Le PLF 2019 promeut-il une croissance inclusive ? Réponse avec Youssef Guerraoui Filali, Président du Centre Marocain pour la Gouvernance et le Management (Centre de Recherche et de Formation à Vocation Scientifique).
EcoActu.ma : Pensez-vous que le PLF 2019 apporte des mesures pour promouvoir une croissance inclusive ?
Youssef Guerraoui Filali : Dans le cadre actuel, la croissance inclusive ne peut être réalisée sans la refonte de notre modèle développement. En effet, il s’agit avant tout d’une véritable convergence des politiques publiques sectorielles, fondée sur un changement de paradigme et une nouvelle approche budgétaire ciblant la réalisation des objectifs socio-économiques, en vue de réduire significativement les inégalités sociales existantes, plus particulièrement la généralisation de la protection sociale et l’insertion des jeunes au marché travail.
Par conséquent, de nouvelles mesures fiscales et douanières encourageantes peuvent relancer notre économie. Le PLF 2019 est une occasion propice pour rompre avec l’actuel ralentissement économique, et par conséquent redynamiser le climat des affaires. D’autre part, il est question aussi de soutenir le pouvoir d’achat des ménages qui s’est légèrement détérioré courant cette année 2018, impactant négativement la dynamique des marchés traduite dans le chiffre d’affaires des entreprises marocaines en l’occurrence la baisse remarquable des ventes.
Les instructions royales, notamment en ce qui concerne le soutien aux PME/TPE, au volet social…, se sont-elles reflétées dans le PLF 2019 ?
Concernant le volet social, le PLF 2019 se veut un instrument d’appui pour la réalisation des politiques sociales (santé, éducation, cohésion sociale…). Un effort budgétaire important a été consenti au niveau des secteurs sociaux, octroyant plus de crédits budgétaires aux ministères Publics à caractère social. S’ajoute à cela, l’effort du gouvernement pour faire aboutir le dialogue social avec les syndicats représentatifs des salariés et fonctionnaires de l’Etat. A titre d’information, en se référant à la programmation triennale 2019-2021 des dépenses de personnel, l’enveloppe budgétaire passera de 108 Mds de DH programmés en 2018 à 112 Mds de DH au titre de l’année budgétaire 2019, pour atteindre 115 Mds en 2021.
S’agissant du soutien aux PME/TPE, ça sera aussi le rôle du Parlement pour la présentation d’amendements importants favorisant le soutien de ces deux types d’entreprises. En effet, la confédération des TPE-PME a déjà présenté ses propositions au Chef du Gouvernement. Il s’agit essentiellement de mesures d’accès au financement et à la commande publique et de dispositions limitants la pression fiscale sur ces entreprises. Quant à la réduction des délais de paiement, c’est un point qui incombe au Gouvernement, la confédération n’a pas évoqué ce volet au niveau des négociations pour le PLF 2019, c’est une évidence !
Dans le PLF 2019, il est également introduit une disposition concernant la contribution sociale de solidarité qui frappe les sociétés réalisant un bénéfice supérieur ou égale à 40 MDH pendant deux exercices consécutifs. Quelle appréciation faites-vous de cette mesure sachant qu’elle a pris fin en 2015 et que le gouvernement s’est engagé à ne pas la reconduire ?
A vrai dire le Gouvernement a besoin de marges de manœuvres pour le financement de la cohésion sociale et dans un contexte marqué par une morosité citoyenne intense et exprimée de plus en plus sur les réseaux sociaux. Effectivement il faut chercher des ressources pour lutter contre la vulnérabilité sociale, mais ça ne doit pas se faire sur le dos des entreprises performantes.
Sincèrement, cette mesure m’inquiète. Elle risque de provoquer un acte de maquillage des comptes pour certaines entreprises, afin de rester en dessous de la barre des 40 MDH, sauf pour celles qui réalisent des résultats financiers très élevés (ne sont pas d’ailleurs nombreuses). Je pense qu’il est temps d’innover en cherchant à imposer les fortunes. Le sujet avait été évoqué une fois au Parlement, mais sans suite. Il va falloir relancer ce débat pour chercher de véritables sources de collecte des fonds n’impactant pas nécessairement l’entreprise marocaine qui paye déjà autant d’impôts et de taxes (TVA, IS, IGR, Retenue à la Source…).
Il ressort du PLF 2019 que la grille de l’IS progressif va subir des modifications essentiellement la tranche comprise entre 300.001 DH et 1 MDH qui se verra appliquer un taux de 17,5% contre 20% actuellement. Quelle appréciation faites-vous de ce réaménagement ? Est-il suffisant pour alléger le coût de la pression fiscale ?
Le Maroc est parmi les pays les plus fiscalisés au monde. L’entreprise paye assez de taxes, sauf celles qui fraudent, avec tout mon respect aux entreprises intègres. Par conséquent, le fisc est devenu plus conscient et des contrôles sont effectués systématiquement après la déclaration de quelques résultats déficitaires en cascade.
La baisse de 2,5 points de l’IS réduira en partie la pression fiscale sur cette tranche d’entreprises. En effet, il sera plus intéressant de baisser les taux de TVA pour assouplir la trésorerie des entreprises ou de réduire les barèmes de l’IR, car l’entreprise supporte le salaire brut et les compétences négocient toujours le salaire net laissant à l’entreprise la charge de l’impôt. Mais pour être très réaliste, il est très difficile à l’état actuel, car le budget de l’Etat est déjà déficitaire et la maîtrise du déficit à 3% du PIB est un impératif de maintien des équilibres financiers du Royaume. Ce sont les recettes fiscales qui financent l’essentiel des dépenses de l’Etat.