Le Covid-19 a mis des centaines voir des milliers d’entreprises dans le rouge. Déjà qu’en temps normal, les entreprises croulent sous les dettes. D’où l’appréhension des acteurs économiques d’une relance qui exploserait l’endettement et les prendrait plus au cou qu’ils ne le sont déjà. Dans son plan de relance, la CGEM propose des mécanismes de financement alternatif.
La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) a remis jeudi dernier sa proposition de plan de relance économique composé de 508 mesures émanant de 25 fédérations et décliné en plans sectoriels de relance prenant en ligne de compte les priorités de chaque secteur d’activité.
Pour donner plus de lisibilité au document de la CGEM de 125 pages, une visioconférence a été organisée le mercredi 27 mai à 15 h pour échanger avec la presse sur les principales propositions, le financement de ce plan de relance et les mesures d’accompagnement notamment d’ordre social.
Le président de la CGEM, Chakib Alj explique qu’il s’agit d’un plan de relance équilibré entre Etat, entreprises et citoyens, allusion faite à ce que chacun sera amené à consentir des efforts pour éviter une paralysie de l’appareil productif national et épargner ainsi au Maroc une récession dans la durée.
Si le patronat se dit confiant dans la capacité du pays et des entreprises à s’adapter et à rebondir, surtout avec le rétablissement de la confiance entre l’Etat et les entreprises, il n’en demeure pas moins que le challenge est immense.
En effet, comment opérer cette relance et sur que quel horizon dans un contexte où 62 % des entreprises affiliées à la CNSS ont demandé à bénéficier des mesures mises en place par le CVE. Quid de secteurs quasiment à l’arrêt comme le tourisme ?
Il faut signaler à ce niveau que le plan de relance a pris en considération ce point puisque le plan de relance est composé de mesures de contingence.
Le coût estimé de ce plan de relance est de 80 à 100 Mds de DH dont des mécanismes contenus dans ce plan 60 Mds représentant la garantie de l’Etat.
La question majeure demeure le financement de cette ambitieuse stratégie de relance. Il y a lieu de rappeler que le CVE a dévoilé le 21 mai le dispositif de garantie par l’Etat du financement de la phase de relance des entreprises post crise. Il couvre tout le spectre des entreprises, publiques et privées, négativement impactées par la pandémie. Ce dispositif est décliné en deux produits majeurs.
« Relance TPE » qui est garantie de l’Etat à hauteur de 95% pour les crédits de relance de l’activité, accordés aux TPE, commerces et artisans dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions DH. Ces crédits peuvent représenter 10% du chiffre d’affaires annuel. Et « Damane Relance » avec une garantie de l’Etat variant entre 80% et 90% en fonction de la taille de l’entreprise. Cette garantie couvre les crédits accordés pour la relance de l’activité des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 10 millions DH. Ces crédits peuvent atteindre 1 mois et demi de chiffre d’affaires pour les entreprises industrielles et un mois de chiffre d’affaires pour les autres.
Afin de contribuer à réduire les délais de paiement, 50% du crédit doit servir au règlement des fournisseurs. Ce produit couvre également les grandes entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 500 millions DH.
Mais qu’en est-il des entreprises fortement endettées, non solvables mais également celles travaillant dans l’informel ?
Des fonds d’investissement sectoriels
Le Covid-19 a mis des centaines voir des milliers d’entreprises dans le rouge. D’ailleurs, il est prévu une augmentation conséquente des défaillances.
Déjà qu’en temps normal, les entreprises croulent sous les dettes et trainent un problème de trésorerie chronique aggravé par les délais de paiement anormalement longs.
D’où l’appréhension des acteurs économiques d’une relance qui exploserait l’endettement et les prendrait plus au cou qu’ils ne le sont déjà, une solution à problèmes. Quid de financement alternatif autre que celui bancaire avec garantie de l’Etat ?
Dans ce sens, en plus des produits lancés par le CVE, la CGEM a pensé à un deuxième mécanisme en la création de Fonds généralistes ou sectoriels pour le financement des entreprises structurées en quasi-fonds propres, pour amortir les pertes et financer la croissance, comme l’a étayé Mehdi Tazi, vice-président de la CGEM lors de la visioconférence.
Le document remis au CVE fait état d’une offre standard de dette long terme avec option de conversion en participation après 2 ans. Ce mécanisme devra être accompagné par la mise en place d’une fiscalité attractive pour l’accumulation du capital et l’attraction de fonds d’investissement.
