucratie qui l’éloigne de son rôle principal, celui de servir les citoyens rapidement, efficacement et sans « tournures ».
- L’absence d’un projet social par les autorités compétentes pour l’absorption d’une main-d’œuvre active et des cadres moyens ou supérieurs
Pour ce qui est des conséquences de ces multiples dysfonctionnements, les indicateurs mettent sous les feux de la rampe d’un point de vue particulier, les secteurs de l’enseignement, de la santé et de l’administration, et puis l’ensemble des souffrances dans les domaines relatifs au volet social:
- La presque faillite de l’école publique, caractérisée par une déperdition scolaire croissante et le règne d’un esprit défaitiste chez les apprenants, qui ne trouvent plus dans l’école ce moyen d’ascension sociale, qui leur permettra à la fin de leurs études, de s’insérer dans le monde de travail d’une manière digne. En sus de ce désespoir patent, le recours à l’enseignement privé comme alternative devient un couteau qui saigne à blanc les parents désemparés qui ne savent plus où donner de la tête.
- A côté de l’enseignement, la santé vient en tête des malheurs des Marocains, qui ne savent plus où tourner la tête dès qu’ils sont interpelés par un souci de la santé. D’un côté, les établissements de la santé publique ne répondent pas d’une manière efficace et efficiente aux besoins des citoyens dans l’accès au soin comme l’énonce la Constitution marocaine. D’un autre côté, le recours aux privés s’avère de prime abord en deçà des moyens de la majorité de la population et même pour ceux qui bénéficient d’une certaine « couverture médicale » ou pas, ils se trouvent confrontés parfois à un système qui les obligent à payer en cash et en « noir » le complément non déclaré par certains établissements médicaux privés.
- L’absence d’une justice sociale, le chômage galopant, ou le travail sous payé surtout pour une jeunesse laissée pour compte, qui constitue la part majoritaire de la population, et qui est presque sans espoir, avec un avenir incertain.
- Les disparités sociales flagrantes, le risque de disparition qui plane sur la classe moyenne, le déclassement social pour plusieurs catégories sociales, la paupérisation de la masse qui descend crescendo sous le seuil de la pauvreté.
- Une répartition inéquitable des services et des richesses tant sur le plan régional que sur le plan individuel.
- L’insécurité qui règne en maître des céans dans les rues à cause de la foison de la délinquance juvénile et autres un peu partout dans le pays.
Avec le recoupement de toutes les informations précédentes, qui concordent hélas, avec tous les chiffres et les indicateurs de développement humain recensés par des organismes internationaux ou nationaux, la problématique à analyser tourne autour des dysfonctionnements des secteurs sociaux et publics dont les conséquences sont néfastes et ne font qu’aggraver la crise en empêchant l’élaboration d’un modèle de développement économique et social viable.
- Le Diagnostic approfondi et les origines du mal
A la recherche des origines de la problématique posée afin d’établir un diagnostic précis, l’étiologie nous renvoie vers plusieurs facteurs d’ordre général, en l’occurrence :
- La mauvaise gouvernance dans plusieurs domaines,
- Le mauvais pilotage de plusieurs projets qui sont réellement salutaires et bénéfiques pour la population s’ils sont menés à bon port avec sincérité et scrupule,
- La dilapidation des deniers publics par certains responsables et l’enrichissement rapide et sans raisons économiques valables qui le démontrent, de nombres de politiciens et de ceux qui tournent dans leur giron,
- Des salaires exorbitants ainsi que des avantages incommensurables (à titre d’exemple les voitures de services luxueuses pour les membres du gouvernement et leurs conseillers, pour les représentants de la Nation, ou encore les élus locaux et les hauts responsables de la fonction publique),
- L’inégalité des chances dans l’accès aux postes de responsabilité, au vue d’un système qui ne fait pas appel à la compétence mais plus à un réseautage « rouillé » qui repose sur le népotisme politique et autres liens familiaux, amicaux, etc.
- La corruption et l’impunité qui sévissent chez certains responsables et élus malgré les défaillances constatées par tout un chacun.
La multitude de ces facteurs et leur étendue sur un plan transversal nous permet dans un premier temps de comprendre les causes générales des dysfonctionnements qui frappent certains secteurs.
Pour approfondir notre diagnostic, nous travaillerons à comprendre les causes des dysfonctionnements d’ordre particulier de certains secteurs qui sont en souffrance, notamment l’enseignement.
Pourquoi l’école ne marche plus ?
A ce niveau, les hypothèses avancées par les uns et les autres sont multiples, diverses et parfois contradictoires. Entre ceux qui pointeront la chute du niveau de l’enseignement, et ceux qui accuseront l’arabisation. D’autres attaqueront la privatisation, ou mettront sur le banc des accusés les budgets alloués à l’enseignement, ou les plans de redressement non concluants, ou encore les responsables nationaux ou locaux dans ce domaine, ou bien le corps enseignant. Ou encore les élèves et l’entourage familial et puis d’autres reprocheront à l’Etat sa démission volontaire ou involontaire d’un secteur primordial pour l’essor de toute Nation.
