Pourquoi le Maroc ne réussit-il pas à s’engager durablement dans une trajectoire d’émergence ? C’est la question lancinante qui revient dans les travaux et les diagnostics les plus concordants.
En dépit des efforts déployés au cours des dernières années, d’une relative stabilité politique et sociale, d’une amélioration notable du climat des affaires, d’une insertion dans certaines chaînes de valeurs mondiales (automobile et aéronautique)…, le Maroc peine à intégrer le cercle des pays émergents.
L’Agence Française de Développement s’est à son tour interrogée sur comment le Maroc parviendra-t-il à poursuivre les politiques de réduction de la pauvreté et aboutir à la cohésion sociale, si la croissance économique et l’emploi escomptés ne sont pas au rendez-vous ?
Aujourd’hui, la question d’un nouveau modèle de développement économique occupe le devant de la scène. La commission tant attendue pour se pencher sur ce nouveau modèle est enfin constituée. Parce que si le Maroc a réalisé des progrès manifestes, mondialement reconnus, le modèle de développement national, en revanche, s’avère inapte à satisfaire les demandes de plus en plus pressantes des citoyens et des régions, à réduire les disparités catégorielles et les écarts territoriaux. En effet, si le taux de pauvreté monétaire s’est considérablement réduit, passant de 15,3 % en 2001 à 4,8 % en 2014, l’ampleur des inégalités est demeurée quasiment inchangée (coefficient Gini de 0,40 en 2001 et de 0,39 en 2014). Ces inégalités sociales s’inscrivent par ailleurs dans de fortes inégalités territoriales, tant en termes de dépenses de consommation qu’en matière d’indicateurs de développement humain et social.
Partant d’un tel constat, l’AFD s’est intéressée dans une récente note sur comment ces deux objectifs peuvent-ils se conjuguer.
Les écueils à éviter !
De prime abord, les analystes s’interrogent sur pourquoi l’économie marocaine a-t-elle été écartée de la trajectoire d’émergence empruntée à la fin des années 2000 ? A cet effet, ils rappellent qu’entre ces deux périodes 2000 à 2019, la contribution à la croissance de certains facteurs déterminants s’est dégradée.
La compétitivité prix s’est ainsi détériorée du fait de l’appréciation du taux de change effectif réel et de la hausse des coûts salariaux, et l’effort d’investissement a légèrement diminué, après avoir atteint en 2008 un pic très élevé ressortant à 33 % du produit intérieur brut (PIB). Par ailleurs, la dégradation de la conjoncture mondiale à partir de 2008 a impacté la croissance des transferts des migrants et des investissements directs étrangers (IDE) dans les secteurs de l’immobilier et du tourisme observée à partir du début des années 2000.
Mais cela ne les empêche pas d’obtempérer en citant les facteurs dont la situation s’est nettement améliorée. Ils citent le climat des affaires où le Maroc a pu gagner des rangs en passant du 130 e en 2009 au 60 e rang en 2019. Autre facteur en amélioration est le financement dont les conditions se sont assouplies. Ajoutons à cela, la dépendance des échanges extérieurs qui s’est réduite au profit d’autres destinations, l’Afrique en l’occurrence.
L’ensemble de ces éléments poussent les analystes de l’AFD à faire les interprétations suivantes :
Dans le premier cas, il s’agit de réunir de nouveau les ingrédients de la recette de la décennie 2000 et de faire porter la responsabilité du ralentissement relevé ces dernières années sur des politiques budgétaires jugées trop austères ; dans le second cas, il s’agit de questionner le modèle de développement marocain suivi ces dernières décennies et les contraintes structurelles auxquelles il est confronté.
Comme il s’avère difficile d’augmenter un taux d’investissement public ou parapublic déjà très élevé ou de maintenir un rythme de progression du crédit aussi rapide que dans la deuxième moitié de la décennie 2000, la plupart des économistes marocains situent leurs réflexions dans ce second cas de figure.
Comment faire face à l’essoufflement ?
Pour remédier à cet essoufflement, les propositions sont nombreuses. Ainsi, le rapport sur la stratégie de croissance à l’horizon 2025 publié en 2015 préconisait huit principales mesures destinées à accélérer le taux de croissance, pour le faire passer à 6,2 % environ, permettant de créer ainsi entre 160 000 et 200 000 emplois par an (Agénor et El Aynaoui, 2015).
Ces derniers ont mis l’accent sur le développement des secteurs stratégiques (agriculture, industrie, phosphates, énergies renouvelables, finance), avec notamment, pour l’industrie, un renforcement de la compétitivité pour relancer la production dans des secteurs tels que le textile-habillement et le développement de nouveaux secteurs associés à une montée en gamme du Maroc dans les chaînes de valeur de produits à haute intensité technologique ; l’amélioration de l’environnement des affaires (notamment pour l’accès au foncier et la régulation publique) et promouvoir l’investissement privé avec des investissements dans des infrastructures avancées tel l’internet à haut débit ; la réforme du marché du travail et le système éducatif ; l’innovation ; l’accélération de l’ouverture du compte capital et la libéralisation du régime de change ; l’exploitation de la dimension régionale : l’expansion vers l’Afrique subsaharienne ; l’adaptation du cadre macroéconomique ; la révision du rôle de l’État dans une économie mondiale en mutation. Pour plusieurs auteurs, la question majeure est celle de la transformation structurelle.
Le modèle de développement reposant sur une transformation structurelle, c’est à-dire un modèle gagnant sur les deux objectifs de la productivité et de l’emploi, ne semble plus fonctionner comme par le passé, rappellent les analystes de l’AFD. Il s’agit plutôt, sinon d’arbitrer entre deux impératifs, au moins de les hiérarchiser : moderniser l’économie et rechercher des gains de productivité ou offrir des débouchés pour l’ensemble des personnes qui risquent d’être exclues du marché du travail. Cette double préoccupation suppose de s’intéresser à l’ensemble des secteurs d’activité marchande comme à l’ensemble des tailles d’entreprises. Pour ce faire, il serait intéressant de compléter les nombreux travaux macroéconomiques réalisés au Maroc par des analyses de structure et de trajectoires d’entreprises. Par ailleurs, pour appréhender la soutenabilité de la croissance à moyen terme, il paraît nécessaire de compléter les analyses macroéconomiques courantes par des approches en termes de richesse globale, fondées sur des comptes de patrimoine, telles que celles conduites par la Banque mondiale (Chauffour, 2018).
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