Il est également proposé la création de fonds en PPP avec déclinaison sectorielle et régionale et une gouvernance et équipe de gestion souples des opérations en quasi fonds propres. Bien évidemment ces fonds prennent différentes formes et tailles selon les secteurs concernés.
Dans ses prévisions, la CGEM estime que ces mécanismes nécessiteront entre 5 à10 Mds de DH en fonds propres, avec un effet de levier de 10 à 15 Mds de DH supplémentaires.
Aussi, l’intégration des entreprises œuvrant dans l’informel vers le formel occupe-t-elle une place de choix dans ce plan de relance pour opérer par la même occasion une transformation de l’économie du moins du tissu économique.
En effet, la crise sanitaire a certainement provoqué une onde de choc et une prise de conscience des acteurs de l’informel de l’importance de la formalité de profiter des mesures mises en place pendant la crise.
Si l’accès aux mesures sociales pendant cette crise n’a pas été conditionné, pour profiter des mesures de relance la migration de l’informel vers le formel est une condition immuable selon la CGEM.
Des mécanismes sont proposés dans le plan de la CGEM pour faciliter cette migration. A titre d’exemple, l’AMITH propose d’élaborer un statut fiscal et social particulier, type auto-entrepreneur pour inciter les TPME informelles à intégrer le secteur formel. Idem pour le secteur touristique très marqué par l’informel.
La Fédération de l’industrie du cuir propose pour sa part une amnistie fiscale et sociale pour les unités de fabrication informelles désirant passer au formel.
Bien évidemment, la majeure partie du plan de relance qui s’étale sur 125 pages reste tributaire de l’appréciation des autorités publiques, notamment l’administration fiscale, des efforts qui pourront être consentis pour appuyer ce plan de relance. Hakim Marrakchi, le président de la Commission fiscalité et douane au sein de la CGEM en a énuméré les plus importantes. La DGI est également appelée sur le report de régularisation spontanée tous secteurs confondus.
Dans ce sens, Chakib Alj, le président de la CGEM a précisé que des contacts ont été déjà entamés avec des départements ministériels mais que les discussions d’un plan global tel que l’évoque le Comité de veille économique devront démarrer la semaine prochaine.
Pour rappel, devant la chambre des représentants le ministre de l’Economie et des Finances avait souligné qu’il s’agira d’une stratégie globale et intégrée mais qui prend en considération les spécificités de chaque secteur.
Les partenaires sociaux appelés à contribution
Autant dire que la conjoncture actuelle remet sérieusement en cause l’accord du dialogue social conclu en avril 2019 au moins pour deux raisons. Comme l’explique Hicham Zouanat, le président de la Commission sociale au sein de la CGEM, tous les engagements n’ont pas été respectés alors que le patronat a rempli sa part de marché mais également la crise économique qui se profile à l’horizon et les difficultés des entreprises qui en découlent devront remettre à plus tard l’augmentation du SMIG.
L’accord conclu entre l’Etat, le patronat et les partenaires sociaux prévoyait une augmentation de 5% en 2019 et une deuxième augmentation de 5 % en juillet 2020.
Ainsi, l’on apprend que la CGEM a fait une demande officielle de report au Chef de gouvernement.
Aussi, dans le cadre du plan de relance, la CGEM propose-t-elle d’introduire au delà du 30 juin d’un mécanisme de chômage partiel pour les entreprises en difficulté avec partage des coûts entre l’employeur, l’employé et l’État, et assorti d’un engagement du maintien des emplois à hauteur de 70 à 80 %.
Les conditions de profiter de cette mesure que la CGEM propose d’étaler sur une durée allant du 1er juillet au 30 juin 2021 maximum restent à déterminer.
Ce mécanisme consiste en le paiement de l’employé à hauteur du temps travaillé dans le mois avec un minimum de 50 %, qui sont financés à 50 par l’employeur avec prise en charge par l’État de 50% de ce salaire plafonné à 3.000 DH, assorti de l’exonération de l’IR. Le coût de cette partie du plan de relance est estimé entre 4 et 5 Mds de DH.
Il va de soi que cette mesure impose des négociations avec les partenaires sociaux pour échanger sur la prorogation de la durée de réduction du temps de Travail, aujourd’hui plafonnée à 4 mois maximum pour la porter à une année.
La CGEM aspire également à apporter des modifications au code du travail pour donner un soubassement juridique à cette mesure, mais également d’inscrire l’exonération de l’IR pour les entreprises qui en bénéficieront dans la Loi de Finances.
Tout ça promet de longs débats avec les partenaires sociaux dans un contexte où le temps compte beaucoup pour la reprise.