Interviewé par Soubha Es-Siari |
Contrairement aux pronostics, le taux des défaillances a reculé de 22% en 2020, une année de crise économique des plus redoutables. Un paradoxe alimenté entre autres par la fermeture des tribunaux à cause de la politique de confinement. Amine Diouri Responsable Programme Inforisk Dun Trade, Directeur Etudes & Communication explique pourquoi 2021 serait une année de rattrapage en matière de défaillances.
EcoActu.ma : En 2020, des mesures exceptionnelles ont été mises en place par l’Etat pour venir en aide aux entreprises. Quelle sera la portée de ces mesures si jamais les nouvelles variantes du Covid parviennent à impacter l’économie marocaine ?
Amine Diouri : Les mesures mises en place en 2020 avaient été conçues avec l’espoir que la crise sanitaire commencée en mars de l’année dernière serait rapidement surmontée, ce qui ne fut finalement pas le cas. L’État marocain a mobilisé directement plus de 100 milliards de dirhams (entre le Fonds Covid et les aides garanties de l’Etat Damane Oxygène/TPE), avec des résultats globalement positifs puisque cela a permis d’éviter l’explosion des faillites et des licenciements.
En ce début d’année, l’incertitude règne d’un point de vue sanitaire : quel est l’état réel de la contamination de la population par le covid, notamment par les nouvelles souches sud-africaines et anglaises ? Serons-nous en mesure de vacciner la totalité de la population avant la fin du premier semestre ? Seules les réponses à ces 2 questions permettront d’avoir une visibilité sur la reprise d’une activité normale de notre économie. En cas de scénario négatif sur l’évolution sanitaire, nos marges de manœuvres budgétaires sont très limitées avec la baisse de collecte des impôts, un déficit budgétaire accentué couplé à un déficit public important.
Comme relevé dans votre étude, on assiste à une baisse des défaillances dans un contexte marqué par la récession économique. Peut-on conclure qu’il existe une décorrélation entre le taux de croissance économique et celui des défaillances ? A ce titre, quels sont les facteurs qui engendrent directement des défaillances ?
Il y a une corrélation forte entre croissance du PIB et défaillances d’entreprises. Dans le cas qui nous occupe, il y a un paramètre technique qui entre en jeu, ce qui explique le paradoxe entre la plus grave crise économique que nous ayons jamais traversée et la baisse apparente des défaillances. Je rappelle que l’activité des tribunaux de commerce a été fortement réduite pendant quasiment 6 mois, entre mars et fin aout 2020 (confinement et vacances judiciaires).
A partir de septembre, un « stock » de procédure a dû être rattrapé. D’ailleurs, sur les 2 derniers mois de 2020, le nombre de défaillances a recommencé à augmenter. Par ailleurs, les aides de l’Etat en 2020 (Damane, Indemnités CNSS, Reports de crédits) ont maintenu sous perfusion un grand nombre d’entreprises, dont une partie serait certainement morte sans ces aides. Nos entreprises ont souffert énormément en 2020, avec des baisses importantes de chiffres d’affaires (-34% selon notre dernière étude), couplée à une augmentation des retards de paiement à des niveaux stratosphériques. Pour survivre, elles ont dû s’adapter : réduction du temps de travail, télétravail, arrêt temporaire d’activité voire même licenciement, avec parfois des réductions drastiques d’effectifs.
Aussi, comme vous l’avez signalé dans votre étude, la situation est loin d’être marocaine. C’est aussi le cas de la France (une baisse de défaillances de 38% vs une baisse du PIB de9%). Quel commentaire pouvez-vous nous faire à ce sujet ?
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les explications de la baisse des défaillances en France sont explicables par les mêmes raisons qu’évoquées dans ma réponse précédente, à savoir l’arrêt de l’activité des tribunaux de commerce couplé aux aides massives de l’État français.
Les tableaux des corrélations des défaillances avec la Covid fait ressortir un taux de 84% au second trimestre. Qu’est-ce qui explique ce pic en pleine pandémie ?
Ce plancher est dû à l’arrêt de l’activité des tribunaux de commerce pendant la période de confinement (de mars à fin juin 2020). La reprise en juillet a été ralentie par les vacances judiciaires en août 2020. Nous pouvons dire que la véritable reprise d’activité a donc eu lieu en septembre 2020.
L’année 2021 risque d’être plus brutale. Le sera-t-elle essentiellement pour les entreprises exportatrices si l’on prend en considération que la politique de substitution aux importations prônée par les pouvoirs publics puisse sauver une frange du tissu économique ?
Je pense effectivement que 2021 sera une année de rattrapage en matière de défaillances d’entreprises. Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, compte tenu du fort niveau d’incertitude en ce début d’année sur l’évolution de l’activité en 2021, évoqué dans ma réponse précédente, aussi bien sur notre marché local que sur les marchés extérieurs (France, Espagne, UE). Par ailleurs, cette année marquera la fin des aides directes de l’Etat aux entreprises, notamment avec l’arrêt de la distribution des crédits Damane Relance/TPE. Pire encore, elles vont devoir commencer à rembourser leurs anciennes dettes rééchelonnées ou des nouveaux crédits Damane contractés en 2020. En clair, la perfusion sera enlevée et beaucoup d’entreprises sentiront les effets sur leur trésorerie, déjà mise à mal par la crise Covid19. Je rappelle que selon la dernière étude du HCP, près de 50% des entreprises ont moins d’un mois de trésorerie.
Concernant la politique de substitution aux importations, cela ne va pas se faire du jour au lendemain. Sa mise en place nécessite une politique industrielle définissant les secteurs prioritaires, permettant demain pouvoir substituer nos importations par de la production locale, mais on parle dans une échelle de temps de moyen terme.
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