En octobre 2018, le Roi Mohammed VI avait présidé un Conseil des ministres à la veille de l’élaboration du PLF 2019, dans lequel la priorité devait être donnée à « la préservation des grands équilibres macro-économiques en poursuivant la réduction du niveau du déficit budgétaire et une gestion vigilante de l’endettement ».
Dans son rapport pour l’année 2018, publié en septembre 2019, la Cour des Comptes avait souligné la nécessité de « mettre en place une bonne gouvernance au niveau de toutes les fonctions de l’Etat, à savoir la planification, la programmation, l’exécution, le contrôle, et l’évaluation des programmes et opérations effectués par les organismes publics ».
Récemment, lors de la conférence de presse tenue en septembre dernier à l’issue de la troisième session du Conseil de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri a appelé à être vigilant vis-à-vis du niveau de la dette publique et éviter aux générations à venir des endettements insupportables.
Autant de mises en garde qu’il faut prendre très au sérieux.
Le rapport sur la dette publique fait ressortir qu’à fin juin 2018, l’encours de la dette du Trésor s’est établi à 706,8 milliards de DH (Soit 65,1% de PIB) contre 692,3 milliards de DH à fin 2017 (64,9 % du PIB), soit une progression de 2%. Cet encours était de 345,17 milliards de DH en 2009 !
Sachant que cet encours n’intègre pas les créances de l’Etat envers les établissements et entreprises publiques (EEP) et les autres entreprises du secteur privé en matière de la TVA et de l’IS.
« L’endettement public ne se résume pas uniquement à l’endettement du Trésor. Je suis plutôt enclin à reprendre le calcul de la Cour des comptes, à savoir que l’endettement public est la somme de l’endettement du Trésor et celui des établissements publics garanti par l’Etat. On passe à 92 % du PIB. Je crois personnellement qu’il faut être vigilant parce que le Wali de Bank Al-Maghrib a eu raison lorsqu’il a souligné que les générations futures pourraient payer au prix fort cet endettement », précise l’économiste Mehdi Fakir.
Mais ce n’est pas tant l’endettement qui pose un problème à ses yeux mais la soutenabilité de la dette : La question est de savoir si aujourd’hui, le Maroc dispose de suffisamment de garanties quant à la soutenabilité de la dette. « J’ai bien peur que nous n’en ayons pas assez. Rappelez-vous 2013 : elle marquait le début des problèmes puisqu’on a soit disant alléger la dette. Mais en réalité, on n’a fait que différer la pression de la dette pour plusieurs années », alerte-t-il.
Le plus dépitant dans cette situation est que le pays n’a pas le choix, ce qui d’ailleurs motive le recours au marché international via une seconde levée de fonds d’un milliard de dollars à l’international prévue en 2020.
« Nous sommes dans un contexte particulier marqué par de fortes attentes et des impératifs budgétaires… ce n’est pas pour défendre l’Exécutif ni lui donner raison, mais je pense qu’il ne peut pas faire autrement » estime Mehdi Fakir.
Certes, le Maroc s’endette conformément à la Loi organique des Finances pour financer l’investissement, mais cet endettement est-il bien piloté ?
« J’ai bien peur que non. Et ce n’est pas moi qui le dis, puisque lors du conseil des ministres tenu en octobre 2018, le Roi a parlé d’une gestion vigilante de l’endettement. L’autre point auquel il faut rester attentif est : dans quelle proportion cet endettement est-il devenu structurel ? », ajoute Mehdi Fakir.
Il ne faut pas perdre de vue que dans le cadre du processus continu d’amélioration de l’efficacité de la gestion de la dette et de diversification des sources de financement de l’Etat, la Direction du Trésor et des Finances extérieures poursuit la mise en place des mesures visant à renforcer la transparence de la gestion de la dette publique et l’efficience du marché des valeurs du Trésor et à réduire à terme le coût de financement de l’Etat.
Mais face à une telle situation dans lequel se trouve le pays, l’économiste estime qu’il faut peut-être reconsidérer l’idée de changer la structure qui est en charge de la dette. « Il faut confier cette tâche à une agence, une salle des marchés ou une banque d’investissement avec pour principale mission de recycler cette dette, de la réaffecter, de faire du lobbying pour la transformer en investissement … tout ce qu’il faudrait pour alléger la pression de la dette », conclut Mehdi Fakir.