Interviewée par Soubha Es-Siari |
La problématique de financement des PME est un secret de polichinelle. Les pouvoirs publics en ont fait une priorité vu leur poids prépondérant dans le tissu économique national. Un nouveau mécanisme est mis en œuvre complétant certes l’existant mais tout en innovant en matière d’appréciation du risque, principal facteur de l’inefficience systémique du financement de la PME. Dans un cadre pareil, la titrisation permet de garantir le risque de crédit.
Zaineb Amzazi – Directeur Debt & Equity Finances à CDG Capital nous éclaire sur les enjeux de ce nouveau mécanisme de financement des PME.
EcoActu.ma : Le Fonds Damane Tamayouz, lancé récemment par OCP, a été présenté comme un changement de paradigme dans le financement des TPME, en quoi cela représente-t-il une évolution/ rupture ?
Zaineb Amzazi : Face aux difficultés de financement dont souffrent les PME, au Maroc comme ailleurs, une première réponse a naturellement consisté à déployer à grande échelle une large gamme de solutions soutenues par les pouvoirs publics permettant d’avoir un impact de masse sur les PME marocaines, et particulièrement pertinente dans un contexte de crise. Le mécanisme, mis en œuvre ici, et qui vise à compléter les solutions déjà mises en place, se fonde sur l’idée que le risque de financement de la PME peut être repensé en financement de ses marchés, en particulier auprès des grands donneurs d’ordre.
Ce shift, a priori anodin, implique une rupture profonde dans l’asymétrie d’information et l’appréciation du risque, principal facteur de l’inefficience systémique du financement de la PME (ce qu’on appelle communément le « funding gap »).
Ceci est particulièrement pertinent et prometteur au Maroc vu qu’une part très importante des investissements publics et privés sont portés par un nombre relativement réduit de grands donneurs d’ordre.
Ainsi, le risque de financement, initialement basé sur la solvabilité de la PME ou de ses gérants, est converti en risque d’exécution des marchés. La capacité du donneur d’ordre à apprécier les expertises industrielles de ses fournisseurs et l’efficience du suivi des projets se substitue en grande partie à la simple appréciation financière de la solvabilité de la PME. La donne est alors profondément changée.
Comment peut-on capitaliser sur cette nouvelle donne ?
A plusieurs niveaux :
Cette nouvelle donne change, en effet, la lecture du risque unitaire et permet un financement bien plus efficient des PME concernées pour peu que l’infrastructure nécessaire soit déployée (la pertinence et la crédibilité des dispositifs de cadrage et de suivi des projets par le donneur d’ordre étant centrales).
Mais plus encore, elle est absolument clé pour une véritable ouverture des marchés des capitaux au financement de la PME. Nos marchés ont souvent tendance à vouloir inclure la PME dans un modèle de financement fondamentalement pensé pour la grande entreprise. Les initiatives les visant se résument, le plus souvent, à des réformes paramétriques ou à une série de dérogations autorisant les PME à accéder aux marchés des Grandes Entreprises. Dans ces schémas, l’investisseur est toujours supposé apprécier le risque spécifique ou unitaire de chaque PME. Cela ne peut pas fonctionner : les marchés des capitaux ne peuvent financer efficacement les PME que dans une logique de portefeuille ‘homogène’ permettant d’avoir des appréciations statistiques pertinentes à la fois du risque unitaire et de la corrélation des expositions.
Cette nouvelle donne est une avancée majeure dans ce sens.
Les marchés des capitaux ont également besoin d’instruments efficients de transfert et de packaging du risque, et dans cette lignée, la titrisation synthétique ‘inaugurée’ par le fonds Damane Tamayouz est clé.
Ceci dit, c’est en ayant à l’esprit l’ensemble de ces éléments, et le potentiel que représente ce type de démarche dans un marché où l’investissement demeure extrêmement concentré, que l’on peut apprécier la portée de ces avancées.
La titrisation synthétique, une autre première, quels en sont les enjeux ?
C’est un mécanisme qui permet un transfert ciblé et spécifique de risques financiers du ‘cédant’ vers le fonds de titrisation sans qu’il y ait pour autant un transfert physique des actifs financiers sous-jacents. Cette simple ‘indexation’ des flux sur des actifs non-transférés ouvre des voies extrêmement importantes pour l’ensemble des acteurs de la place, à commencer par les banques et autres institutions financières. Fondamentalement, elle permet de créer des profils de risques, dissociés d’une logique de chaîne de valeur opérationnelle, à même d’allouer efficacement les capitaux et monétisant adéquatement les différentes poches d’épargne.
Elle permet, par ailleurs, de mettre en place des mécanismes à effet de levier sur la structure de passif (en créant plusieurs classes de risques) du fonds. Ainsi, le fonds Damane Tamayouz portera sur des engagements pouvant aller à 950 MDH en stock et couvrir plusieurs milliards de financements sur la durée globale du fonds tout limitant les engagements au fonds à 125 MDH par application de l’effet de levier.
La capacité de financement de l’ensemble du dispositif financier s’en trouve nettement améliorée.
Notre système financier, dans son ensemble, n’en tirera pleinement bénéfice qu’avec la maturation des notations (rating), qui deviennent dans ce contexte, incontournables. C’est notre prochain défi collectif.
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