Dans cette conjoncture de post pandémie et de stagflation, la problématique du financement se pose avec acuité. Si bien que dans ce contexte macroéconomique en forte détérioration, deux questions se posent et sur lesquelles se sont penchés les conjoncturistes : quels enseignements ressortent de l’analyse de l’évolution des statistiques monétaires et de crédit les plus récentes ? Quel est le profil des politiques de financement mises en œuvre par les autorités publiques pour faire face aux exigences du nouveau contexte ?
Force est de constater la hausse soutenue du stock des billets en circulation et le reclassement des autres composantes de la masse monétaire. Il s’agit des principaux faits marquants qui ressortent de l’analyse des données statistiques arrêtées respectivement à fin Décembre 2021 et à fin Mai 2022.
« Il est à noter en particulier que les billets en circulation sont en progression soutenue même si le rythme d’accroissement est en décélération. Le flux additionnel est respectivement de 18,4 Mds de Dhs à fin décembre 2021 contre 52,5 Mds de Dhs un an plus tôt, soit des taux d’accroissement respectifs de 5,8% et 19,7%, ce qui est très loin des rythmes d’évolution enregistrés durant les années antérieures », rappellent les conjoncturistes.
A la faveur de cette demande, toujours soutenue du cash, l’encours des billets en circulation ressort à plus de 337 Mds de Dhs pour un poids pondéral de 21,6% dans le total du stock monétaire (M3). Cette hausse dans la demande du cash s’accompagne d’un gonflement des dépôts à vue logés sur les comptes des banques commerciales (+ 6,6% pour une part de 44,8% du total), et une évolution contrastée des différents composantes de l’épargne liquide.
Ainsi, si le produit ‘’Comptes d’épargne’’ enregistre une hausse en nette accélération, la rubrique « comptes à terme et bons de caisse» accuse une stagnation inhabituelle.
D’après le CMC, cet engouement pour le cash et les dépôts à vue enregistrent une nette accélération au fur et à mesure que les agents économiques anticipent des difficultés conjoncturelles, comme peut en attester l’arrêté des statistiques monétaires à fin Mai 2022.
De telles évolutions ne sont, d’après-eux, que le reflet de cette conjoncture atypique que vit l’économie marocaine, à l’instar des autres pays de la planète. Encore durement éprouvés par les séquelles de la crise sanitaire auxquelles s’y ajoutent, maintenant, les effets de cette stagflation, le premier réflexe des épargnants est d’accumuler du cash pour des besoins de précaution et de transactions dans une conjoncture aux lendemains toujours incertains.
Devant ces dangers de nature systémique, les épargnants ont joué la prudence en privilégiant le court terme (hausse de tous les dépôts à vue et des comptes d’épargne) tout en affichant une nette aversion pour le moyen-long terme (baisse des comptes à terme et des bons de caisse).
Évolution contrastée des contreparties de la monnaie
Les trois principales contreparties de la masse monétaire (crédit bancaire, réserves de changes, et créances en souffrance) affichent des évolutions révélatrices des difficultés de la conjoncture actuelle où s’entremêlent baisse, stagnation des activités, hausse des prix et aggravation du déficits extérieurs.
S’agissant, en premier lieu, des crédits bancaires qui profitent, dans leur grande majorité, au secteur non financier, leur encours enregistre une hausse très limitée de 2,8% en glissement annuel pour s’établir à fin Mai à 985,2 Mds de dhs correspondant à un flux d’environ 34,2 Mds de dhs contre 25 Mds de dhs un an plus tôt.
Dans l’ordre décroissant, ces financements profitent respectivement aux entreprises privées, aux ‘’particuliers et Marocains Résidents à l’Etranger’’, aux entrepreneurs individuels et aux entreprises publiques.
Dans l’ensemble, l’essentiel des financements bancaires profite au secteur privé constitué des sociétés non financières privées et ‘’autres secteurs résidents’’ (particuliers et MRE, entrepreneurs individuels et ISBLMSM ou Institutions Sans But lucratif au Service des Ménages).
Par ailleurs, les crédits bancaires ont servi, dans l’ordre décroissant, à faire face surtout aux besoins de trésorerie (comptes débiteurs et comptes de trésorerie, créances diverses), et au financement de l’immobilier qui s’accaparent la part du lion comparativement aux autres activités (équipement, consommation et promoteurs immobiliers) qui accusent un net recul.
Pour ce qui est ensuite des réserves de changes (ou Avoirs Officiels de Réserves, AOR), il convient de noter que leur stock auprès de BAM s’élève à fin décembre 2021 à 320,6 Mds de dhs en amélioration de 3,2% contre 26,5% comparativement à la même époque de 2020.
Selon la Banque Centrale, et sous l’hypothèse notamment de la concrétisation des financements extérieurs prévisionnels du Trésor, les avoirs officiels de réserve se situeraient à 342,5 milliards de dirhams à fin 2022 et à 346,4 milliards à fin 2023, assurant ainsi une couverture autour de 6 mois d’importations de biens et services.
Enfin, d’après les conjoncturistes, une mention spéciale doit être accordée aux Créances en Souffrance (CES) qui constituent une véritable chape de plomb aussi bien pour les institutions financières en tant qu’entités créancières que pour le secteur privé réel en tant qu’entité débitrice.
La tendance à leur accumulation témoigne, en effet, de la persistance des tensions financières au niveau des pans entiers du secteur productif réel. Pour fin Mai, l’encours de ces Créances en Souffrances enregistre une hausse de 5,7% en glissement annuel pour s’établir à presque 85 Mds de DH. En détail, ce sont surtout les Entrepreneurs Individuels (EI) qui présentent le taux de sinistralité ou ratio (‘’CES/ Crédits’’) le plus élevé même si leur part dans le crédit total est faible suivis des entreprises privées (ou sociétés non financières privées) et des Ménages (Particuliers + MRE + ISBLM).
En conclusion, cette décélération observée au niveau de la distribution du crédit bancaire au secteur non financier (SNF) devrait se poursuivre au cours des prochains mois.
Selon les projections de BAM, le taux d’accroissement du crédit au SNF devrait rester modéré autour de 4% en 2022 et 2023. Cette modération dans la distribution des crédits bancaires trouve son explication dans le contexte particulier de cette année caractérisée par une faible progression du PIB couplée à une hausse préoccupante du niveau général des prix.