En théorie, ce sont 40 Mds de DH de commande publique qui doivent profiter aux PME. Dans la pratique c’est David contre Goliath…
L’Etat est le premier investisseur au Maroc et de ce fait, les marchés publics représentent un grand moteur de l’économie nationale. Sérieux levier de croissance pour les PME, ces dernières profitent-elles de ce gros client qu’est l’Etat ? Quelques 200 Milliards de DH sont ainsi injectés annuellement dans l’économie nationale, soit 19% du PIB.
L’Article 156 du décret relatif aux marchés publics (20 mars 2013) prévoit des mesures en faveur de la petite et moyenne entreprise. Ainsi, le maître d’ouvrage est tenu de réserver vingt pour cent (20 %) du montant prévisionnel des marchés, qu’il compte lancer au titre de chaque année budgétaire, à la petite et moyenne entreprise nationale. Un arrêté du ministre chargé des finances du 30 octobre 2013, portant application dudit décret, fixe les conditions et les modalités d’application de cet article. Donc, dans la théorie, ce sont 40 Mds de DH de commande publique qui doivent profiter aux PME.
Mais l’arrêté ne spécifie pas quel est l’organe chargée de faire respecter l’accès des PME à ces marchés publics encore moins qui procède à l’évaluation de l’accès des PME à la commande publique. Les contrôleurs d’Etat ? La DEPP ? La Cour des Comptes ? Aussi, il n’est nullement mentionné de sanctions en cas de non-respect de cette disposition. Aucune attribution du genre ne figure également dans les statuts de la Commission nationale de la Commande publique entrée en vigueur en 2018.
Ce n’est un secret pour personne, les petites et moyennes entreprises ne profitent pas réellement de cette manne publique ! D’abord, l’article 156 n’est pas appliqué de manière automatique. Ensuite, le fait est que toutes les PME ne remplissent pas les conditions pour y accéder. Certaines sont mêmes bloquées par les cautions et avances. D’autres par la classification.
Contacté par nos soins, le Président de la Confédération des TPE-PME, Abdellah El Fergui ne cache pas sa déception sur ce point, parmi tant d’autres qui handicapent l’essor des petites et moyennes entreprises.
« Le pire est que la plupart des administrations, communes, régions, EEP ne sont même pas informées de l’existence de cette disposition. Pour cela, notre Confédération Marocaine de TPE-PME a organisé plusieurs réunions avec des ministres et responsables des EEP mais sans succès jusqu’à notre réunion avec les groupes parlementaires en 2016. Après les élections de 2016 et lors de son programme de mandat au vote de confiance devant les deux chambres en 2017, le Chef du gouvernement Saad-Eddine El Otmani a mentionné ce problème de non application de cette disposition qui consacre 20% de la commande publique aux PME et il a promis de l’appliquer durant son mandat. Et afin de pousser le gouvernement à appliquer cette loi, nous l’avons proposé dans le PLF 2018, PLF 2019 et nous envisageons de la proposer pour le PLF 2020 aussi », explique-t-il.
Mais les problèmes mentionnés ne sont pas les seuls qui rendent le chemin des PME parsemé d’embuches lorsqu’elles veulent prétendre aux marchés publics, somme toute un droit que leur garantit la loi. En effet, en l’absence d’une application rigoureuse de la loi, laissant les PME à la merci du bon vouloir de certains maillons de la chaîne de la commande publique, et vu le faible recours à la digitalisation pour éviter au mieux le contact humain, cette manne aiguiserait dans certains cas des appétits malsains : La corruption ! Cette dernière étant difficile à prouver par les entreprises qui en sont la cible, leur seul recours est de remonter l’information.
« Rien que cette semaine j’ai reçu quatre plaintes de corruption en relation avec des marchés publics à Tanger, Casablanca, Lâayoune et Kénitra. On essaie de les résoudre à l’amiable car les chefs d’entreprise ne possèdent pas la preuve des fait dont ils sont victimes puisqu’en général se sont les bureaux d’études en charge de ces marchés qui demandent de l’argent à la place des fonctionnaires. C’est très difficile de démasquer ces fonctionnaires pourris. Mais vu que ces phénomènes commencent à prendre de l’ampleur, nous allons au sein de la Confédération utiliser les réseaux sociaux et d’autres outils pour démasquer et dénoncer ces fonctionnaires et cabinets d’études ripoux », déplore Abdellah El Fergui.
