Le cadre réglementaire des coopératives d’habitation doit impérativement être revu pour protéger les droits des adhérents et barrer la route aux arnaqueurs. Un nouveau scandale vient d’éclater à Martil pour arnaque et abus de confiance. Les dessous d’une affaire qui vient d’être portée devant le procureur du roi.
L’attachement des Marocains à la pierre fait que l’un des premiers projets de vie est l’acquisition d’un bien. Une acquisition qui parfois peut tourner au drame. Beaucoup de gens ont vu leur rêve se volatiliser à cause d’un promoteur scrupuleux ou d’un arnaqueur tout court. En effet, l’immobilier, vu les marges de bénéfices qui font tourner les têtes, est l’un des secteurs qui connaît le plus grand nombre de litiges et d’arnaques.
La dernière affaire de « Bab Darna » n’est que la face cachée de l’iceberg. Plusieurs personnes souffrent en silence à cause d’une arnaque immobilière. Il faut dire que ce type d’affaires dans le secteur sont monnaie courante. Sans parler des abus que subissent les acquéreurs de la part des promoteurs immobiliers notamment dans le cas de l’achat VEFA (retard de livraison, produits non-conformes…) pour ne pas s’être entourés de toutes les garanties nécessaires.
Mais il y a un risque bien plus grand qui guette les futurs acquéreurs. Il s’agit de l’achat dans le cadre des Amicales d’habitation plus connues sous l’acronyme de « Widdadiyates ». Un mode d’acquisition qui suscite de plus en plus l’intérêt des Marocains en raison des avantages notamment fiscaux qu’il présente.
Toutefois, censé être un cadre incitatif visant à encourager l’acquisition d’un bien notamment pour la classe moyenne, ce mode d’acquisition s’est vite transformé en une nouvelle forme de spéculation immobilière, de concurrence déloyale mais aussi d’évasion fiscale. Pis encore, il s’agit de l’un des moyens d’achat les plus risqués. Une nouvelle affaire a éclaté au Nord du Royaume, précisément à Martil, où une centaine d’acquéreurs ont été escroqués. En effet, plus de 60 adhérents (Dont un nombre important de MRE) de l’Amicale Cabo Negro, ont saisi la semaine dernière le procureur du Roi du Tribunal de Témara pour dénoncer une escroquerie et un abus de confiance.
Il s’agit d’un projet de résidence dénommé « Les jardins de Cabo Negro », situé au niveau de la circonscription de Martil que le bureau de l’Amicale a commencé à commercialiser en 2016 avec un engagement de livrer un an après.
Trois ans plus tard, les victimes, qui ont versé 40% de la valeur de leur bien, se sont rendu compte qu’il s’agissait d’une supercherie dont le principal responsable est le président de ladite Amical M.M. déjà impliqué dans une autre affaire similaire à savoir les « Résidences DOUMA ».
« Les personnes impliquées dans cette duperie se sont emparés de 16,5 MDH environ à titre d’avances de la part des adhérents. Un montant de 4 MDH a été remis aux propriétaires du terrain lors de la signature du compromis. Pour le reste, soit 11,5 MDH, volatilisé. Quant à l’opération de vente, elle n’a jamais été concrétisée devant un notaire », précise les plaignants.
Dans une note d’information le bureau des adhérents, dont Ecoactu.ma détient une copie, affirme que « derrière l’Amicale se cache en réalité plusieurs promoteurs immobiliers. Une entreprise qui fonctionne sous ce statut pour s’enrichir et bénéficier des avantages donnés jusqu’ici aux amicales d’habitation ».
Après plusieurs mois de relance, les adhérents, qui ont fait leur propre enquête, ont découvert que même le terrain n’appartient toujours pas à l’Amicale. Ledit terrain a fait l’objet d’un simple compromis de vente d’une durée de 6 mois entre le bureau de l’Amicale et les deux propriétaires du terrain, dont l’un est membre du Bureau de l’Amicale. Un terrain de deux lots d’une superficie totale de plus de 4 Ha dont une partie est agricole et qui n’a toujours pas obtenu la dérogation de construction.
Quel risque de l’achat via les Amicales ?
Contacté par nos soins Touhami Elouazzani Ahmed Amine, ancien président du Conseil National des Notaires du Maroc, nous a affirmés que le recours aux Amicales d’habitation peut s’avérer très risqué. Et pour cause, les opérations de versement d’avance se font uniquement entre les adhérents et l’association et non pas devant un notaire. « Personnellement, je déconseille à mes clients l’achat de biens via les associations d’habitat en raison de l’absence de suffisamment de garanties pour protéger les droits des adhérents », nous explique Touhami Elouazzani.
En effet, les coopératives d’habitation sont encore régies par la loi n° 112-12 relative aux coopératives qui n’encadre pas tous les aspects liés à cette activité. Il n’existe donc pas de cadre juridique spécifique aux coopératives d’habitat qui permet à la fois le développement de l’activité et la protection des droits des acquéreurs. Et pourtant un projet de loi n°023-12 relative aux coopératives d’habitat a été élaboré par le ministère de tutelle afin de donner l’élan nécessaire à la promotion de l’habitat solidaire et participatif.
L’objectif dudit projet étant d’encourager la dynamique de création des coopératives d’habitat et les rendre plus actives pour relever les défis que connait le secteur de l’habitat en matière de satisfaction des besoins en unités de logements.
En attendant ce cadre, beaucoup profitent du vide juridique pour faire tout et n’importe quoi. Les malveillants profitent également de l’ignorance des acquéreurs des risques qu’ils encourent.
D’ailleurs certains promoteurs, pour détourner la loi et faire des bénéfices supplémentaires, ont recours aux Amicales, de façon déguisée. Un engouement qui avait alerté les pouvoirs publics qui avaient réagi en 2017 en introduisant de nouvelles mesures dans la loi des finances 2018. Parmi les mesures, l’obligation pour les coopératives et associations d’habitation créées avant le 31 décembre 2017 de procéder à une déclaration d’existence auprès de l’administration fiscale. Les coopératives avaient jusqu’au 2 juillet 2018 pour déposer la liste intégrale des adhérents et le détail des projets immobiliers n’ayant pas encore reçu le permis d’habiter. Mais pas seulement. Afin de verrouiller cette activité, le législateur a restreint les conditions d’exonération d’IS en mettant comme condition que les adhérents de la coopérative ne doivent pas être déjà soumis à l’IR en matière de revenus fonciers ni inscrits à la taxe d’habitation. Nous ne savons pas où en est l’administration fiscale de l’application de cette mesure, mais ce qui est sûr c’est que le cadre réglementaire doit être renforcé davantage. « Pour protéger les adhérents, la DGI devrait demander à l’Amicale la liste des adhérents au moment d’enregistrer le titre foncier du terrain. Toutefois, cela ne permettrait de protéger que les droits de l’administration fiscale. Qu’en est-il des acquéreurs ? », s’interroge Touhami Elouazzani.
Une question légitime vu que les droits des adhérents d’une amicale ne sont pas garantis par un cadre réglementaire. Par conséquent, le risque auquel ils sont exposés est très élevé. C’est pourquoi avant de se lancer dans un tel projet, il faut d’abord s’assurer que votre argent ne risque pas de se volatiliser. A bon entendeur !