Comme nous l’avions annoncé dans un article introductif, l’économiste Omar Bakkou s’est attelé sur une foultitude de questions en vue de vulgariser davantage le Nouveau modèle de développement (NMD) ainsi que les mesures y afférentes. Le but étant de mettre à la disposition des acteurs toutes catégories confondues un guide didactique permettant de mener à bien les politiques publiques du pays dans les prochaines années.
Si on vous demande de résumer en deux mots le Nouveau Modèle de Développement, vous en dites quoi ?
Je dirais que c’est un guide destiné à orienter l’action de tous les acteurs de la société marocaine vers un objectif commun.
Acteurs de la société marocaine, qu’est-ce que cela signifie au juste ?
Les acteurs de la société désignent tous les joueurs de l’équipe Maroc, à savoir le secteur public, le secteur privé et le tiers -secteur.
Qu’est-ce que vous entendez par secteur public ?
Le secteur public c’est l’Etat.
Il s’agit d’une entité qui s’occupe de l’intérêt général de la communauté.
Cette entité est composé au Maroc de l’institution monarchique, le gouvernement, les collectivités locales, le parlement, l’administration publique et les entreprises publiques.
Et le secteur privé ?
Le secteur privé regroupe toutes les entités chargées de produire des valeurs marchandes.
Ces entités sont souvent classées selon leur taille : groupes, grandes entreprises, petites et moyennes entreprises, etc.
Quid du tiers secteur ?
Le tiers secteur regroupe toutes les entités chargées de produire des valeurs que ni l’Etat ni le secteur privé ne parviennent à produire avec efficacité.
Ces entités comprennent les associations, les fondations d’utilité publique, les coopératives, les mutuelles, les syndicats de travailleurs, les acteurs de l’économie sociale, les chambres professionnelles, les partis politiques, etc.
Vous avez souligné ci-dessus que le Nouveau modèle de développement est un guide destiné à orienter l’action des acteurs de la société vers un objectif commun. Quel est cet objectif ?
L’objectif est le bien-être de tous les citoyens.
Bien-être, cela reste vague ?
Non, ce concept a été clairement défini dans le rapport sur le Nouveau Modèle de Développement.
En effet, un citoyen bien vivant serait un citoyen plus riche sur le plan matériel et immatériel.
Citoyen plus riche sur le plan matériel, qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Selon le rapport sur le NMD, le citoyen marocain aura en 2035 un revenu qui fait le double de ce qu’il gagne actuellement.
Citoyen plus riche sur le plan immatériel, qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Selon le rapport sur le NMD, le citoyen marocain serait mieux instruit, cultivé, soigné, impliqué dans la vie de sa société, etc.
Citoyen plus riche ! quel citoyen on vise ? , car on sait bien que la richesse aujourd’hui est concentrée entre des mains peu nombreuses au Maroc.
Bien entendu, les citoyens visés sont ceux les moins nantis aujourd’hui : classes pauvre et médiane.
Maintenant que les éléments fondamentaux pour l’appréhension du NMD ont été présentés, Il y’a une autre question non moins importante qui demeure posée, à savoir le pourquoi de ce projet ?
A mon avis, la mise en place d’un NMD s’explique par une principale raison.
Cette raison est la suivante : l’économie marocaine encourt à nouveau le risque d’une crise cardiaque.
Risque de « crise cardiaque », ce n’est pas un peu exagéré ?
Une crise cardiaque symbolise un arrêt de la « machine économique ».
Cette situation survient généralement quand l’Etat ne dispose plus des ressources financières nécessaires pour assurer la continuité de sa mission de fourniture des services collectifs de base.
Ces services désignent ceux indispensables pour assurer un fonctionnement normal de la société : police, eau, électricité, justice, santé, éducation, sécurité sociale, infrastructures, etc.
Ce risque d’indisponibilité des ressources dépend de la situation financière de l’Etat.
Cette situation dépend à son tour du niveau de la dette publique.
En effet, quand ce niveau augmente, cela se traduit par un accroissement du volume des prélèvements sur les budgets publics futurs, ce qui réduit le volume des ressources disponibles pour assurer les principales missions précitées de l’Etat.
Et au Maroc, est ce que le niveau de la dette a réellement atteint ce seuil critique ?
Oui bien évidemment, le stock de la dette publique par rapport au PIB a dépassé les 90% à la fin de l’année 2020 ce qui donnera lieu à des dépenses de remboursements de la dette importants dans le futur.
Mais, les économies modernes sont gérées dans une large mesure par le secteur privé. Par conséquent, la machine économique est devenue de plus en plus autonome de l’Etat. Cela signifie que même en cas de difficultés financières de l’Etat cela n’endommagerait pas outre mesure la machine économique !
