La Banque mondiale a estimé en 2016 dans l’une de ses études que le coût de la dégradation environnementale dans nos villes est de l’ordre de 33 MMDH, soit 3,52 % du PIB. Considérées comme des biens communs de la nation, les ressources naturelles, les écosystèmes et le patrimoine culturel doivent faire l’objet d’une protection et d’une mise en valeur axée sur une gestion intégrée et durable. Or la dynamique de développement que connait le Maroc depuis ces dernières décennies a mis à rude épreuve la question environnementale. Ne pas tenir compte de cette donne revient à hypothéquer la durabilité des ressources naturelles et des écosystèmes.
Pour infléchir cette tendance et lutter contre toutes les formes de pollution, le Maroc vient d’adopter un nouveau cadre législatif intégrant l’évaluation stratégique environnementale (loi 49-17), et ce conformément aux dispositions de la charte nationale de l’environnement et du développement durable de 2014.
La présente tribune a pour objet de revisiter cette réforme de l’Evaluation Stratégique Environnementale (ESE) et d’élucider les défis à relever pour des milieux de vie biophysiques et humains durables.
De nouveaux concepts et de nouvelles ambitions
Porteur d’un nouvel élan en matière de protection de l’environnement et du développement durable, ce nouveau dispositif juridique introduit de nouveaux concepts et paradigmes, notamment, ‘’évaluation stratégique environnementale’’ ; ‘’audit environnemental’’, ‘’approbation environnementale’’ et ‘’conformité environnementale’’.
La loi sur l’évaluation environnementale ambitionne de relever les déficits, après 17 ans de mise en œuvre de la loi 12-03 relative aux Etudes d’Impact sur l’Environnement (EIE) de 2003. Le bilan de cette dernière est mitigé, au vu de ses limites significatives dans l’évaluation des éléments stratégiques. Elle intervenait trop tardivement dans le processus décisionnel, à un moment où les possibilités de changements significatifs sont minimes. En outre, l’EIE est réalisée par le porteur du projet, qui a intérêt à ce que celui-ci soit approuvé. Quant à la participation publique, elle n’est qu’une formalité du moment que l’essor du projet est déjà fixé, aussi bien, dans ses composantes que de son échelle.
Sont concernées par le nouveau dispositif de l’ESE les politiques publiques, les programmes, les stratégies et les plans de développement sectoriel et régional, en plus des projets susceptibles d’avoir des impacts sur l’environnement. Pour dire que la loi sur l’ESE ne remplace pas le dispositif traditionnel de type EIE, qui conserve son utilité pour les projets, mais elle le complète.
Aussi, importe-t-il de souligner que la loi soumet à l’audit environnemental les unités industrielles et les activités qui n’ont jamais été auditées, et ce pour les accompagner à se conformer aux lois et normes en vigueur (conformité environnementale). Des mesures de contrôle et de sanctions contre les manquements à la protection de l’environnement sont prévues par la loi pour donner sens à l’acceptabilité environnementale. Ces sanctions concernent aussi les BET qui font des déclarations erronées et peuvent aller jusqu’au retrait de leur accréditation.
Par ailleurs, l’élaboration des études d’évaluation environnementale revient, d’ores et déjà, à des bureaux d’études agrées. Une opportunité pour mettre fin à l’inconsistance de l’expertise environnementale et l’organisation de la maitrise d’œuvre sur la base de la spécialité et l’expertise affirmée.
Ce dispositif est de nature à renforcer le principe de prévention inscrit dans le droit international de l’environnement, et les engagements des nations unies portant sur la mise en œuvre des 17 objectifs de développement durable de 2015, et auxquels le Maroc a souscrit. Ces engagements répondent aux défis pluriels auxquels le pays est confronté, notamment, ceux relatifs à la dégradation de l’environnement, aux changements climatiques, à la protection des ressources naturelles et à la résilience des villes et territoires.
De la nécessité de l’institutionnalisation de l’ESE
Si le processus des Etudes d’Impact Environnemental de 2003 a contribué à atténuer les risques sur les milieux de vie, il demeure que ce processus n’intègre pas l’évaluation stratégique lors de la conception des politiques publiques. Reporter l’évaluation environnementale jusqu’au stade du projet limite les choix stratégiques susceptibles d’atténuer les risques sur les ressources environnementales, base de la croissance et du développement.
Il n’est pas à rappeler que les politiques publiques, tout secteur confondu, ont été peu préoccupantes de la question environnementale (des activités industrielles polluantes, un urbanisme peu regardant des extensions urbaines au détriment des terres agricoles fertiles, une littoralisation intense de l’activité humaine avec comme corollaire des rejets polluants, une activité touristique consommatrice d’eau, une gouvernance contraignante des décharges publiques, une faible couverture en réseau d’assainissement, etc.).
Porteuse d’un nouvel élan pour protéger nos milieux de vie des différentes formes d’impacts environnementaux, la loi est, toutefois, tributaire de la promulgation des décrets d’application devant arrêter la démarche de l’élaboration de l’étude d’évaluation stratégique environnementale , la liste des projets susceptibles de faire l’objet d’une étude d’impact environnemental, la procédure de la conformité environnementale, et la création de la commission nationale de l’ESE.
Il va sans dire, qu’au-delà de la promulgation de la loi, l’institutionnalisation d’une démarche d’ESE passera par la mise en place des systèmes d’information et d’évaluation permettant aux décideurs de prendre des décisions éclairées sur les incidences environnementales, sociales et économiques.
Dans un contexte où l’action publique s’accomplit dans l’incertitude, la pluralité d’acteurs et la rareté des ressources, il est indiqué que les dimensions environnementales, sociales et économiques doivent être mieux appréhendées, analysées et intégrées aux stades précoces de l’élaboration des politiques publiques.
Pour qu’elle soit efficace, l’ESE doit s’inscrire dans une démarche adaptative et continue résolument axée sur le renforcement des institutions, de la gouvernance et des compétences, contrairement à l’approche circonstancielle et technique suivie par l’EIE.
Pour conclure, l’adoption de cette nouvelle loi renseigne sur une prise de conscience de l’urgence d’une correction de trajectoire pour une évaluation stratégique environnementale, en amont des politiques, plans, programmes et projets. La relation avérée entre la qualité de l’environnement et la santé des citoyens n’est pas à démontrer. Et l’actuelle crise sanitaire du Covid-19 vient juste nous rappeler le premier principe de la Déclaration de Rio de 1992 ‘’Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine en harmonie avec la nature ‘’.
Par Mostafa KHEIREDDINE, Urbaniste-Université de Montréal, Chercheur en sciences de la ville