Où en est le chantier de la régionalisation avancée ?
Le point avec Youssef Guerraoui Filali, Président du Centre Marocain pour la Gouvernance et le Management (Centre de Recherche et de Formation à Vocation Scientifique) qui rappelle que la décentralisation et la déconcentration administrative constituent les deux mécanismes majeurs qui permettront de roder la nouvelle machine régionale.
EcoActu.ma : Lenteur dans l’adoption des décrets d’application, blocage au niveau des attributions des régions par des interprétations juridiques, pouvoir conjoint des régions avec les départements gouvernementaux et absence d’une réelle volonté politique d’activer le transfert de pouvoirs…, autant de freins qui entravent la mise en œuvre effective du projet de la régionalisation avancée. Quel commentaire faîtes-vous de cet état de fait et dans quelle mesure ces blocages risquent-ils d’entraver ce chantier d’envergure ?
Youssef Guerraoui Filali : Tout d’abord, il s’agit d’une mise en place progressive de la réforme régionale et depuis la publication de la loi organique sur les régions en février 2016. L’arsenal juridique est l’épine dorsale du chantier, mais demeure insuffisant. En effet, il va falloir mettre en œuvre un « package de dispositifs » au service de la réforme régionale couvrant le transfert des moyens et des compétences, la délégation des pouvoirs administratifs de décision et l’octroi des prérogatives et des habilitations nécessaires à la gestion des affaires locales.
Dans cette optique, la décentralisation et la déconcentration administrative constituent les deux mécanismes majeurs qui permettront de roder la nouvelle machine régionale, à travers le développement et la mise à niveau des entités locales et administratives, pour qu’elles puissent devenir autonomes et capables de décider efficacement sur la conduite de la chose publique. Un autre point important, la mise en place de la nouvelle gestion locale axée sur les résultats et la performance. En effet, les lois organiques des collectivités territoriales (régions, préfectures, provinces et communes locales) évoquent la gestion centrée sur les objectifs et la programmation pluriannuelle. Il s’agit d’aspects repris de la Loi Organique des Finances de l’Etat (LOF 130-13) en vue d’élargir la réforme budgétaire publique aux niveaux régional, local voire territorial.
Quelle est la part de responsabilité de l’administration centrale dans le retard qu’accuse ce chantier ?
Le Gouvernement, à travers son administration centrale, se penche aujourd’hui sur le « Projet de Déconcentration Administrative ». Sans ce mécanisme, l’administration territoriale ne pourra gérer efficacement ses affaires locales. Il s’agira en effet de mettre en place de véritable services administratifs déconcentrés, n’ayant pas le statut d’entités juridiques au même titre que les collectivités territoriales, mais plutôt des unités administratives localement opérationnelles, et encadrées par une charte de déconcentration administrative et des décrets d’application afférents.
Lesdits services déconcentrés vont opérer au service du citoyen et en faveur d’une gestion locale de qualité, voire efficace et efficiente. Concrètement parlant, il s’agira entre autres d’économies de temps au niveau du traitement des affaires locales, de fluidités dans le processus décisionnel local et de rationalisations en termes de coûts de navettes (transfert des dossiers locaux vers le centre).
Quels sont les risques de non attribution aux régions du rôle qu’il leur incombe dans le développement socioéconomique des régions et de celui du pays de façon plus large ?
Tout simplement, le Maroc ratera une station essentielle à son développement socio-économique. La mise à niveau de la gestion locale à la lumière de la régionalisation avancée est indispensable pour le progrès des territoires du Royaume. Institutionnellement parlant, le Pays a tout un fondement juridique sur cette question allant de la constitution de l’année 2011 jusqu’aux lois organiques de l’année 2016 qui ont octroyé aux régions de la « prééminence » sur le reste des collectivités territoriales, et avec des attributions juridiques spéciales tel que le Plan de Développement Régional (PDR).
In fine, rater le train du développement régional n’arrivera pas… étant donné que tous les acteurs du projet de régionalisation avancée ont en la conscience. Mais plus de retard dans le déploiement du chantier de régionalisation, risque de faire perdre à notre Pays des points au niveau de la croissance, et plus particulièrement dans le climat des affaires et la promotion des investissements locaux.
Où en est la loi organique relative aux régions ?
La loi est déjà en vigueur avec un paquet de décrets d’application publiés au bulletin officiel du Royaume (entre 2016-2017). Par conséquent, la mise en œuvre de certaines dispositions manquent à l’appel. De ce fait, la mise en place effective de la régionalisation avancée, à travers la décentralisation des pouvoirs et des prérogatives du centre vers les périphéries et la déconcentration administrative des services publics aux niveaux locaux les plus proches des usagers, facilitera l’activation de certaines dispositions organiques, et selon les cas, par le biais de décrets d’application, d’arrêtés ministériels, de notes circulaires ou de décisions administratives appropriées.
L’autonomie fiscale reste absente dans ce chantier national. Quelle conséquence sur la réussite du projet ?
L’autonomie fiscale des territoires est une problématique complexe. C’est un sujet qui interpelle les Collectivités Territoriales, le ministère de l’Economie et des Finances plus spécifiquement les Perceptions de la Trésorerie Générale du Royaume et l’Autorité Gouvernementale chargé de l’Intérieur en la personne du Wali ou du Gouverneur. Des actions pertinentes de synchronisation et de coordination entre les différents corps aboutiront à des opérations importantes de collecte des recettes fiscales locales, et par conséquent à réduire le fameux « reste à recouvrer » tant pointé du doigt par les Cours Régionaux des Comptes.
Dans cet ordre d’idées, il s’agira de réorganiser la gestion fiscale des collectivités territoriales au-delà de la myriade conséquente des textes réglementaires en la matière. La restructuration des actions fiscales devra couvrir plusieurs aspects tels qu’un système d’information intégré et interconnecté entre acteurs, des canaux de communication fluides entre les différents intervenants de la chaine et un cadre formel et clair de répartition des tâches et des responsabilités entre les différentes parties prenantes de la gestion fiscale locale.