Abderrahmane Youssoufi n’est plus. A l’âge de 96 ans, il s’est éteint ce vendredi 29 mai à Casablanca : le Maroc perd ainsi l’une des figures emblématiques à la fois du socialisme et du nationalisme.
Comme dirait Aznavour, je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre. Même les quadras n’en retiennent que de vagues souvenirs : ceux de l’homme qui sauva le Maroc d’un arrêt cardiaque à la tête du gouvernement d’alternance en 1998.
Natif de la ville de Tanger en 1924, avocat de formation, Abderrahmane Youssoufi embrasse l’action politique dès ses 19 ans en rejoignant les rangs de l’Istiqlal. Il s’engage dans le mouvement de résistance et de l’armée de libération se forgeant ainsi une réputation de militant aguerri avant de rejoindre les rangs de l’opposition avec la création aux cotés de Mehdi Ben Barka, Abderrahim Bouabid, Mohamed Basri, Abdellah Ibrahim et Mahjoub Ben Seddik de l’Union nationale des Forces Populaires, l’ancêtre de l’USFP.
A la disparition de Mehdi Ben Barka en 1965, Abderrahmane Youssoufi part s’exiler en France. Pendant cette période, il sera condamné par contumace à la peine capitale en 1975 lors du procès de Marrakech.
La même année, il est désigné par les instances du désormais USFP comme délégué permanent à l’extérieur avant de devenir membre du bureau politique en 1978.
Gracié, Youssoufi rentre au bercail en 1980 après 15 ans d’absence pour retrouver ses camarades socialistes notamment Abderrahim Bouabid, à l’époque secrétaire général d l’USFP.
Après le décès de ce dernier en 1992, Abderrahmane Youssoufi passe à la tête de l’USFP. Une mission qui ne sera pas de tout repos. Le parti met la pression pour des réformes constitutionnelles et démocratiques et sera débouté lors des législatives de 1993. Pour protester contre les résultats électoraux qu’il juge biaisés et ayant privé la Koutla d’une victoire méritée, Abderrahmane Youssoufi plie bagages et s’envole vers l’Hexagone.
Il revient sur sa décision sous la pression de ses camarades pour revenir au Maroc et poursuivre l’action politique qui mènera l’USFP à la victoire lors des législatives de 1997.
Un moment historique dans le parcours de ce fervent militant pour la démocratie qui réussira à composer un gouvernement de neuf partis qui sera reçu par feu Hassan II en mars 1998.
A 74 ans, nommé Premier ministre de l’Alternance, tous les projecteurs étaient braqués sur Abderrahmane Youssoufi, lui qui a tant milité pour les droits de l’homme et la démocratie.
Lors de son mandat qui s’étale de 1998 au 2 octobre 2002, Abderrahmane Youssoufi subira plusieurs assauts même de ses camarades socialistes les plus proches particulièrement à propos du Statut de la famille.
Homme d’Etat par excellence il doit gérer sa relation avec le palais, avec les partis de la Koutla et surtout faire face à la montée d’islamisme dans le pays. Il est vraiment très difficile de reproduire fidèlement un tel parcours tellement les événements étaient riches et n’ont pas livré tous leurs secret.
Une vie remplie et rompue à l’action politique, à laquelle Abderrahmane Youssoufi décide de mettre un terme en octobre 2003 en démissionnant de son poste de secrétaire général de l’USFP et en quittant définitivement la scène politique marocaine. Il recevra régulièrement des signes d’hommage de la part du Souverain qui inaugure en 2016 une avenue portant son nom à Tanger. Ou encore en 2019, en baptisant la promotion des lauréats des différents instituts et écoles militaires et paramilitaires et officiers issus des rangs du nom d’Abderrahmane El Youssoufi.
On l’apercevra de temps à autre à des événements mais Abderrahmane Youssoufi s’accroche à mener la vie la plus discrète et la plus simple auprès de son épouse Hélène. D’ailleurs les Casablancais pouvaient les croiser souvent dans Anfa supérieur au bord de leur voiture d’époque. Simples et courtois, ils menaient enfin une vie presque ordinaire… ce vendredi matin, l’homme d’Etat s’en est allé sur la pointe des pieds…