La rupture des chaînes mondiales d’approvisionnement et le chacun pour soi engendrés par la pandémie ont ressuscité l’intérêt de la substitution aux importations ou le « consommer marocain ». Bien qu’ils acquiescent à cette nouvelle politique, les économistes émettent quelques réserves.
S’il y a un enseignement que l’équipe aux manettes a bien pu tirer de cette crise mondiale c’est qu’il faut réduire foncièrement notre dépendance vis-à-vis de l’étranger. Il faut reconnaître que la composition de nos importations laisse tout un chacun perplexe.
Comment on aurait pu imaginer un pays à vocation agricole tel que le Maroc importer des biens qu’il produit lui-même et transformés ailleurs.
Conscients de cette aberration, les pouvoirs publics ont décidé d’y remédier en encourageant la préférence nationale ou ce que l’on appelle « consommer marocain ». Des mesures sont ainsi prévues dans le PLF 2021 pour bien recadrer la consommation.
Au niveau de la commande publique, les maîtres d’ouvrage sont appelés à faire référence dans les cahiers de charges des marchés publics à l’application des normes marocaines. Aussi, depuis parle-t-on de la politique de substitution aux importations pour réduire la dépendance économique vis-à-vis de l’extérieur et, du coup, réduire le déficit commercial devenu au fil de l’eau chronique.
Bien que la politique que souhaitent adopter les pouvoirs publics paraisse alléchante, elle reste tout de même difficile à accomplir du moins dans le court terme. Les économistes les plus érudits s’interrogent en toute innocence : qu’est-ce qui nous a empêchés de mener une telle politique depuis des années d’autant que la situation économique, avant la pandémie, n’a pas été tellement florissante.
Avec des taux de croissance oscillant, bon an mal an, autour de 3%, le Maroc avait tout l’intérêt à l’adopter il y a belle lurette. D’autant plus que le Royaume aspire à regagner les rangs de l’émergence dont le taux de croissance exigé est de 6 à 7%.
Le oui, mais…
Dans un récent bulletin, l’équipe du Centre Marocain de Conjoncture (CMC) a mis en exergue les obstacles qui se dressent aussi bien du côté de l’offre que de la demande.
D’après leurs pronostics : « pour être viable, une politique de préférence nationale doit s’accompagner d’une amélioration au niveau de l’offre, de la qualité, de la variété et de la quantité. « Un retour en arrière dans le temps à l’époque où les barrières douanières rendaient la consommation du produit local obligatoire rappelle à quel point un marché protégé porte préjudice aux consommateurs sans donner les bonnes incitations aux producteurs », expliquent les économistes du CMC. Et d’ajouter : « Il faut être plus sélectif en ce qui concerne les IDE et les exportations et évaluer les choix économiques à l’aune de leur impact global, économique, social et environnemental ».
A son tour, l’économiste Najib Akesbi n’est pas très emballé à un réel succès de consommer marocain. « Lorsque nous parlons de préférence nationale ou de substitution à l’importation, cela veut dire que nous sommes en mesure d’avoir une production en substitution. La première hypothèse qui sous-tend cette aspiration est d’avoir un tissu productif local à même de le faire », argue-t-il.
Nous sommes dans une sorte de décalage temporel entre les deux phénomènes. Il est facile d’arrêter l’importation d’un produit donné mais si vous n’avez pas la production de substitution pour satisfaire la demande, il faut attendre un certain temps, si ce n’est un temps certain…
C’est là d’ailleurs le rôle du gouvernement qui doit agir dans le sens de la cohérence entre la substitution à l’importation et la robustesse du tissu économique national.
Et Akesbi d’ajouter : « Il faut aller chercher la substitution dans les branches industrielles où le taux d’utilisation des capacités de production n’est pas pleinement utilisé. C’est là où il faut trouver les niches d’import substitution pour gagner des devises ».
Un autre économiste partage le même avis : que ce soit la préférence nationale ou la substitution aux importations, ce sont des politiques qu’il faut prendre avec prudence parce que la tâche ne sera pas du tout aisée et s’étalera bien dans le temps.
Sinon qu’est ce qui nous a empêchés, il y a quelques années de cela, de recourir à la substitution aux importations ? Tout simplement parce que les opérateurs marocains ne sont pas compétitifs. Or, si on souhaite limiter les importations, il faut agir sur la qualité plus que sur les prix.
Dans le cadre du nouveau PAI 2021-2023 et dont le but est justement entre autres de réduire le déficit commercial, l’exécutif vise une économie de 34 Mds de DH. Des objectifs ambitieux, alléchants mais sont-ils réalisables ?
Les propos susmentionnés ne veulent pas dire que leurs auteurs sont contre le « consommer marocain », bien au contraire mais ils sont conscients qu’il faut s’y préparer et mettre les pions là où il faut.
En vue de sauvegarder un tant soit peu notre économie, il faut veiller dés à présent à diversifier la production nationale et l’ouverture sur de nouveaux marchés. Il faut par ailleurs miser sur la qualité qui reste malgré tout la pierre d’achoppement des producteurs.
Sur le plan des accords de libre-échange, il est également souhaitable que la variable économique prime sur celle politique lors d’éventuels accords et de prévoir des évaluations à mi-parcours pour procéder aux ajustements nécessaires chaque fois qu’il le faut.
Et la « démondialisation » ?
Même sur le plan international et au moment où tout laisse prédire que la tendance est vers la démondialisation, les avis sont très partagés.
Nombreux sont ceux qui démontrent que malgré la rupture des chaines de valeur mondiales due à la crise sanitaire, la fermeture des frontières entre les États et le désengagement des grandes puissances, les affirmations selon lesquelles l’on assiste à une démondialisation ne sont pas avérées.
Comme l’a si bien dit Fathallah Oualalou dans la dernière édition de Atlantic Dialogues : « La mondialisation est dynamisée par des interdépendances inévitables d’où la pandémie, elle-même, qui est un résultat de la mondialisation. La mondialisation et la croissance sont nécessaires mais sous d’autres formes qui soient à même de répondre aux besoins des “biens communs” qui se traduisent par l’intégrité de la personne, l’intégrité de l’environnement, et l’équité ».
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