Ce dernier s’interroge d’ailleurs pourquoi le ministère des Finances ne répond pas à leur demande de réunion pour aborder toutes les problématiques auxquelles les TPE et PME sont confrontées : « Les ministres des Finances sont les seuls ministres qui ne répondent pas aux demandes de réunions ni aux réclamations de la Confédération ».
Dans l’état actuel des choses, il est vraiment très difficile de s’enthousiasmer pour les coopératives et des autoentrepreneurs, qui dès amendement du décret des marchés publics pourront également profiter de la commande publique au même titre que les autres entreprises.
Mais le tableau n’est pas totalement sombre et sans issue. En effet, dans son rapport sur la création des marchés au Maroc, la Banque mondiale a souligné comme levier de facilitation de l’accès des PME aux marchés publics, l’introduction du système de passation de marchés publics en ligne (e-GP). Depuis janvier 2017, l’utilisation des soumissions électroniques a accru l’accès à l’information liée à la passation des marchés, comme les possibilités de soumissionner, les appels d’offres, les demandes de devis, la documentation relative aux marchés et les résultats des soumissions ; cela rend la participation aux processus de soumission plus simple et facilite l’accès aux possibilités contractuelles, particulièrement pour les PME. Un système électronique de gestion des plaintes a également été mis en place, note le rapport de la BM.
« La Banque mondiale estime que le système de passation électronique des marchés, géré par la TGR, serait le meilleur outil pour une bonne mise en œuvre de l’article 156 des 20%. Du coup, au début de cette année 2019 nous sommes réunis avec la TGR pour savoir plus sur le système de passation électronique des marchés. La TGR nous a promis de collaborer avec nous dans ce sens et dans d’autres dossiers qui concernent les TPE-PME».
Abdellah El Fergui : Comme vous le savez déjà, le ministre de l’Intérieur a adressé le 13 février 2019 une circulaire aux Walis et Gouverneurs du Royaume pour leurs demander d’inciter les présidents des Communes de n’accepter que les entreprises classées pour les marchés publics qu’ils lancent. Cette circulaire interdit à toutes les entreprises TPE et PME non classées de soumissionner dans les marchés des communes, des marchés d’une valeur de plus de 40 milliards de DH.
La confédération Marocaine de TPE-PME a réagi fortement à cette discrimination et à cette exclusion des TPE-PME lorsqu’on sait que très rares sont les TPE-PME classées. En plus nous n’avons pas confiance à la Commission Nationale de Classification des entreprises au sein du ministère d’Equipement et du Transport au sein de laquelle nous avons relevé des plusieurs cas de corruption. Nous avons demandé au ministre d’Equipement de revoir les conditions d’octroies de cette Attestation de Classification des Entreprises et le changement de cette Commissions nationale par des antennes locales au niveau de chaque région.
Nous avons également demandé des réunions avec le ministre de l’Intérieur, de l’Equipement et de Transport (celui qui donne la classification au entreprises du BTP) et au ministre du commerce et d’Industrie. Seul le ministre de l’Equipement a répondu à notre demande et a engagé un cabinet d’étude pour revoir les critères de classification des entreprises. Le ministre nous a demandé de collaborer avec ce cabinet et de l’aider à revoir ces critères.
Plusieurs réunions ont eu lieu dans ce sens.
Si cette circulaire du ministère de l’Intérieur est bien appliquée avec les nouvelles critères de classification les mieux adaptées aux TPE-PME avec succès, d’autres ministères vont appliquer ce procédé dans leurs marchés publics.
On peut dire que nos efforts ont fini par porter leurs fruits à moitié lorsqu’on est arrivé à changé les critères de l‘octroi des attestations de classifications des entreprises de BTP.
Reste l’application de ces nouveaux critères et la création des commissions de classification régionales pour les classes 5, 4 et 3. Pour ceux de 2 et 1 resterons au niveau de la commission nationale à Rabat.