Ecrit par Imane Bouhrara |
Les intentions du programme gouvernemental telles que présentées par Aziz Akhannouch lundi dernier sont louables. Une première fois que l’Etat social et la souveraineté nationale sont affichés comme priorités nationales. Sur le plan économique, trois engagements suscitent néanmoins quelques questionnements : 4% de croissance en moyenne, un million d’emplois à créer et l’amélioration du coefficient de Gini.
La présentation ce lundi 11 octobre 2021 des grandes lignes du programme gouvernemental par Aziz Akhannouch en séance plénière devant les deux chambres a suscité beaucoup d’intérêt et beaucoup d’enthousiasme.
Il faut dire que ce gouvernement arrive à une époque charnière : essoufflement du modèle économique et une crise sanitaire de plus d’un an et demi. Ce qui explique d’ailleurs le fort taux de participation aux élections du 8 septembre 2021 exprimant une réelle aspiration au changement de la part des citoyens marocains.
Et autant dire qu’Aziz Akhannouch a bien été au rendez-vous puisque les aspirations sociales exprimées par les citoyens ont largement trouvé écho dans la déclaration du chef de gouvernement.
« C’est la première fois dans l’histoire qu’on ne met pas en avant les équilibres macroéconomiques. On constate une mise en avant de l’Etat social, une aspiration demandée depuis des années et à l’appréciation des intentions exprimées dans ce sens, je ne peux pas ne pas saluer un tel programme. D’autant qu’on parle d’un revenu de la dignité, ou plutôt un revenu universel pour reprendre l’expression d’usage au niveau mondial. Ça va dans le bon sens que je ne peux que saluer », explique l’économiste Najib Akesbi.
Même chose sur le plan économique qui met en avant la souveraineté nationale, alimentaire, énergétique…
Mais, les intentions suffiraient-elles ? Il faut encore trouver les moyens sachant l’état des finances publiques et les marges budgétaires amenuisées de l’Etat, pour concrétiser ces engagements. La question de la fiscalité évoquée dans la déclaration du chef de gouvernement n’a pas été aussi détaillée que les autres actions prévues à l’avenir. Elle a été évoquée au détour d’une phrase avec la charte d’investissement, qui elle aussi est en « salle d’attente ».
« L’orientation générale sociale et solidaire est à saluer. Mais pas un mot sur le financement, c’est un signe inquiétant. De par le monde et dans les expériences mondiales depuis la deuxième guerre mondiale, l’on sait que l’Etat social, basé sur le principe de solidarité, marche sur deux jambes : les dépenses et les ressources. Ce dernier point implique de véritables réformes dont fiscale fondée sur une imposition générale progressive sur tous les revenus, le capital, les grandes fortunes… A défaut, on aura ou bien des projets sans financement ou plus grave, faire la fuite en avant en recourant à l’endettement », analyse Najib Akesbi.
Pourtant, ce PLF 2022 sera un véritable test de l’entrée en exécution des objectifs fondamentaux de la Loi-cadre 69-19 portant réforme de la fiscalité. Une question qui doit être approfondie sérieusement pour mettre à contribution l’instrument fiscal dans le financement des objectifs ambitieux attendus pour ce mandat.
D’autant plus que cette question est également liée à un des dix engagements du gouvernement à savoir la réduction des inégalités socio-économiques en ramenant le coefficient de Gini de 46,4 % actuellement à moins de 39 %.
« Or, le coefficient de Gini est indicateur d’inégalités de revenus, encore faut-il que le HCP nous gratifie de sa méthodologie. Ce qui implique une véritable politique de revenu et fiscale au Maroc pour réaliser un tel engagement », interpelle l’économiste.
Ainsi, l’appréciation positive des intentions exprimées par le chef de gouvernement ne peut omettre des interpellations sur les moyens et mécanismes qui seront mis en œuvre pour réaliser des engagements ambitieux, notamment la création d’un million d’emplois sur cinq ans.
Là encore, cet objectif reste tributaire d’une croissance soutenue, pérenne et inclusive. Sauf que le gouvernement table sur 4% de croissance moyenne sur les cinq ans. Un objectif prudent vu la conjoncture actuelle et réaliste vis-à-vis d’un électorat averti ayant sanctionné les promesses mirobolantes de croissance d’autres gouvernements. Mais nous sommes au moins loin de 2 points de l’ambition du Nouveau modèle de développement de réaliser 6% de croissance en moyenne.
Dans de telles conditions, cet objectif à la fois économique et social de création d’un million d’emplois est-il réalisable ?
Sur ce point, l’économiste Najib Akesbi estime que ce n’est pas seulement un décalage manifeste du montage de ce programme puisqu’il est universellement connu qu’un point de croissance produit 20.000 emplois donc avec une moyenne de 4% de croissance, 80.000 à 100.000 emplois seront créés par an. « Donc, la moitié de ce qui est promis. Ça ne résiste pas au test de crédibilité. Soit cet objectif doit être revu à la baisse soit, c’est le montage économique qui doit être revu en matière de taux de croissance », estime Najib Akesbi.
Ce programme gouvernemental, qui fera l’objet de discussion au niveau des deux chambres et sera soumis au vote de la première chambre, et bien qu’il soit l’émanation de la majorité, est un véritable contrat qui implique la responsabilité de l’ensemble de la classe politique dans une conjoncture de reprise de confiance entre citoyens et acteurs politiques. De sa crédibilité et de la réalisation de ses engagements, découlera la crédibilité à accorder à l’action politique au cours de ce mandat qui balise le terrain vers la mise en place du Pacte national de développement.
C’est dire les enjeux qui reposent sur les épaules du nouveau gouvernement.