Ecrit par Soubha Es-Siari |
La réforme du secteur public est devenue impérative dans un contexte marqué par un rétrécissement de la marge budgétaire et la nécessité d’une rationalisation de la dépense publique. L’agencification se veut la solution idoine pour assurer la performance de la gestion de la chose publique. Mais encore faut-il que des garde-fous soient mis en place.
Dans ce cadre, la Trésorerie Générale du Royaume en partenariat avec Fondafip a organisé le samedi 18 juin une rencontre sur le thème : « Agencification du secteur public : Entre l’ambition de performance et les dérives de la mise en œuvre ». Le but étant de définir la meilleure manière de gérer le service public. A noter qu’il y a d’un côté l’administration publique qui veille à l’exécution des politiques de gouvernement et de l’autre les démembrements de l’Etat que sont les EEP ou les agences qui les exécutent.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, le Trésorier Général du Royaume, Noureddine Bensouda a tenu à démystifier le mot agence.
« Il y a lieu de préciser que le phénomène des agences est apparu dans le monde anglo-saxon vers la fin des années 1980 sous l’effet du courant libéral et du « new public management », annonce N. Bensouda. Et d’ajouter : « Dans le cas du Maroc, Abdellatif Jouahri avait été chargé par Feu Sa Majeste Hassan II, que Dieu ait son âme en sa sainte miséricorde, au début des années 1980, de l’élaboration d’un rapport détaillé sur le secteur public. A l’époque, la Banque mondiale avait octroyé un prêt PERL (Public Entreprises Restructuration Loan) dans l’objectif de rationaliser le secteur public.
En 2016, la Cour des comptes a élaboré, en 2016, un rapport sur « Le secteur des établissements et entreprises publics au Maroc : Ancrage stratégique et gouvernance ».
La Cour a révélé une superposition d’entités pour un même ensemble de prérogatives et que des entités administratives, qui continuent pourtant d’exister, sont complètement vidées de leurs attributions et privées, pour ainsi dire, de leur raison d’être.
En 2020, le Souverain, dans son discours du trône a appelé à « une réforme profonde du secteur public (qui) doit être lancée avec diligence pour corriger les dysfonctionnements structurels des établissements et des entreprises publics, garantir une complémentarité et une cohérence optimales entre leurs missions respectives et, in fine, rehausser leur efficience économique et sociale ».
L’intérêt de plus en plus suscité pour l’agencification est justifié par l’attrait pour les modèles de gestion du secteur privé considérés comme plus légers, plus souples et plus pragmatiques.
La question qui se pose d’emblée : comment assurer la performance de la gestion de la chose publique tout en se basant sur les pratiques du privé et ce tout en abreuvant d’informations les décideurs publics, le parlement, le gouvernement… pour plus de contrôle et de réédition des comptes ?
Selon les fervents défenseurs de l’agencification, en créant des entités disposant de la souplesse nécessaire, d’une plus grande autonomie dans la gestion et en mettant en place les mécanismes de reddition des comptes, le plus souvent, axés sur les résultats, il est logique d’avoir de l’efficacité et de la performance à la clé.
Mais cela n’empêche pas Noureddine Bnesouda de s’attarder sur les différences fondamentales existant entre le management privé et la gestion de la chose publique.
Il cite à cet égard le fait que l’échelle de temps des décisions n’est certainement pas la même ;
Et la raison d’être, non plus, n’est pas la même : dans le secteur privé, l’objectif est la recherche du profit, ce qui est normal, alors que c’est la notion de service public et d’intérêt général qui motive le secteur public.
Quoi qu’il en soit, le sujet est vaste et nous interpelle sur plusieurs autres questions : les ressources de ces agences, leurs dépenses à travers la commande publique, leurs dépenses de personnel, leur patrimoine, leur endettement …
A ce titre, aussi bien la réforme comptable de l’Etat que la consolidation des comptes du secteur public pourraient participer à plus de transparence, de reddition des comptes et de renforcement du contrôle de la représentation nationale sur ces agences.
De son côté, Tarik Laaziz, inspecteur des finances considère que le terme agence n’est pas encore défini sur le plan juridique. On trouve des EEP qui ont la forme d’agences… et même l’Agence de gestion des participations stratégiques de l’Etat a la forme d’une SA. Il plaide à ce titre pour la définition juridique des agences.
Pour le professeur et président de Fondafip Michel Bouvier, dans un système devenu de plus en plus complexe, la bonne gestion des finances publiques se pose avec acuité. Il passe en revue la guerre en Ukraine, l’inflation, la hausse des cours des matières premières… qui s’abattent sur les économies déjà fragilisées par la crise sanitaire. « Dans ce monde dangereux, de plus en plus risqué même sur le plan climatique, il faut être agile et rapide. D’où l’intérêt de mettre en place au sein de certaines administrations, des agences qui fonctionnent avec une rapidité d’action pour répondre aux besoins des citoyens ».
Le problème c’est que si l’on développe les agences à l’infini, on n’aura plus d’Etat. Développer la décentralisation d’un côté et les agences de l’autre, l’Etat central finira par disparaître.
Autrement dit, selon Michel Bouvier, la souveraineté de l’Etat devrait être soutenue. Oui pour les agences, mais encore faut-il qu’elles soient sous le contrôle de l’Etat.
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