Ecrit par Imane Bouhrara |
Les salariés ont trinqué en raison de la pandémie du Covid-19, de ses répercussions économiques et de son impact désastreux sur le marché du travail. Un autre problème se profile à l’horizon auquel les autorités publiques devraient mettre fin : l’exigence par certaines entreprises au Maroc d’un pass vaccinal pour permettre aux salariés d’accéder à leur lieu de travail.
Le dernier pic de la pandémie du Covid-19 a mis les nerfs à vif, nourrissant ainsi les plus grandes craintes d’un prolongement de la crise sanitaire avec toutes les conséquences sur les vies humaines et sur le rythme de reprise de la machine économique.
Une crainte somme toute légitime et compréhensible en attendant l’immunité collective pour contrer la résurgence de vagues de contamination ou de variants du virus de plus en plus contagieux et virulents.
Mais cette peur ne suffit pas pour légitimer toute action qui se trouve être en infraction à la loi. En effet, le souvenir de fermeture d’unités industrielles ou autres devenues cluster en raison du nombre élevé de salariés contaminés par le Covid et les conséquences fâcheuses que les entreprises, ont motivé un acte pour le moins inédit en plus d’être illégal : exiger un pass sanitaire aux salariés au risque de leur interdire l’accès au lieu du travail, pis les licencier pour faute professionnelle grave. Voilà qui ouvre la voie aux abus !
Et les cas commencent à se tasser au Maroc en infraction totale aux dispositions du Code du travail. A croire que la pandémie du Covid-19 est devenue un pain béni pour les entrepreneurs désireux d’alléger leur « masse salariale ».
« Comment une entreprise privée peut conditionner l’accès au lieu du travail par un pass vaccinal à l’heure même qu’aucune disposition légale ne le prévoit et à l’heure même qu’une telle conditionnalité n’est pas prévue au sein des entreprises publiques même encore moins par un texte réglementaire ? », s’interroge Maître Nizar Rostom, avocat au barreau de Casablanca, interpellé à ce sujet par nos soins.
Une entreprise aussi privée soit-elle, elle tombe sous le coup du droit commun. Et jusqu’à nouvel ordre, la vaccination contre le Covid-19 au Maroc n’est pas obligatoire bien que les autorités publiques incitent les citoyens à se faire vacciner pour contenir la pandémie.
« Idem pour le pass vaccinal, puisque ce dernier n’est exigé ni pour accéder aux lieux publics, aux administrations publiques, aux transports publics, aux écoles ou encore aux lieux privés comme les hôtels, les magasins, les cafés… À ce jour, il dispense uniquement des autorisations de déplacement et allège les contraintes de voyages à l’étranger », poursuit Me Nizar Rostom.
Alors d’où vient cet excès de zèle dont font preuve quelques entreprises privées ?
« Il s’agit d’une interprétation erronée des articles 39 et 281 du Code du travail qui, pour le premier délimite le périmètre disciplinaire de l’employeur énumérant les fautes graves pouvant donner lieu au licenciement d’un salarié et pour le deuxième fixe les responsabilités de l‘employeur en matière de santé et de sécurité des travailleurs », explique Me Nizar Rostom. Et d’ajouter que certaines personnes se sont vues déconseiller la vaccination contre le Covid-19. Comment dès lors peuvent-elles le justifier à l’employeur sans que cela ne mette à mal le secret médical.
D’ailleurs la communauté des juristes s’interroge sur ce qui se publie dans la presse à ce sujet et sa conformité aux dispositions du Code du Travail, auquel cas c’est une violation flagrante des droits des salariés qui, en plus d’être ségrégationniste, risque d’encombrer davantage les tribunaux au Maroc déjà submergés par les affaires en lien avec le Convid-19 (licenciement, non-paiement de crédit, non-paiement de loyer, etc).
Il y a lieu de souligner là un précédent de l’antenne régionale de la CGEM à Tanger-Tétouan-Al Hoceima qui dans une note évoque les responsabilités qui échoient à l’employeur tenu de respecter les diverses mesures ad-hoc prises par les pouvoirs publics compétents pour prévenir les risques provenant du virus covid-19, avant de nuancer son propos limitant le contenu de la note à mettre les entrepreneurs devant leur responsabilité.
Or, dans les différentes communications des autorités publiques depuis le début de la pandémie à ce jour, il ne figure nullement parmi les mesures appliquées aux entreprises pour une continuité d’activité en plein Covid, l’obligation de vaccination encore moins la détention d’un pass vaccinal. Sachant que même une personne vaccinée peut contracter le Covid et elle est tout aussi contagieuse qu’une personne non vaccinée.
« De fait, une entreprise ne peut pas se substituer aux autorités publiques pour édicter des mesures qui sont en contradiction aux dispositions de la loi au risque de faire l’objet de poursuites par le salarié lésé », souligne l’avocat.
Et l’arbitraire va encore plus loin, puisqu’il rapporte le cas d’un huissier de justice venu constater qu’une entreprise interdit l’accès aux salariés à ses locaux. En effet, il a été interdit d’accomplir sa mission sous prétexte de non présentation de pass vaccinal. Un précédent que cet huissier de justice pourrait réparer par voie de justice.
Le débat sur le fait de rendre le pass vaccinal obligatoire au Maroc a bien évidemment suscité l’intérêt surtout face au bilan lourd de ces dernières semaines, mais à ce jour la question ne semble même pas à l’ordre du jour pour les autorités, du moins d’apparence, puisqu’elles maintiennent le discours d’incitation et non d’obligation à la vaccination contre le Covid-19, y compris pour les 12-17 ans.
Mais cela peut tout aussi changer selon l’évolution de la situation pandémique. Mais à l’heure actuelle, il n’en est rien. Inutile donc d’aller plus vite que la musique ! D’autant plus qu’il n’existe aucune jurisprudence qui permette à un employeur de considérer la non détention par un salarié d’un pass vaccinal comme faute grave.
Ailleurs, non seulement trancher sur ce débat était lent et lourd de conséquences, mais il passe par les circuits législatifs d’approbation. Et encore cette obligation de pass vaccinal n’est pas généralisée mais limitée à certains secteurs (énumérés dans une liste officielle consultable) et même les sanctions sont fixées par la loi et non laissées à la libre appréciation des patrons. Les autorités publiques mais aussi les syndicats que l’on n’entend plus, doivent plancher sur cette problématique avant qu’elle ne prenne des dimensions incontrôlables.