Nous allons essayer de comprendre le pourquoi et le comment de ces nombreuses interrogations d’une manière scientifique et pragmatique en allant vers l’essence de la problématique sans tomber dans les clichés et les faux débats.
A l’analyse de chaque hypothèse, nous allons trouver les contradicteurs et les pourvoyeurs. A titre d’exemple, le niveau de l’enseignement a-t-il baissé ?
Les uns répondront par l’affirmative en arguant que le niveau des élèves est très bas par rapport à celui des élèves du même niveau scolaire d’il y a vingt ou trente ans. En effet, une vue générale du niveau d’instruction d’un nombre important des élèves qui postulent pour franchir la barrière du secondaire pour accéder à l’universitaire ou même des étudiants universitaires, montre que ce niveau est très moyen. Les autres dénieront ces arguments en avançant qu’aujourd’hui, un nombre important de bacheliers, qui sont le pur produit de l’école publique, possèdent un niveau d’instruction supérieur à la moyenne et même un niveau excellent, qui leur permet d’être admis dans les plus grandes écoles du monde.
L’analyse de cette dialectique du « niveau de l’enseignement » nous permet de tirer des conclusions pertinentes, en partant du principe que les uns et les autres ont raison dans une certaine mesure. Pourquoi et Comment? Ce n’est pas le niveau de l’enseignement qui a baissé réellement, mais c’est plutôt le niveau d’instruction des élèves, qui n’est pas dû au contenu dispensé ou à l’enseignant qui le dispense, c’est juste une question de chiffre et de statistique ! La différence entre hier et aujourd’hui, est la manière avec laquelle le niveau de passage d’une classe à l’autre est opéré, car dans le passé, un élève pouvait échouer en primaire ou en secondaire s’il ne possédait pas les capacités nécessaires pour accéder au niveau supérieur. Depuis plusieurs années déjà, le passage d’un niveau à l’autre se fait sans mérite et sans moyenne, chacun du primaire du secondaire ou de l’universitaire passant la patate chaude à l’autre. A la fin du cursus, c’est-à-dire au Bac, nous avons deux types d’élèves, les uns avec un bon niveau et les autres avec un niveau en dessous de la moyenne ou même très bas.
Ceci dit, il faut reconnaître que le problème de l’école ne réside pas dans un seul facteur pris dans sa valeur absolue, mais plutôt dans une multitude de facteurs, qui contribuent chacun, à rendre cette école presque démissionnaire et qui ne remplit plus son rôle, celui de former les femmes et les hommes de demain.
- Quel modèle de développement pour sortir de l’impasse
Après la définition de la problématique et d’un diagnostic qui met la lumière sur certaines causes qui entravent la bonne marche du pays. Il faut trouver des solutions systémiques et non conjoncturelles pour guérir ce corps social malade.
Le traitement doit être opéré minutieusement et méticuleusement en premier lieu sur les causes d’ordre général qui frappent tous les secteurs, pour pouvoir assainir in fine chaque domaine de ses dysfonctionnements particuliers.
A ce niveau, la mauvaise gouvernance est la résultante de toutes les forces du mal qui agissent simultanément pour emboiter le pas à un modèle de développement viable qui permettra au pays de s’inscrire sur la voie d’une croissance et d’un essor juste et équitable pour tous ses enfants.
Il est important de signaler que parmi ces forces malsaines responsables de l’agonie de ce corps sociétal, certaines brillent par excellence comme étant l’origine du mal, notamment la Corruption, l’incompétence et l’inégalité des chances.
Le traitement efficace et efficient de cette pathologie réside principalement dans l’ablation totale de cette gangrène suppurée dont le « pus » infiltre tous les domaines. L’instrument nécessaire pour procéder à cette thérapie existe bel et bien dans la loi fondamentale du pays, qui stipule clairement dans son article premier : « (…) la démocratie citoyenne et participative, et les principes de bonne gouvernance et de la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes. (…) ».
En effet, la démocratie citoyenne et participative et les principes de bonne gouvernance sont les faits de l’Homme, et particulièrement les dirigeants qui portent la responsabilité de tout un pays et de toute la Nation. Alors, il faut instaurer sans ombrage et sans ambigüité « le principe de la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes ».
Ce principe ne concerne pas seulement les résultats mauvais et médiocres des responsables, mais encore leurs origines dont ils sont directement responsables, à savoir : LA CORRUPTION, L’INCOMPETENCE ET L’INEGALITE DES CHANCES.
Par Ali Lahrichi
Docteur en Droit Public