Non , en dépit du mouvement important de privatisation mené durant les années 1980 et 1990, le rôle de l’Etat demeure capital.
Cette importance est d’abord d’ordre qualitatif dans la mesure où l’Etat représente dans le « corps économique » ce que représente le système circulatoire (cœur, vaisseaux sanguins, le sang, etc.) dans le corps humain.
En effet, une défaillance au niveau de la mission essentielle de l’Etat de fourniture des services collectifs de base engendrerait un effet similaire à celui d’une déficience du système circulatoire : manque d’irrigation des différentes parties du corps humain par le sang aboutissant à la paralysie de ces parties.
Vous évoquez « l’importance qualitative » du rôle de l’Etat, cela sous-entend une « dimension quantitative » de l’intervention de l’Etat ?
Oui absolument, l’importance du rôle du secteur public peut être également appréciée en termes quantitatifs dans la mesure où l’Etat demeure l’entité économique la plus importante .
En effet, le poids économique de l’Etat dans tous les pays du monde, appréhendé à travers la part des dépenses publiques dans le PIB, représente au moins 20%.
En revanche, le poids des entités privées prises individuellement ne dépasse jamais 1% du PIB.
Cela a pour corollaire qu’une baisse importante et durable dans le temps des dépenses publiques affectées à l’économie (sous l’effet notamment de l’augmentation des dépenses au titre de remboursement de la dette) risque de mettre l’économie marocaine dans une situation de « métastase à l’envers ».
En effet, une baisse des dépenses de fonctionnement et d’investissement engendrerait une baisse du PIB, laquelle baisse se traduirait par une baisse des recettes fiscales, ce qui serait susceptible d’engendrer une diminution des dépenses publiques, et rebelote.
Si on suit votre raisonnement, l’encours de la dette publique présage d’un risque sérieux de baisse des ressources potentielles à la disposition de l’Etat pour assurer le financement des dépenses nécessaires à la continuité de ses missions. Par conséquent, puisque ces dépenses sont incompressibles (il est difficile de réduire les salaires des fonctionnaires), la seule issue pour enrayer ce risque serait d’augmenter la source à partir de laquelle se nourrissent les recettes essentielles de l’Etat, à savoir la production nationale ; votre raisonnement laisse entendre alors que la finalité du NMD est de sécuriser les équilibres du budget public !
Oui , en effet chaque Etat pilote son action en surveillant implicitement la concordance nécessaire entre ses avoirs et ses engagements potentiels.
Les « avoirs potentiels », c’est à dire les ressources financières susceptibles d’être générées par l’Etat dans le futur, dépendent de deux principaux facteurs .
Le premier facteur consiste dans les perspectives de croissance de la production nationale (les recettes de l’Etat se nourrissent de la production).
Pour ce qui est du second facteur, il réside dans le patrimoine financier de l’Etat : avoirs liquides en monnaies internationales, actifs financiers et réels publics .
S’agissant des « engagements potentiels », c’est-à-dire les dépenses prévisibles de l’Etat dans le futur, ils dépendent quant à eux de deux principaux facteurs.
Le premier facteur réside dans les engagements financiers : la masse salariale et la dette qui donne lieu à des flux de remboursements dans le futur .
Pour ce qui est du second facteur, il consiste dans les engagements sociaux : les investissements publics et les transferts monétaires, nécessaires pour alléger les divers déficits sociaux , tels le sous- emploi de la population, le niveau de pauvreté , etc..
Bien entendu, lorsque le niveau de la dette augmente significativement, cela accroît le volume des engagements financiers de l’Etat, et partant, les dépenses globales publiques futures.
Cet accroissement des dépenses globales risque de mettre l’Etat (face à des recettes potentielles limitées) dans une situation très critique.
Cette situation est qualifiée ainsi dans la mesure où l’Etat sera contraint de faire des arbitrages entre des choix périlleux susceptibles de déstabiliser les équilibres budgétaires et également ceux économiques et sociaux.
-Quels sont ces choix périlleux ?
Ces choix sont les suivants :
-Le premier consiste dans la baisse des salaires des fonctionnaires.
Ce choix aurait les conséquences décrites ci-dessus ;
-Le deuxième consiste dans le refus de payer la dette.
Ce choix aura pour conséquence de déconnecter le Maroc de l’économie mondiale .
Cette déconnexion se traduirait par un asséchement des ressources financières extérieures : investissements étrangers, financements extérieurs, etc. ;
-Le troisième consiste dans la baisse des investissements publics.
Ce choix aura pour conséquence la baisse de la production nationale et son corollaire la baisse des recettes de l’Etat, etc.
En définitive, pour répondre à votre question, on peut dire que l’objectif du NMD est de sécuriser les équilibres budgétaires et également ceux économiques et sociaux.
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